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craignons seulement que le chiffre de 8.000 francs soit un peu faible pour certaines grandes villes.

Le bien de famille est déclaré insaisissable, mais non incessible. L'exposé des motifs nous apprend que le garde des Sceaux et la Cour de Rennes avaient émis une opinion favorable à l'incessibilité, «< estimant que le régime sera sans effet s'il n'est pas obligatoire ». Cette prévision est curieuse à relever, elle cadre avec la remarque que nous avons présentée suivant laquelle l'indifférence est le principal écueil dont il faut garder le bien de famille. Ce n'est point à dire que nous ne comprenions pas les considérations qui ont empêché le Gouvernement et la Commission de prononcer l'incessibilité du bien de famille; celle-ci, <«<rivant l'homme à la terre comme le serf à la glèbe », pourrait même transformer l'indifférence en hostilité. Ce n'est pas à des procédés coercitifs que nous proposerions d'avoir recours pour maintenir dans le bien de famille, c'est au contraire à des procédés persuasifs, à des exemptions ou allègements d'impôts.

L'article 2 détermine qui peut constituer un bien de famille. Il établit notamment les pouvoirs respectifs du mari et de la femme à cet égard. Chacun des époux peut constituer bien de famille. un immeuble personnel dont il a l'administration, la femme n'a donc pas besoin de l'autorisation du mari pour déclarer bien de famille un paraphernal ou même un propre qui lui aurait été donné ou légué sous la condition que le mari n'en aurait pas l'administration. Le mari et la femme doivent agir de concert pour déclarer bien de famille un propre de la femme sous l'administration du mari. Le projet de loi ne dit point si celui des époux légitimes qui veut ainsi constituer un bien de famille, doit remplir certaines «< conditions de famille ». L'exposé des motifs est à cet égard équivoque. Nous y lisons que le seul fait du mariage permet de prétendre au bénéfice légal. Cependant l'article 2, dans ses derniers alinéas, subordonne la faculté de constituer un bien de famille pour le survivant des époux à l'existence d'enfants mineurs, pour les grands-parents au fait qu'ils ont recueilli leurs petits-enfants orphelins ou abandonnés. Cette dernière disposition notamment rend tout à fait obscure la portée de la loi au regard de deux époux vivants.

Les articles 3 et suivants précisent les conditions de la constitution du bien de famille. Ce bien doit être un immeuble divis, libre de charges (c'est-à-dire d'hypothèques conventionnelles ou judiciaires). L'acte de constitution sera reçu par un notaire. Le

notaire veillera à ce qu'il soit publié pendant deux mois, notamment par voie d'affichage (par extrait sommaire) dans l'auditoire de la justice de paix et à la mairie. Cette publicité vaudra sommation aux créanciers hypothécaires antérieurs d'avoir à s'inscrire et aux créanciers chirographaires d'avoir à former opposition. Ceux qui ne procéderaient pas à l'inscription dans le délai seraient déchus de leur hypothèque, et des créanciers chirographaires qui ne formeraient pas opposition seraient déchus de leur droit de saisie. La révélation d'une hypothèque conventionnelle ou judiciaire, si elle se produit, empêche la constitution du bien de famille. Il en est de même de l'opposition d'un créancier chirographaire lorsque le débiteur ne parvient pas à satisfaire son créancier. La révélation d'une hypothèque légale n'a pas au contraire cet effet; aussi la naissance et l'inscription d'une semblable hypothèque demeureraient-elles possibles après le délai de publicité. Les créanciers à hypothèque légale dont le droit hypothécaire est antérieur sont, il est vrai, déchus s'ils ne s'inscrivent pas dans le délai de publicité (la raison nous en demeure inaperçue), mais les créanciers à hypothèque légale dont le droit hypothécaire est postérieur sont toujours à temps pour s'inscrire.

Les hypothèques légales qui se révèlent sont dans tous les cas paralysées par la constitution du bien de famille : « l'exercice des droits de poursuite qu'elles confèrent sera suspendu jusqu'à la désaffectation du bien ». Al'expiration du délai de deux mois, si aucune hypothèque conventionnelle ou judiciaire ne s'est révélée, si toutes oppositions formées sont retirées ou jugées mal fondées, sile bien remplit manifestement les conditions générales de la loi ou si un expert en témoigne, le juge de paix devra bomologuer la constitution (1).

Une expédition de cette homologation doit être transcrite dans le délai d'un mois.

Le bien de famille ainsi constitué demeurera soumis au régime projeté tant que sa valeur restera supérieure à 12.000 francs (une plus-value aussi modérée ne doit pas lui faire perdre la qualité acquise) et tant qu'il ne sera pas désaffecté.

L'effet principal du régime projeté c'est l'insaisissabilité, si ce n'est pour cause alimentaire, condamnations délictuelles,

(1) Si le juge de paix passait outre à une inscription ou à une opposition qui se seraient révélées à temps et qui seraient fondées, son homologation serait sans effet au regard des intéressés (art. 10).

dettes pour constructions sur le bien de famille ou réparations aux bâtiments existants... L'article 11 limite d'ailleurs la saisie pour cause alimentaire aux fournitures de subsistances faites pendant les dix derniers mois. « Dans le but de séparer la dette alimentaire proprement dite de la dette de cabaret, lisonsnous dans l'exposé des motifs, on a transporté ici la limitation étroite du n° 5 de l'article 2101 du Code civil, afin de ruiner la spéculation à long terme dont le constituant peut être victime de la part des marchands de vin et débitants ».

Le projet apporte cependant à l'aliénation ou à la désaffectation du bien de famille certaines restrictions. Le bien de famille ne peut, d'après le projet, être vendu à réméré. Le mari qui l'a constitué sur ses propres ne peut cependant l'alićner ou le désaffecter sans le concours de la femme. Le prédécès d'un époux, le divorce, la séparation de corps ou de biens, lorsqu'il existe des enfants mineurs, obligent le survivant ou l'époux séparé à obtenir une autorisation du juge avant de procéder à l'aliénation ou à la désaffectation (art. 13 et 14).

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Une loi du 7 mars 1905 (J. O. du 8 mars 1905) modifie la loi antérieure du 31 déc. 1903.

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LA

DÉFINITION ET LA NOTION JURIDIQUE

DE LA PROPRIÉTÉ

Par le Marquis de VAREILLES-SOMMIÈRES,
Doyen de la Faculté libre de Droit de Lille.

1.

I

L'observation attentive du droit que l'on désigne par le nom de propriété révèle qu'il doit être ainsi défini : C'est le droit en vertu duquel une personne peut en principe tirer d'une chose tous ses services.

Ou encore c'est le droit en vertu duquel une personne peut en principe faire d'une chose ce qu'elle veut.

Comme le font entendre les mots en principe, la propriété n'est pas le droit de tirer d'une chose tous ses services sans exception; elle n'est pas le droit de faire d'une chose absolument tout ce qu'on veut.

Le droit de faire d'une chose absolument tout ce qu'on veut n'existe pas, ne peut pas exister, car les lois naturelles, qui sont immuables, défendent ou ordonnent, comme nous le verrons, un certain nombre d'actes sur toutes les choses qu'on peut avoir légitimement sous sa puissance.

De plus, sans que le droit de propriété perde son nom et par conséquent sa définition, les lois positives lui font subir de nombreuses restrictions, et le propriétaire lui

R. DR. CIV. — IV.

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