au plus tard le lendemain, son agent n'avait pas la faculté de voir le général Bonaparte, il arriverait avec son état - major et forcerait l'entrée, sans égard pour les suites fâcheuses que son irruption pourrait avoir. Le général Montholon chercha à le détourner de ce dessein, lui représenta les égards qu'on doit au malheur, le trouble, le désordre où son apparition inattendue jetterait l'empereur: il ne voulut rien entendre. Il s'inquiétait fort peu qu'il vécût, qu'il mourût; son devoir était de s'assurer de sa personne, il le remplirait. J'apercevais le tigre rodant autour de l'habitation; j'étais suffoqué, hors de moi; je sortais lorsqu'il me saisit au passage. « Que fait le général Bonaparte? - Jel'ignore. Où estil? Je ne sais. Il n'y est pas? » Il montrait la cabane.- « Il n'y est pas. --Disparu?Tout-à-fait. - Comment ? quand ? Je ne sais pas au juste. - Cherchez, rassemblez vos idées; depuis quelle heure? L'heure! la dernière bataille qu'il a commandée est, je crois, celle d'Aboukir. Il combattait pour la civilisation, vous défendiez la barbarie; il défit, jeta vos alliés à la mer; sa victoire fut complète ; je n'en ai pas entendu parler de puis. - Docteur! - Excellence!-Tout ici... Soldats! Soldats! accourez; mettez le com ble à vos outrages; arrachez un reste de vie à l'empereur. L'empereur! quel empereur ? Celui qui fit trembler l'Angleterre, qui montra à la France le chemin qui conduit à Douvres, et mit aux mains du continent la massue qui tôt ou tard donnera le coup de grâce à votre aristocratie. » Son excellence s'éloigna; je restai seul avec Reade. « Ce n'est pas ainsi....- Non, sûrement, ce n'est pas ainsi; il faut avoir l'âme pétrie du limon de la Tamise pour venir épier le dernier soupir d'un moribond; son agonie vous tarde, vous voulez la presser, en jouir. Le Cimbre chargé d'égorger Marius, recula devant le forfait qu'il devait commettre ; mais vous !... allez, si l'opprobre se mesure à l'attentat, nous sommes bien vengés. » La résolution était trop ferme et le Calabrois trop sauvage pour qu'on pût compter sur les bienséances et les droits de l'humanité. Le comte Bertrand et le général Montholon cherchèrent un autre moyen de conjurer l'orage. Ils représentèrent à Napoléon que sa : santé exigeait des soins, des ménagemens, une pratique éclairée, et furent assez heureux pour le déterminer à prendre un médecin consultant. Il choisit le docteur Arnott que le gouverneur rendit responsable de l'existence de l'empereur, et qui fut obligé de faire chaque jour à l'officier d'ordonnance un rapport que celui-ci était chargé de transmettre à Plantation-House. 2 avril. L'empereur a été fort agité pendant la nuit dernière; il a eu des sueurs visqueuses abondantes à la tête, à l'épine du dos, à la poitrine et aux extrémités supérieures. Il est d'une faiblesse extrême, et son pouls donne soixante-seize pulsations par minute. 7h. A. M. Nouveau paroxisme, accompagné de bâillemens, de pesanteur de tête et de douleur abdominale. Toux sèche et fréquente. 9 h. A. M. - J'introduis le docteur Arnott auprès de l'empereur, qui lui adresse plusieurs questions relatives à sa maladie; il se plaint beaucoup de l'estomac et de l'abdomen. Le médecin anglais propose l'usage d'une nourriture animale, telle que gélatine ou autre analogue, dont le choix doit être subordonné à l'état des forces digestives: il conseille en outre de rester au lit le moins possible, et de faire usage de pilules composées d'extrait d'aloës succotrin, de savon dur, ana, demi-gros; huile de carvi, deux gouttes; d'en faire douze et d'en prendre deux le matin et deux le soir. L'empereur témoigne une répugnance extrême pour toute espèce de mé dicamment, surtout à l'état liquide. Sueurs visqueuses et 11 h. A. М. abondantes. La fièvre perd beaucoup de son intensité. 3 h. P. M. - Les sueurs durent encore. Le météorisme du bas-ventre augmente à chaque instant. - Oppression de l'estomac, accompagnée d'un sentiment de pulsation. malade refuse de prendre les pilules. vement suivi presque aussitôt d'une légère Le Nouvelle exacerbation de la fièvre, accompagnée de froid glacial, principalement aux extrémités inférieures. 7h.-P. M. - Les domestiques rapportent qu'ils ont observé une comète vers l'orient. « Une comète! s'écrie l'empereur avec émo« tion, ce fut le signe précurseur de la mort << de César. » J'arrivai au milieu du trouble où ce rapport l'avait mis. « Vous avez vu, << docteur ? - Non, sire; rien. - Comment! « la comète ? - On n'en aperçoit pas. On « l'a vue. On s'est mépris; j'ai long-temps « observé le ciel, je n'ai rien découvert. << Peine perdue! je suis à bout, tout me l'an« nonce, vous seul vous obstinez à me le ca« cher; que vous en revient-il? pourquoi << m'abuser? Mais j'ai tort; vous m'êtes atta« ché, vous voulez me voiler l'horreur de « l'agonie, je vous sais gréde votreintention. » 3 avril. Le malade a passé une assez bonne nuit, il a beaucoup dormi, et à six heures du matin il a pris un lavement composé qui a été suivi d'une évacuation abondante de matières pituiteuses, partie liées, partie en suspension, et d'une odeur insupportable. Je rencontrai Thomas Reade comme je sortais de chez l'empereur. Il était impatient, soucieux, brûlait de lui voir occuper l'habitation nouvelle; il m'en parla, s'étonna que |