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L 3270

FEB 1 9 1931

DU DROIT

DE

PRELÈVEMENT DANS LES PARTAGES

Par M. COTElle,

Président honoraire à la Cour de cassation.

A l'époque, bien lointaine hélas où je faisais mes premiers pas dans la vie judiciaire, suivant avec un respect qui n'était pas toujours exempt de trouble le travail de la doctrine et la marche parfois vacillante de la jurisprudence, on discutait vivement au Palais la nature du droit de reprise des époux sur l'actif de leur communauté dissoute, et les moyens de concilier ce droit avec l'action des créanciers. Question grave en elle-même, et dont la portée s'élargit encore, si l'on considère, avec Rodière et Pont, que, sauf la priorité donnée à la femme sur son mari, les reprises d'un époux dans le partage de la masse commune entre eux ne diffèrent en rien d'un rapport en moins prenant à la charge de l'autre, et qu'à la réserve de particularités secondaires les éléments du débat restent les mêmes, soit qu'il s'agisse de répétitions contre la communauté, de rapports à régler entre héritiers, ou des comptes d'un associé avec la collectivité dont il a vu se rompre le lien contractuel, ce qui ne laisse subsister qu'un état d'indivision.

Telle a été l'influence d'un arrêt célèbre, qu'on ose à peine se demander aujourd'hui si, dans la vérité du droit,

la femme ne devrait pas être remplie de ses reprises par préférence sur les autres créanciers de la communauté. Si cependant cet opuscule trouve des lecteurs que ne rebute pas l'exhumation d'un problème si généralement considéré comme enterré depuis quarante ans, peut-être n'aura-t-il pas été sans utilité d'appeler leur attention sur d'autres décisions moins remarquées qui, loin d'être inspirées du même esprit, semblent préjuger que la Cour de cassation n'aurait pas encore dit sur ce point de droit son dernier mot.

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La difficulté n'a jamais porté sur le retrait des propres qui subsistent en nature, ou sont remplacés par d'autres acquis dans les conditions légales de remploi, non plus que sur les rapports à succession, quand ils sont faits en nature, ni sur les biens dont un associé n'aura mis en commun que la jouissance, et dont il se sera.réservé la propriété.

Il n'y a pas plus de doute pour de logement et la nourriture de la veuve (art. 146 pour les linges et hardes que l'article 1495 permet de prélever, non pas en vertu d'un vrai droit de propriété, puisqu'elle ne communique pas cet avantage à ses héritiers, mais par un bienfait de la loi dont le profit ne peut lui être contesté, aux termes de l'article 560 du Code de commerce, qu'en cas de faillite de son mari.

Mais les articles 1470-1471, en traitant du partage de la communauté qu'ils supposent acceptée par la femme, portent que chacun des époux, en commençant par celle-ci, prélève d'abord sur les deniers, puis sur les meubles et subsidiairement sur les immeubles de la masse le prix de ses propres aliénés sans remploi et les indemnités qui lui sont dùes par la communauté; puis l'article 1493, relatif aux effets de la renonciation, reconnaît à la femme le droit de reprendre les mêmes prix et indemnités, mais sans employer cette fois le mot prélèvement, qui ne reparaît que dans l'article 1495, à propos du don que le Code fait à la femme renonçante de ses effets d'habillement.

C'est dans les cas ainsi prévus par les §§ 2 et 3 des articles 1470 et 1493, que s'est posée la question de savoir si, en dehors de l'hypothèque légale qui peut garantir ses reprises, la femme a la priorité, pour les exercer, non seulement sur son mari, lorsqu'il n'y a pas de passif en souffrance, mais sur les créanciers de la communauté quand elle l'accepte, et si elle y renonce, sur les créanciers de son mari.

