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Le 19, l'Assemblée repousse l'appel au peuple et ajourne au lendemain de décider s'il y aura sursis ou non à l'exécution du jugement. Le 20, après de violents débats, à trois heures du matin, Vergniaud proclame le vote définitif. Sur six cent quatre-vingt-dix votants, trois cent dix ont voté pour le sursis, trois cent quatre-vingts contre. L'Assemblée décrète que l'exécution aura lieu dans les vingt-quatre heures. Les montagnards avaient triomphé.

Le 18 janvier, de Sèze, Tronchet et Malesherbes s'étaient rendus au Temple. L'ancien ministre de Louis XVI se précipite aux pieds de son maître, et par ses sanglots lui apprend la fatale nouvelle. Le roi, toujours calme et digne, le relève, le serre tendrement dans ses bras, et lui dit d'une voix pleine de douceur: « Ah! mon cher Malesherbes, ne m'enviez pas le seul asile qui me reste. Sire, tout espoir n'est pas perdu, on va délibérer sur le sursis, et, s'il est refusé, nous aurons encore l'appel à la nation. - Mais non, il n'y a plus d'espoir; je suis prêt à mourir pour mon peuple; puisse mon sang le sauver des horreurs que je redoute pour lui! » A la fin de cette touchante entrevue, le roi embrasse ses défenseurs et leur fait promettre de revenir. Mais il ne devait plus les revoir; la porte du Temple s'était refermée pour jamais derrière eux. La journée du 19 janvier fut peut-être la plus douloureuse de la captivité royale: Louis se savait condamné; il ne savait rien de plus. De tout le jour il ne voit pas d'autre visage ami que celui du fidèle Cléry. Plusieurs fois il demande M. de Malesherbes, mais ses geôliers municipaux ne lui font que des réponses évasives. Le 20 janvier, Garat président du conseil exécutif, Lebrun ministre des affaires étrangères, et le secrétaire du conseil Grouvelle se rendent au Temple pour signifier à Louis XVI les derniers décrets de la Convention. Le roi, qui avait entendu beaucoup de mouvement, s'était levé et avait fait quelques pas; mais, à la vue de ce cortége, il resta entre la porte de sa chambre et celle de l'antichambre dans l'attitude la plus noble. Garat, le chapeau

sur la tête, prit la parole et dit : « Louis, la Convention nationale a chargé le conseil exécutif provisoire de vous signifier ses décrets des 15, 16, 17, 19 et 20 janvier; le secrétaire du conseil va vous en faire lecture. » Alors Grouvelle lit d'une voix émue les quatre articles dont se compose la terrible sentence. La Convention déclarait Louis Capet, dernier roi des Français, coupable de conspiration contre la liberté et d'attentat contre la sûreté générale de l'État. Elle le condamnait à la peine de mort, rejetant tout sursis, tout appel à la nation, et déterminait que l'exécution de son arrêt aurait lieu dans les vingt-quatre heures. Pendant cette lecture, aucune altération ne parut sur le visage du roi. Je remarquai seulement, dit Cléry, qu'au premier article, lorsqu'on prononça le mot conspiration, un sourire d'indignation parut sur le bord de ses lèvres. Mais au mot: subira la peine de mort, un regard céleste, qu'il porta sur tous ceux qui l'environnaient, leur annonça que la mort n'était pas une épouvante pour l'innocence. Le roi fit un pas vers Grouvelle, prit le décret, le plia et le mit dans son portefeuille. Puis, retirant un papier du même portefeuille, il dit au ministre Garat : « Monsieur le ministre de la justice, je vous prie de remettre sur-le-champ cette lettre à la Convention nationale. » Le ministre paraissant hésiter, le roi ajouta : « Je vais vous en faire lecture, » et il lut d'une voix ferme la série des demandes suprêmes qu'il faisait à l'Assemblée. Il réclamait un délai de trois jours pour pouvoir se préparer à paraître devant Dieu; l'autorisation de voir pendant cet intervalle sa famille sans témoins; la faculté d'appeler un prêtre de son choix. Il recommandait en outre à la nation les personnes qui avaient été attachées à sa presonne ou à sa maison, et exprimait le désir que la Convention s'occupât de suite de la famille royale et lui permît de se retirer où elle le jugerait à propos. Il terminait en demandant d'être délivré de la surveillance perpétuelle que la Commune avait établie autour de lui depuis quelques jours. Garat promet au roi de porter sans retard sa lettre à la Con

