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L'eau puisée au ruisseau n'est pas une partie du ruisseau : c'est de l'eau, et rien de plus. Le corps de l'homme est formé avec des éléments pris dans l'air et dans le sol : il n'est pourtant pas une partie de l'air ni un démembrement du sol. Mon habit n'est point un démembrement du mouton qui en a fourni la laine.

93. Pour être conséquents avec eux-mêmes, les auteurs qui qualifient de démembrements de la propriété les droits formés au détriment de la propriété devraient qualifier les créances de démembrements de la liberté individuelle. Un traité des obligations écrit par eux pourrait porter le titre plus élégant et plus jeune de traité des démembrements de la liberté individuelle.

Ils devraient critiquer et rejeter la définition traditionnelle de l'usufruit : « l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété » (art. 578, C. civ.). Un autre, d'après eux, ne peut avoir la propriété, puisque l'usufruit, à leurs yeux, est une partie de la propriété.

94. Il n'y a qu'un droit réel qui soit vraiment un droit partiel de propriété et puisse, sous l'empire des fictions qui des droits font des choses susceptibles de transmission, correctement recevoir le nom de démembrement de la propriété c'est le droit de copropriété. Comme par un fait exprès, c'est le seul auquel les auteurs, en général, ne donnent pas cette appellation.

95. L'intérêt scientifique est seul en jeu dans cette critique de l'expression démembrement de la propriété.

Pourtant, sans l'article 598 du Code civil, la manière de dire et de voir que nous repoussons aurait ou devrait avoir une conséquence pratique inattendue.

C'est que la moitié du trésor attribuée par l'article 711 du Code civil au propriétaire devrait se répartir, lorsque le fonds est grevé d'usufruit, de servitudes, d'hypothèques, entre les titulaires des différents fragments ou démembrements de la propriété. Une ventilation indiquerait la part de chaque ayant-droit.

Mais l'article 598, en déclarant que l'usufruitier n'a au

cun droit sur le trésor, délivre les auteurs de la nécessité de tirer de leur enseignement cette conclusion.

On peut être sûr du reste que l'article 598 n'a pas eu pour but de la leur épargner. Le mot et l'idée de démembrement de la propriété étaient inconnus alors. C'est la conséquence d'une tout autre thèse que le Code a voulu repousser, de la thèse qui présente le trésor comme une partie du sol et qui en réclamerait logiquement pour l'usufruitier la jouissance viagère.

Marquis DE VAREILLES-SOMMIÈRES.

LE

DROIT DE L'AVOCAT

AUX HONORAIRES

Par M. ALBERT WAHL.

1. A la suite d'un jugement retentissant du tribunal de la Seine (1), qui a été regardé pendant quelques jours comme mettant en péril les privilèges antiques de l'ordre des avocats, la publication d'un arrêté rendu par le Conseil de l'ordre des avocats de Paris dès 1899, mais qui jusqu'alors était resté inconnu, au moins des tribunaux et du public, a montré clairement ou aurait dû montrer-combien il est inexact de représenter l'ordre des avocats comme figé dans des principes séculaires et arriérés, comme se laissant conduire par des règles surannées et devenues, en présence des progrès survenus dans les idées, inexplicables. Le droit aux honoraires subit en ce moment, malgré les prétentions contraires de l'ordre des avocats lui-même, une importante évolution, qui n'est pas à beaucoup près la première, et qui vraisemblablement ne sera pas la dernière. Le sens exact du principe qui interdit aux avocats la réclamation de leurs honoraires, sa force obligatoire, ses conséquences restent contestés tant au point de vue juridique qu'au point de vue moral.

Nous avons essayé, dans les pages qui suivent, de projeter sur ces divers points quelque lumière.

(1) 1er mars 1995, La Loi, 2 mars 1995, Gaz. du Pal., 1905. 1. 365.

2.

..

I

- Il n'est pas inutile d'exposer les diverses phases de la question dans l'ancien droit, puisque c'est uniquement sur la tradition historique que se fonde juridiquement la théorie d'après laquelle l'avocat n'a pas le droit de réclamer des honoraires.

Dans la législation, il est certain que le droit de l'avocat a toujours été reconnu.

Déjà les honoraires étaient réglés par une ordonnance de Philippe le Hardi, qui, le 25 oct. 1274, déclarait que le salaire de l'avocat devait être proportionné à l'étendue de l'affaire et à l'expérience de l'avocat, et ne pourrait dépasser 30 livres tournois; l'avocat devait sous. serment s'engager à ne pas accepter davantage (1).

On avait même commencé par établir un salaire fixe : l'ancien Style du Parlement taxait l'honoraire à dix livres par cause (2); le Parlement de Paris, par un nouveau règlement de 1463, décida que les honoraires ne pouvaient excéder trente livres par cause (3).

Les honoraires ne cessèrent d'être fixes qu'en 1453. Une ordonnance de Charles VII décida que les salaires des avocats « seraient réduits à telle modération et honnêteté, eu égard aux ordonnances et observances anciennes et pauvreté du peuple, que nul n'ait cause de s'en plaindre envers nous, ni notre Cour ». La même ordonnance interdit aux avocats d'exiger leurs honoraires avant la plaidoirie (4).

On sait aussi que l'article 161 de l'ordonnance de Blois (1579) obligeait les avocats à « écrire et parapher de leur main ce qu'ils auront reçu pour leur salaire, et ce sous

(1) V. aussi infrà, no 5.

(2) Tit. 15, § 1, cité par C.-J. de Ferrière, Corps et compilation sur la cout. de Paris, sur le titre VI, § 2, 2o éd., 1714, t. ll, col. 295. - Brillon, Dict. des arrêts, vo Avocat, no 28, p. 357, dit trente livres.

(3) Art. 23. V. Fontanon, Édits et ordonnances, 1661, t. I, liv. I, tit. XIV, p. 69 et 70; Ferrière, loc. cit.; Brillon, loc. cit. Fontanon attribue, à tort,

à ce document la date de 1456.

(4) Art. 4. Néron et Girard, Ordonnances, éd. de 1720, t. I, p. 34.

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