Il semblait que, même en faisant abstraction de la dissemblance des deux textes, la simple logique conduisit, dans l'une et l'autre de ces deux hypothèses, à des solutions opposées, puisque, la communauté étant censée n'avoir jamais existé, du moment que la femme y renonce, celle-ci meurt investie contre son mari d'une simple créance, que l'article 1493 se borne à lui reconnaître, sans que rien donne lieu pour elle à la réclamation d'un traitement privilégié. Pour la femme acceptante, au contraire, la formule, souvent mise en usage, qu'elle exerce ses reprises à titre de propriété, peut avoir le tort de prêter à une équivoque; mais elle est très juste au fond, parce que, dans son caractère d'action mixte, la demande en partage de l'actif ne tend pas seulement à ce qu'il soit formé deux lots des biens indivis, mais à ce que, dans la répartition qui en sera faite entre les époux, chacun d'eux soit rempli, sur ces biens, de ses causes de répétition ou d'indemnité. Les reprises sont ainsi, même en cas d'acceptation, le mode de payement d'une créance; mais elles se réalisent, dans l'opération divisoire dont elles font, d'après la loi, partie intégrante, au moyen d'une dévolution de propriété, laquelle emprunte à cette opération son effet déclaratif. Il en résulte que la femme ainsi fournie est réputée l'avoir été par l'événement même de la dissolution de la communauté, fiction juridique qui ne rencontrerait d'obstacle que si, dès ce moment, les biens sur lesquels s'exerce son prélèvement avaient été aliénés par le mari. Car, encore qu'il ait été jugé par la chambre des requêtes, le 20 nov. 1834 (S. 34. 1. 131), que l'article 882 ne s'appliquait qu'aux partages successoraux, quant à la forclusion dont il frappe l'action paulienne des créanciers qui n'ont pas formé opposition, cela n'empêche

pás que, dans les partages de toutes sortes, l'effet de cette opposition ne se réduise à empêcher qu'il soit fait fraude aux droits des créanciers, qualification que ne comportent pas des combinaisons de reprises prévues et formellement permises par la loi.

Un autre arrêt ancien, du 24 janv. 1837 (S. 37. 1. 106), avait dit, à la vérité, que la règle de la division des dettes n'était pas moins étrangère à la liquidation de communauté; mais, cette doctrine ayant été, comme nous le verrons plus loin, désavouée par un arrêt de la chambre civile du 18 avr. 1860 (S. 60. 1. 305), on peut conclure de là que tandis que la femme est conviée par l'article 1470 à prélever ses reprises sur la masse indivise, qui par conséquent en forme le gage, les créanciers de la communauté n'ont sur cette masse aucune prise directe, étant soumis au contraire, au regard de la femme, à la division des dettes, laquelle nove légalement les créances des tiers, à la différence de celles des copartageants, et ne leur laisse pour répondants que chacun des époux, dans la mesure de responsabilité impartie tant au mari qu'à la femme par les articles 1482 et suivants. Les biens reçus en partage par l'un des époux deviennent, avec le surplus de son avoir, le gage de ses créanciers particuliers, au même rang que des créanciers de la communauté, pour la totalité du passif de celle-ci, quand la poursuite est dirigée contre le mari, mais pour la moitié seulement (et encore sauf le bénéfice de compétence) en cas de poursuite contre la femme. Les créanciers soit de la communauté, soit du mari, ne sauraient intervenir au partage pour y contredire à des prélèvements qui, pourvu que la cause en soit justifiée, leur sont opposables, dussent-ils absorber toutes les ressources de la communauté au profit de la femme, tandis qu'elle n'est tenue du passif que pour moitié ou même en sera quitte, à la condition qu'il ait été dressé un inventaire, s'il n'y a pas pour elle d'émolument, c'est-à-dire de gain de communauté s'ajoutant à des reprises qui n'ont que le caractère d'indemnité ou de restitution.

Rien dans la rédaction de l'article 1470 ne tend à différencier le droit conféré à la femme par les §§ 2 et 3 de celui

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