vention. Louis lui remet alors un autre papier. « C'est, dit-il, l'adresse de la personne que je désire voir. » Ensuite il se dirige vers la tourelle qui lui sert d'oratoire, et les représentants de l'autorité révolutionnaire se retirent en silence (1).

Pour faire comprendre toute la grandeur de cette scène, après avoir entendu Cléry, le fidèle serviteur du roi, écoutons encore Hébert, substitut du procureur de la Commune. « Je voulus être du nombre de ceux qui devaient être présents à la lecture de l'arrêt de mort de Louis. Il.écouta avec un sang-froid rare la lecture de ce jugement; lorsqu'elle fut achevée, il demanda sa famille, un confesseur, enfin tout ce qui pouvait lui être de quelque soulagement à son heure dernière. Il mit tant d'onction, de dignité dans son maintien et dans ses paroles, que je ne pus y tenir. Il avait dans ses regards et dans ses manières quelque chose de surnaturel à l'homme. Je me retirai en voulant retenir les larmes qui coulaient malgré moi, et bien résolu de finir là mon ministère. Je m'en ouvris à un de mes collègues qui n'avait pas plus de fermeté que moi pour le continuer, et je lui dis avec ma franchise ordinaire : « Mon ami, les prêtres, membres de la Convention, en votant pour la mort du roi, quoique la sainteté de leur ministère le leur défendît, ont formé la majorité qui nous délivre du tyran. Eh bien! que ce soient aussi des prêtres constitutionnels qui le conduisent à l'échafaud; des prêtres constitutionnels ont seuls assez de férocité pour remplir un tel emploi. Nous fîmes en effet décider, mon collègue et moi, que ce seraient les deux prêtres municipaux Jacques Roux et Jacques-Claude Bernard qui conduiraient Louis à la

mort. »

- "

(1) Au moment où Louis XVI remettait à Garat l'adresse de M. Edgeworth de Firmont, un autre ecclésiastique insermenté s'offrait au conseil général de la Commune pour remplir l'office de charité et de dévouement qui allait immortaliser le nom du confesseur de Louis XVI. Voici la teneur de sa pétition. 20 janvier 1793. René Legris-Duval, natif de Landernau, département du Finistère, employé jusqu'au 10 août au séminaire de Saint-Sulpice, demeurant à Versailles chez le sieur Cerisier, boulevard du Roi, demande à être admis auprès de Louis Capet en qualité de confesseur. Il déclare qu'il n'a pas prêté serment parce que sa conscience ne le lui permettait pas. »

Rien n'était plus vrai que cette remarque d'Hébert. Le clergé constitutionnel méritait la honte qui lui était infligée (1), d'autres encore et de plus terribles lui étaient réservées. Les prêtres jureurs étaient les hommes de la révolution, et la révolution, après avoir mis la main sur l'épaule d'un homme, après l'avoir marqué de son sceau, ne le lâche plus.

