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Conclusions. Nos conclusions seront très simples. Elles peuvent se résumer dans les deux formules suivantes :

1o C'est à l'esprit plutôt qu'à la lettre des lois ouvrières. que les juges doivent se reporter, s'ils ne veulent point trahir la pensée réformatrice qui les a inspirées, et les faire servir à des fins contraires au but poursuivi par le législa

teur.

2o Les textes obscurs ou équivoques, tels que l'article 1780 du Code civil, doivent être remaniés, les lois sur la coalition et les syndicats doivent être complétées, par la reconnaissance expresse du droit collectif des organisations ouvrières, et la détermination aussi complète que possible des facultés que ce droit implique.

De telles réformes, en précisant la position respective des parties en conflit, en faisant le départ exact entre le droit de l'individu et le droit de la collectivité, ne peuvent que servir la cause de la paix sociale, objectif essentiel de la législation ouvrière contemporaine.

P. PIC.

DE LA LONGUE POSSESSION

EN MATIÈRE DE

NOM PATRONYMIQUE

Par M. E.-H. PERREAU,

Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montpellier.

Le nom patronymique n'étant pas un bien dans le commerce, on ne peut parler pour lui d'acquisition par l'usucapion proprement dite (art. 2226, C. civ.) (1). Est-ce à dire cependant qu'à son égard la possession prolongée demeurera. toujours lettre morte?

L'autorité de celle-ci repose sur des motifs dont la portée dépasse de beaucoup les bornes de la prescription. La stabilité de l'ordre social exige que, sans les motifs les plus graves, on ne porte pas atteinte aux situations dès longtemps établies.

S'inspirant de cette idée, les tribunaux ont souvent admis la consolidation par longue possession de droits qui, portant sur des attributs de la personnalité, échappent à la

(1) La doctrine et la jurisprudence sont dès longtemps d'accord sur ce point. Merlin, Rép. jurispr., vo Prescription, sect. III, § 6; Troplong, De la Prescription, no 248; Baudry-Lacantinerie et Tissier, De la Prescription, no 134, 2e édit., p. 91; Douai, 24 déc. 1835 (S. 37. 2. 188); Martinique, 11 févr. 1836 (S. 41. 1. 532); Paris, 4 déc. 1863 (D. P. 64. 2. 12); Lyon, 24 mai 1865 (D. P. 65. 2. 163) (motifs); Req. 15 mai 1867 (D. P. 67. 1. 241; S. 67. 1. 241); id., 17 nov. 1891 (D. P. 93. 1. 245; S. 93. 1. 25); id., 10 nov. 1897 (D. P. 98. 1. 242; S. 99. 1. 337).

R. DR. CIV. — IV.

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prescription acquisitive, comme les droits aux surnom et pseudonyme (1).

Pour écarter du patronymique toute possibilité d'acquisition par long usage, il ne suffit donc pas d'alléguer, comme on le fait à l'ordinaire (2), qu'il est l'objet d'un droit extra commercium.

Le noeud de la difficulté réside dans l'immutabilité du nom de famille. Sa solution dépend du but et de la portée qu'on donne à ce principe.

En fait-on seulement un moyen d'empêcher les fraudes sur l'identité de la personne, une sorte de mesure policière assurant la distinction des individus? La possession établira définitivement le droit au patronymique lorsqu'elle sera suffisamment longue pour empêcher toute méprise.

Lui assigne-t-on pour but d'empêcher que les années n'altèrent la consistance des groupes familiaux? Comme la parenté, le patronymique devient indestructible par le temps, et l'usage d'un nom, si prolongé qu'il soit, ne saurait le faire acquérir.

Cependant, même en admettant cette seconde théorie, la longue possession garde un rôle important. Dans toute société bien organisée le fait correspond habituellement au droit; en outre, à mesure qu'un état de fait se prolonge, sans soulever de protestations, il devient chaque jour plus vraisemblable qu'il constitue l'exercice d'un véritable droit. Si donc la possession ne fait pas, en principe, acquérir un patronymique, elle engendre toutefois une présomption en faveur de la légitimité du nom, d'autant plus forte qu'elle aura plus duré.

La jurisprudence française est passée par deux phases où les deux solutions précédentes ont successivement prédominé.

(1) Paris, 30 déc. 1868 (S. 69. 2. 139); Trib. Toulouse, 18 mai 1886 (S. 86. 2. 119); Trib. Seine, 22 juill. 1896 (S. 97. 2. 219); id., 1er août, 1903 (D. P. 1904. 2. 4).

(2) Voy. Merlin, op. et loc. cit.; Baudry-Lacantinerie et Tissier, op. et loc. cit.; Paris, 4 déc. 1863, précité; Riom, 2-9 janv. 1865 (D. P. 65. 2. 17; S. 65.

