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DE

LA CONDITION JURIDIQUE

DES

ASSOCIATIONS NON DÉCLARÉES

(LOI DU 1er JUILLET 1901)

Par M. MARGAT,

Professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Montpellier.

C'est une vérité banale à force d'avoir été répétée, que l'homme ne peut donner satisfaction à l'infinie variété de ses aspirations et de ses besoins, qu'en combinant ses efforts avec ceux des autres hommes. Conscient de sa faiblesse et aussi de la courte durée de son existence, il est instinctivement porté à s'unir à ses semblables en vue de fins communes, que ses propres facultés ne lui permettraient pas de réaliser seul. Et cette nécessité de grouper en faisceaux les énergies individuelles éparses, devient plus impérieuse, à mesure que se multiplient les liens d'étroite solidarité, créés entre les membres des nations modernes, par la complexité grandissante des besoins et la différenciation croissante des aptitudes (1). Dans les sociétés actuelles, il est rigoureusement vrai de dire que « l'association fortifie et l'isolement tue ».

(1) Duguit, L'État, le droit objectif et la loi positive, p. 77 et 78.

Il semble donc que le législateur, dont la mission consiste avant tout à constater les réalités objectives, pour en dégager la règle de droit, doive favoriser l'épanouissement de cette faculté d'association, condition indispensable de la prospérité matérielle et morale d'un pays.

En ce qui concerne les intérêts matériels, le législateur français n'a pas failli à cette tâche. Sans remonter jusqu'à l'ancien droit, le Code civil, dans les articles 1832 et suiv., détermine les règles du contrat de société, c'est-à-dire de la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre en commun quelque chose, et d'en partager les bénéfices. Et le Code de commerce, dans les articles 18 et suiv., complétés par la loi du 24 juill. 1867, offre au choix des commerçants qui veulent unir leurs initiatives et leurs capitaux toute une gamme d'ingénieuses combinaisons.

Mais, par contre, dès que l'association ne se propose plus de rechercher des bénéfices, mais vise un but plus élevé, but scientifique, littéraire, charitable, artistique...... elle devient suspecte. Mù par un sentiment de traditionnelle défiance à l'égard des gens de mainmorte, le législateur semble vouloir décourager ces groupements en les soumettant à une réglementation restrictive et arbitraire.

Il en était ainsi tout au moins jusqu'à la loi du 1er juill. 1901, qui, brisant le cadre trop étroit dans lequel étouffaient les associations, est venue les doter d'une véritable charte corporative. En dépit de ses imperfections et de ses insuffisances, elle marque un pas décisif dans la voie du libéralisme.

Avant cette loi, en effet, l'essor des associations était doublement entravé.

D'abord, le fameux article 291 du Code pénal, complété par la loi du 10 avr. 1834, subordonnait la formation des associations de plus de 20 personnes à une autorisation administrative qui était donnée à Paris par le préfet de police, et en province par le préfet du département. En cas d'infraction à cette règle, aux termes de l'article 292 du même Code, l'association devait être dissoute, et des

amendes de 16 à 200 francs pouvaient être prononcées contre ses fondateurs et administrateurs, ainsi que contre les personnes qui lui fournissaient les locaux de ses réu

nions.

L'autorisation était du reste essentiellement révocable. En sorte que le sort de l'association dépendait du bon plaisir de l'administration (1). Seules les associations minuscules de vingt membres au maximum pouvaient se constituer librement; mais il est à peine besoin d'observer qu'elles furent toujours peu nombreuses, et leurs moyens d'action très limités.

D'autre part, l'autorisation n'avait pas la vertu de conférer à l'association ce que l'on est convenu d'appeler la personnalité morale, c'est-à-dire le droit de posséder un patrimoine collectif, distinct du patrimoine individuel de chacun des associés. L'association autorisée était licite. Elle était en règle avec le Code pénal. Mais si elle voulait s'élever au rang d'une personne juridique, elle devait se faire reconnaître comme établissement d'utilité publique par un décret rendu en Conseil d'État. Et chacun sait que cette faveur concédée arbitrairement par le Gouvernement ne fut jamais accordée qu'à un petit nombre d'associations ayant fait leurs preuves et possédant un certain capital.

C'était là une innovation du droit moderne(2). Dans notre ancien droit - bien que ce point soit à tort contesté(3) les deux idées d'association et de personnalité morale étaient intimement liées. Dès qu'elle était reconnue par le Roi, la corporation se trouvait par là même investie de la capacité juridique. En d'autres termes, le droit de s'associer impliquait celui de posséder. C'est la Révolution qui crut devoir établir le divorce entre l'existence régulière des as

(1) Planiol, Traité élémentaire du droit civil, 3e édit., t. II, p. 657. (2) Saleilles, Étude sur l'histoire des sociétés en commandite, Annales de droit commercial, 1895-1897, n° 47; Vauthier, Études sur les personnes morales, p. 239, 286 et suiv.

(3) Voir Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, Des personnes, t. I, n° 298 et la réfutation de leur opinion dans Capitant, Introduction à l'étude du droit civil, p. 157, note 1.

sociations et l'existence de la personnalité. Pour la première fois les orateurs de la Constituante (1) posent le principe de la suprématie de l'Etat sur les personnes morales. Ils proclament que les corps n'ont aucune existence réelle et sont de pures fictions. Dès lors ils ne sauraient être appelés à la vie que par la volonté de la loi, qui les crée et les détruit à son gré. La thèse devait faire fortune, car si nos Codes ne l'ont pas expressément consacrée, la théorie de la personnalité-fiction, reprise et développée en Allemagne par Savigny (2), fut adoptée par la presque unanimité de la doctrine française (3); et on peut dire, sans crainte d'être taxé d'exagération, qu'elle a dominé tout le développement de notre droit corporatif, sur lequel elle pèse encore lourdement.

Ainsi donc, nécessité d'une autorisation pour la naissance. des associations de plus de 20 personnes, et octroi de la personnalité par un acte distinct; tels étaient les deux traits caractéristiques de la législation à la veille de la loi du 1er juill. 1901.

A ce double point de vue, le statut de l'association se trouve aujourd'hui sensiblement modifié.

En premier lieu - réserve faite des congrégations, pour lesquelles la nécessité de l'autorisation législative a été maintenue et dont je n'ai pas à m'occuper ici la loi nouvelle affirme en termes généraux le principe de la liberté d'association. Désormais tout groupement, pourvu qu'il ne poursuive pas un but contraire aux lois ou aux bonnes mœurs, peut se constituer librement sans intervention de l'autorité publique. L'article 2 dispose : « les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable ». C'est la suppression de l'ancienne autorisation préfectorale et des pénalités qui la sanctionnaient. Les

(1) Lire les discours de Thouret et de Mirabeau à la Constituante, Actes parlement., 1re série IX, p. 485 et 641.

(2) Traité de droit romain, trad. Guenoux, t. I, p. 233 et suiv. Voir aussi Unger, System des österr Privatrechts, t. I, p. 314.

(3) Contrà De Vareilles-Sommières, Contrat d'association, et Les personnes morales, passim; L. Michoud, La notion de personnalité morale, dans Revue de droit public, 1899, p. 8 et suiv.

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