Le soir du 20 janvier, Garat revint au Temple avec la réponse de la Convention. Louis XVI était libre d'appeler tel ministre du culte qu'il jugerait à propos, et de voir sa famille sans témoins; la nation, toujours grande et juste, ferait un sort convenable à cette dernière, mais la Convention nationale avait passé à l'ordre du jour sur le sursis de trois jours. Louis XVI demande à Garat s'il avait fait prévenir M. Edgeworth de Firmont. « Oui, dit Garat, il est dans ma voiture. » Un moment après le courageux prêtre parut devant Louis. « Parvenu à l'appartement du roi, dont toutes les portes étaient ouvertes, a-t-il écrit lui-même, j'aperçus ce prince au milieu d'un groupe de huit ou dix personnes; c'était le ministre de la justice, accompagné de quelques membres de la Commune, qui venait de lui lire le fatal décret qui fixait irrévocablement sa mort au lendemain. Il était au milieu d'eux, calme et tranquille, gracieux même, et pas un seul de ceux qui l'entouraient n'avait l'air aussi assuré que lui (2). Dès que je parus, il leur

(1) Sur les seize évêques constitutionnels membres de la Convention, quatre condamnèrent Louis XVI à mort: Lindet, évêque de l'Eure; Massieu, de l'Oise; Gay-Vernon, de la Haute-Vienne; Huguet, de la Creuse. Grégoire était absent, mais il écrivit à la Convention qu'il votait pour la condamnation sans appel au peuple.

Dix-neuf curés, vicaires épiscopaux ou simples prêtres opinèrent également pour la mort. Sieyès était du nombre.

(2) Déjà lorsqu'il fut mandé au ministère, M. Edgeworth y avait trouvé tous les ministres dans un état de consternation qui trahissait les angoisses d'une conscience pliant sous l'énormité du crime qu'ils commettaient. Dans le trajet des Tuileries au Temple, deux ou trois fois le ministre avait rompu le silence en s'écriant, tantôt : « Grand Dieu, de quelle affreuse commission je me vois chargé ! tantôt : " Quel homme! Quelle résignation! Quel courage! Non, la nature toute seule ne saurait donner tant de force. Il y a là quelque chose de surhumain. » Si le mystère d'iniquité s'accomplissait, le mystère des vues secrètes de la Pro vidence commençait déjà à se déclarer.

fit signe de la main de se retirer; ils obéirent; lui-même ferma la porte après eux, et je restai seul dans la chambre avec

lui. »

Incapable de maîtriser plus longtemps les mouvements qui agitaient son âme, M. Edgeworth tomba aux pieds du roi, et les larmes du prince infortuné se mêlèrent à celles du sujet fidèle. Mais bientôt, le relevant avec bonté : Pardonnez-moi, dit le roi, ce moment de faiblesse. Depuis longtemps je vis au milieu de mes ennemis, et l'habitude m'a en quelque sorte familiarisé avec eux. Mais la vue d'un sujet fidèle parle tout autrement à mon cœur, et il m'attendrit malgré moi. « En disant ces paroles, continue M. Edgeworth, il me fit passer dans son cabinet, afin de m'entretenir plus à l'aise, car dans sa chambre tout était entendu. Là, me faisant asseoir près de lui: C'est donc à présent, me dit-il, monsieur, la grande affaire qui doit m'occuper tout entier ! Hélas, la seule affaire, car que sont toutes les autres auprès de celle-là? Cependant, je vous demande quelques moments de répit, car voilà que ma famille va descendre. »

Malgré l'émotion que lui causait l'approche de cette entrevue, Louis XVI conservait toute sa présence d'esprit. Comme la famille royale ne descendait pas, il lut son testament à deux reprises, et avec le plus étonnant sang-froid, à M. Edgeworth. « Sa voix était ferme, dit celui-ci, et il ne paraissait d'altération sur son visage que lorsqu'il rencontrait des noms qui lui étaient chers. Alors toute sa tendresse se réveillait, et il était obligé de s'arrêter un moment et ses larmes coulaient malgré lui. »

Cette lecture achevée et la famille royale tardant toujours, le roi se hâta de demander au prêtre fidèle des nouvelles du clergé et de la situation de l'Église en France. Il voulut surtout savoir ce qu'étaient devenus quelques évêques auxquels il prenait un intérêt plus particulier, le cardinal de la Rochefoucauld, l'évêque de Clermont et surtout l'archevêque de Paris. « Marquez-lui, dit-il avec instance, que je meurs dans

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