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les Commissions dans leurs rapports, j'ai vu que ces avértissements étaient répétés avec plus de force et d'insistance dans les conférences que ces Commissions avaient avec le Ministre des finances, il m'a paru évident que j'aurais manqué au premier de mes devoirs si je n'avais soumis l'examen de cette grave question aux lumières des personnes les plus propres à l'éclairer.

a Messieurs, le danger que peuvent offrir à un jour donné les caisses d'épargne existe-t-il ou n'existe-t-il pas ? Je répète, et je tiens à répéter que je suis d'autant plus à mon aise pour examiner cette question, qu'elle est maintenant aussi éloignée que possible. Quant à moi, j'ai la conviction qu'il peut arriver un moment où ce danger existerait, où il créerait un grave embarras au Trésor, et que ceux qui n'auraient pas cherché à le prévenir auraient encouru une grande responsabilité. C'est cette responsabi lité que j'ai voulu éviter pour mon compte en présentant le projet de loi.

«On a parlé du passé. Je dirai tout-à-l'heure pourquoi je n'admets pas que le passé soit une garantie complète relativement à l'avenir; mais j'examine d'abord le passé en lui-même.

« Je prie la Chambre de remarquer que, dans les chiffres que l'on a donnés hier, on a présenté les résultats de toute une année: or, quand il y a eu des crises, ces crises ont été courtes et momentanées : si ces crises sont arrivées au commencement de l'année, les opérations de la fin de cette année en atténuent les effets et les font disparaître; si ces crises sont arrivées à la fin de l'année, les résultats du commencement de l'année ont produit d'avance le même effet. Ce n'est donc pas là une manière de raisonner qu'il faut adinettre; il faut voir les résultats à des moments donnés. Pour moi, je ne donnerai à la Chambre que deux chiffres..ce sont les chiffres des versements et des remboursements à Paris des mois de septembre et d'octobre 1840.

« Au mois de septembre 1840 les versements ont été de 1,760,000 fr.; dans tous les mois antérieurs, ils avaient dépassé 2,500,000 fr., et quelquefois même 3,400,000 fr.; les remboursements ont été de 3,926,000 fr.; pour le mois

d'octobre les versements ont été de 1,756,000 fr., les remboursements de 6.139,000 fr.

« Messieurs, ces chiffres sont un avertissement; ils montrent qu'à des moments donnés, et l'on peut concevoir des craintes plus graves, car alors on n'en était qu'à la crainte d'une guerre, et d'une guerre assez éloignée; ils montrent, dis-je, qu'à des moments donnés, on peut être exposé à des demandes de remboursements considérables. On peut, je le répète, en concevoir de plus graves que ceux que je rappelle, et cependant il y a eu alors un premier mois où les remboursements ont été de plus du double des versements, et un second mois où ils ont été presque du quadruple.

« Il peut donc arriver, et aucune prévoyance humaine ne peut mettre obstacle à cela ; il peut donc arriver des circonstances où certaine méfiance s'empare des esprits et où les déposants aux caisses d'épargne viennent en plus grand nombre qu'à l'ordinaire réclamer du Trésor le remboursement des sommes qui lui sont confiées.

Je disais tout-à-l'heure que le passé ne pouvait pas être une garantie complète de l'avenir; je vais expliquer ma pensée.

« On a parlé de 1830 et 1834. A cette époque la masse des dépôts aux caisses d'épargne était de 5 à 6 millions. Il est évident que, quelque graves qu'eussent été les évènements, personne ne pouvait penser que le Trésor fit banqueroute, pour employer le mot, pour une somme de 6 millions.

« En 1840, les versements étaient beaucoup plus considérables; cependant ils ne s'élevaient encore, pour la masse de toute la France, qu'à 150 millions environ. On conçoit encore que des hommes qui entendent, qui écoutent les raisonnements des personnes sages auxquelles elles peuvent s'adresser, se soient dit que cette somme n'était pas tellement considérable qu'il pût en résulter des embarras serieux pour le Trésor; mais si la somme s'élevait plus haut, si elle s'élevait à 400 millions, à 600 millions, si elle s'élevait à 800 millions, quelque certitude qu'on ait que le Gouvernement fera tous ses efforts pour faire face aux engagements qu'il a contractés, ne se dirait-on pas qu'il pourrait y avoir, malgré sa bonne volonté et ses efforts, des

difficultés qui pourraient arriver jusqu'à l'impuissance? On se tromperait; car maintenant les esprits sont assez éclairés partout pour être bien certains que jamais un Gouvernement ne reculera devant aucun sacrifice pour éviter ce qui serait pour lui le plus grand dommage, de manquer à ses engagements.

« On se tromperait donc, je le répète, mais la crainte n'en existerait pas moins dans beaucoup d'esprits. Ces esprits-là se diront que, plus on se pressera pour venir réclamer, plus on aura de chances d'éviter la perte que l'on redoute, il y aurait là des paniques inévitables.

Il faudrait fermer les yeux à la lumière pour ne pas reconnaître qu'il y a là un danger qui résulte de l'institution des caisses d'épargne. C'est ce danger qui a excité la sollicitude des diverses Commissions qui ont provoqué l'examen de la part du Gouvernement; c'est ce danger qui a préoccupé le Gouvernement lui-même lorsqu'il a examiné la question, et qui l'a conduit à présenter le projet de loi.