Aux xvre et xvIe siècles, le principe de l'immutabilité des noms s'implante avec peine, sous l'effort combiné des édits et des arrêts (1). Des exceptions sont admises en foule, et spécialement on reconnaît l'acquisition des noms par long usage. Les exemples en abondent; notamment au milieu du XVIIe siècle, Antoine de Meau oppose victorieusement, devant le Parlement de Paris, à une action en contestation de nom, qu'il possède le sien depuis soixante-dix ans (2).

Cependant le maintien de l'ordre et de la paix à l'intérieur du royaume, la facilité croissante des communications, le développement des affaires commerciales élargissaient le cercle des relations de famille et d'intérêt, et faisaient prendre l'antique habitude de résider toujours en son lieu d'origine, de telle sorte que, pour éviter les tromperies sur l'identité des personnes, et pour faciliter les recherches généalogiques, il devenait indispensable d'assurer une plus grande fixité des noms. La généralisation et le perfectionnement des registres des paroisses fournissaient un moyen pratique d'y parvenir.

Le principe de l'immutabilité devient chaque jour plus absolu; les exceptions disparaissent une à une (3), et parmi elles la faculté de changer de nom par simple usage. Si la théorie antérieure paraît avoir toujours conservé quelques partisans, au cours du XVIe siècle la jurisprudence. rejette l'acquisition par possession prolongée, tirant seulement de l'usage centenaire une présomption toujours susceptible d'être combattue par la preuve inverse.

Si bien qu'à la fin de notre ancien droit les praticiens

(1) Édit d'Amboise, 26 mars 1555, article 9; Ord. janvier 1629 (Code Michaud), article 211; cahiers des Etats généraux de 1614, article 162. Pour la jurisprudence, Voy. les arrêts cités par Brillon, Dictionnaire des arrêts, vo Nom, nos 15 et suiv., et par Charondas, Recueil de réponses, liv. XIX, rép. 48.

(2) Bardet, Recueil d'arrêts, II, p. 341, liv. VIII, ch. 8.

(3) On se rend facilement compte de cette évolution, en comparant les dates où écrivaient les auteurs qui admettent par exemple la transmission d'un nom, sans formalité, en vertu de dons ou legs, et ceux qui exigent en pareil cas des lettres patentes (Voy. les listes d'auteurs contenues dans Denisart, Décisions nouvelles, vo Nom, no 8 et 10).

présentaient cette conception nouvelle comme acceptée depuis longtemps par l'opinion dominante (1).

La jurisprudence moderne nous paraît avoir suivi, dans son ensemble, les derniers errements de nos anciens Parlements. La controverse relative à l'usage de la possession s'est pourtant perpétuée jusqu'à nos jours. La possession acquisitive a trouvé récemment encore des défenseurs; elle peut même invoquer certains arrêts (2).

Chacun explique à sa façon cette jurisprudence, interprétée tantôt comme entièrement favorable à l'usucapion des noms (3), tantôt comme absolument contradictoire (4). Nous sera-t-il permis d'en tenter une autre explication; et, pour y parvenir, d'examiner à nouveau la vieille controverse?

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La déduction rigoureuse des principes et les nécessités sociales s'unissent à l'autorité de la tradition pour repousser l'acquisition du patronymique par simple

usage.

Conséquence de la parenté, le patronymique doit être, comme elle, à l'abri des atteintes du temps. Marque exté

(1) Merlin, Rép. jurispr., vo Prescription, sect. III, § 6. Il affirme que les arrêts étaient fort nombreux en ce sens, et cite comme exemple un arrêt de la Grand'Chambre du Parlement de Rouen du 14 août 1771.

De nos jours ces deux périodes de notre ancien droit n'ont pas toujours été distinguées par certains auteurs ou arrêts, d'après lesquels il aurait toujours été permis, avant la Révolution, d'acquérir par l'usage un patronymique (Civ. 20 nov. 1866, D. P. 66. 1. 437; S. 66. 1. 419; Req. 25 mai 1869, S. 69. 1. 308; Appert, note au S. 99. 1. 338). En revanche d'autres soutiennent que la possession antérieure n'avait aucune autorité pour la preuve du nom, mais seulement pour celle de la noblesse (Lallier, De la propriété des noms et titres, n° 179, p. 333, et note. S. 93. 1. 26).

(2) Conclusions de l'avocat général Paul Fabre (D. P. 67. 1. 244; S. 67. 1. 242); lettre du Garde des sceaux au procureur général de Paris, 13 mars 1895 (Journ. des parquets, 95. 379: Lois nouvelles, 95. 3. 139); Appert, note (S. 99. 1. 337); Orléans, 14 août 1860 (D. P. 60. 2. 172); Riom, 2-9 janv. 1865 (D. P. 65. 2. 17; S. 65. 2. 7); Bourges, 9 janv. 1889 (D. P. 89. 2. 270). (3) Appert, note précitée.

(4) Lallier, op. cit., p. 332, note 2 et S. 93. 1. 25 et 2. 285; Baudry-Lacantinerie et Tissier, op. cit., n° 134 ter, p. 93.

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