« Je sais qu'on fera à ce projet de loi un reproche ; j'ai eu plus d'une fois l'occasion de le dire dans le sein de la Commission administrative qui avait été formée: on fera à ce projet de loi le reproche qu'il est insuffisant, qu'il ne remédie pas complètement au danger que je viens d'indiquer.

« C'est vrai, je suis le premier à le reconnaître; ce reproche je l'accepte, je m'en glorifie. Pour que le remède fût complètement suffisant, pour qu'il fût complètement efficace, il aurait fallu altérer l'institution, il aurait fallu renoncer à une partie des avantages que j'indiquais tout-àl'heure. Il m'a paru que le devoir du Gouvernement était de se résigner à laisser subsister une partie d'un danger éventuel plutôt que d'y remédier par un moyen qui irait au-delà du but, et qui substituerait à un danger éventuel des inconvénients souvent répétés et beaucoup plus grands.

« Mais de ce que ce projet ne fait pas tout ce qui est nécessaire pour remédier au mal, s'ensuit-il qu'il ne faille pas adopter les mesures propres à diminuer ce mal, lorsque ces mesures n'ont pas d'ailleurs les inconvénients que l'on veut éviter? C'est ce que je n'ai pas pensé.

Les personnes qui combattent le projet de loi se préoc cupent surtout de quelques inconvénients que j'espère démontrer ne pas exister dans ce projet; mais elles ne remédient pas à un mal dont l'existence me paraît démontrée par ce que je viens de dire, et, sous ce rapport, elles laissent pendante, dans toute sa gravité, une question qui, je le reconnais, est impossible à trancher définitivement, mais dont il est possible de diminuer les dangers et l'importance.

• En examinant de près la question, nous avons recon➡ nu, d'une part, qu'il y avait dans les lois existantes quelques dispositions qui, sans une nécessité réelle, donneraient aux déposants quelques avantages que l'on pouvait restreindre sans nuire en rien à l'institution des caisses d'épargne. Ainsi, par exemple, autant il importe de favoriser l'habitude d'économie dans les classes laborieuses, autant il importe de laisser les caisses d'épargne ouvertes aux petits capitaux de ces classes, autant il serait dangereux de les retenir trop longtemps sous la tutelle de l'Etat et à la charge de l'Etat. Et lorsque ces économies ont acquis une importance telle qu'elles ont pris le caractère de capital, il devient inutile que l'Etat s'en maintienne le gardien, et il peut dire à ceux qui les ont formées : « Maintenant vous « avez une somme assez considérable pour en trouver un « emploi sûr et facile; je ne suis pas votre tuteur, char« gez-vous de vos affaires. »

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« C'est là une des dispositions du projet de loi; c'est celle qui restreint à 2,000 fr. le maximum du placement aux caisses d'épargne. Pour celle-là, je dois le dire, quoiqu'elle ait été l'objet de critiques, c'est une de celles pour laquelle le Gouvernement se sent le plus à l'aise; et c'est sur la caisse d'épargne de Paris qu'il a déterminé à 2,000 fr. le maximum du placement.

« Ce qui est suffisant à Paris, comme capitale, est suffisant pour le reste de la France. D'ailleurs les administrateurs de la ville de Paris ne s'en plaignent pas. Ils avaient la faculté de demander l'élévation du maximum à 3,000 fr; ils ne l'ont pas fait, ils ont reconnu que le maximum de 2,000 fr. était une chose qui n'altérait pas l'institution, qui ne nuisait en rien à son développement.

C'est là une disposition que la Chambre peut admettre sans danger; elle n'a point d'inconvénient, et cependant elle aurait un effet important, car les placements montant à 2,000 fr. ne laissent pas que de s'élever encore à des sommes considérables dans les caisses des départements.

«En examinant de plus près la composition des capitaux des caisses d'épargne, nous avons reconnu que, parmi ces capitaux, il y en avait que les hommes honorables qui avaient eu les premiers l'idée des caisses d'épargne, et les législateurs qui avaient fécondé cette idée, n'avaient eu nullement en vue dans cette institution.

« Les placements aux caisses d'épargne peuvent se faire et se retirer à volonté ; ils procurent un intérêt assez considérable relativement à d'autres placements. Relativement, par exemple, à ceux qui sont faits au Trésor pour six mois, annonçant dès lors qu'ils sont commodes pour beaucoup de monde. Mais nous avons reconnu qu'il y avait en effet, dans les caisses d'épargne, des capitaux que, dans l'exposé des motifs, j'ai appelés parasites, parce que ces capitaux ne devraient pas se trouver dans ces caisses, pour lesquelles l'Etat fait des sacrifices, sacrifices très-justes et compensés par beaucoup d'avantages lorsqu'ils vont à leur véritable destination, mais sacrifices inutiles et charges injustes pour la masse des contribuables, lorsqu'ils s'appliquent à des individus pour lesquels les caisses d'épargne he sont pas instituées.

Un orateur disait hier: Mais comment savez-vous « cela ? Dans la Commission on a demandé une enquête, « vous ne l'avez pas faite. ».

« C'est vrai, dans la Commission on a parlé d'une enquête à faire. Cette enquête n'a pas été faite par une raison bien simple, c'est que la Commission était composée de personnes connaissant parfaitement les choses; elles ont pensé qu'une enquête était inutile pour une chose notoire et démontrée aux yeux de tout le monde.

«On vous a indiqué hier un grand nombre de villes, les unes industrielles, les autres commerçantes, les autres chefs-lieux d'arrondissements agricoles, pour lesquelles ce fait a été reconnu sans difficulté. J'aurais à cet égard quel

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