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Légère, et vendu à la Guadeloupe. Après plusieurs ventes, il avait été acquis par Selyman, Danois de l'ile Saint-Thomas, qui lui avait donné le nom de l'Hoffnung. Ce navire fut capturé par le corsaire l'Anonyme. Il ne put représenter l'acte de vente consenti par les armateurs de la Légère; les capteurs se fondèrent sur ce fait pour demander qu'en vertu de l'art. 7 du règlement de 1778, l'Hoffnung fût déclaré de bonne prise. Les capturés et le commissaire du gouvernement prétendirent que cet art. 7 ne s'appliquait qu'aux navires de construction ennemie, ou qui avaient été la propriété de sujets ennemis, et qu'il n'était pas applicable à un navire de construction neutre et pris une première fois pour infraction aux règles de la neutralité. Le Conseil pensa autrement.

Il y avait aussi dans l'affaire une application des papiers d'un ancien navire au navire capturé, mais il est évident que la décision du Conseil est motivée en partie sur l'absence du premier acte de vente.— Voici quelques passages des conclusions du commissaire du gouvernement :

S'il pouvait rester dans l'esprit la moindre incertitude à cet égard, il ne suffirait pas d'alléguer que le navire n'est point de construction américaine, ni d'établir cette allégation sur un certificat illégal et vraiment inauthentique; mais il faudrait encore prouver, et prouver légalement, non la construction non américaine, mais la construction ennemie, comme le prescrit l'art. 8 du règlement de 1778.

«Voici comme s'exprime cet article: A l'égard des bâtiments de fabrique ennemie qui auront été pris par les vaisseaux de Sa Majesté, ceux de ses alliés ou de ses sujets pendant la guerre et qui auront ensuite été vendus aux sujets des Etats alliés ou neutres, ils ne pourront être réputés de bonne prise, s'il se trouve à bord des actes en bonne forme, passés par-devant des officiers publics à ce préposés, justificatifs tant de la prise que de la vente ou adjudication qui en aurait été faite ensuite aux sujets desdits Etats alliés ou neutres, soit en France, soit dans les ports des Etats alliés, faute desquelles pièces justificatives, tant de la prise que de la vente, lesdits bâtiments seront de bonne prise.

L'on voit, par les dispositions de cet article, qu'il est question de bâtiments de fabrique ennemie; il faut donc que cette fabrication ennemie soit préalablement établie et prouvée, pour recevoir l'application de cet article. Or, la cause n'est point dans cette hypothèse, puisqu'elle ne présente qu'une simple allégation contre des preuves multipliées de neutralité.

Il est vrai que le corsaire prétend que ces pièces justificatives manquent; mais j'ai déjà prouvé leur existence et leur authenticité, et je l'ai prouvé sans nécessité et pour édifier le Conseil ; car cette preuve n'est exigée que dans l'hypothèse d'un bâtiment de fabrique ennemie, ce qui n'est point encore prouvé ni ne peut l'être.

« Le dernier argument du corsaire est de contester l'identité du navire et d'en tirer la conséquence de fraude et de simulation; il se sert, à cet effet, de la déclaration faite par Marleston dans l'acte de vente du 12 août 1796, portant que le navire est du port de 175 tonneaux. Or, dit-il, si le navire vendu est de 175 tonneaux, ce n'est donc pas le même auquel s'appliquent les pièces de bord, puisque toutes parlent d'un navire de 114. Donc il y a fraude et simulation; done point d'identité, donc point de pièces de bord pour le navire de 175 tonneaux, donc confiscation pleine et entière.

« D'abord il faut remarquer, pour l'exactitude des faits, que Marleston ne dit pas positivement que le navire était de 175, mais d'environ. La

restitution de ce mot ne me ferait pourtant pas illusion, si le raisonnement du corsaire portait sur un principe vrai.

Mais que fait la déclaration vraie ou fausse, exacte ou inexacte, du vendeur Marleston ?

A Propriétaire, depuis peu, d'un navire qu'il n'avait pas fait naviguer, dont il ignorait ou feignait d'ignorer la capacité, car il l'avait déjà fait jauger, n'est-il pas à présumer qu'il se sera trompé sur la contenance du navire, ou que, pour y faire un plus grand bénéfice, il aura trompé son acquéreur? C'est dans cette déclaration qu'on aperçoit la fraude; mais cette fraude, si commune dans le commerce, puisqu'elle est prévue par les lois fiscales et les auteurs, cette fraude, dis-je, est étrangère à la cause, elle n'influe en rien sur le navire, elle n'en peut altérer l'identité, le caractère, l'intuité; cette fraude, cette inexacte déclaration en changet-elle la nature, la construction, la forme, la capacité ? Cette déclaration peut-elle opérer la métamorphose d'un bâtiment neutre en navire ennemi? Certes, il faudrait être entiché d'une grande opiniâtreté pour oser le soutenir et prétendre le persuader.

«

Lorsque je dis que cette fausse et inexacte déclaration n'influe en rien sur la cause, je le prouve; je fais plus, je le démontre.

« Quelles sont les preuves de neutralité que la loi impose?

« Les maîtres des bâtiments neutres seront tenus de justifier sur mer de leur propriété neutre par les passe-ports, connaissements, factures, charte-partie et autres pièces de bord, l'une desquelles, au moins, constatera la propriété neutre, ou en contiendra une énonciation précise : ici vingt-six pièces établissent cette preuve.

Dans la série de ces pièces, de ces preuves, y trouve-t-on l'obligation de justifier de la capacité du navire? Non, sans doute.

Mais pourtant les lois, les règlements exigent le jaugeage des navires? Oui, ils l'exigent; mais comment et pourquoi? Ce n'est point pour établir la neutralité, ni même l'identité du navire, mais seulement pour prévenir la fraude des droits fiscaux établis sur cette mesure, et les dommages qu'une fausse déclaration peut occasionner aux chargeurs. Ecoutons Valin, sur cet article; cet auteur en vaut bien un autre en matière maritime.

Il est nécessaire, dit-il, de connaître la jauge, parce qu'il y a plu«sieurs droits dus par les navires, tant français qu'étrangers, à proportion de leur grandeur ou capacité; et qu'à l'égard des vaisseaux « étrangers, il y a, outre l'ancrage, le droit de 50 sols ou 100 sols par

< tonneau. »

Autant, ajoute-t-il, un maître de navire est soigneux d'en déclarer « au juste le port, et même de l'augmenter lorsqu'il le frète, autant est-il « attentif à le diminuer lorsqu'il en fait la déclaration pour le payement « des droits, et parce qu'en cela il commet une fraude, il serait naturel « qu'il y eût un règlement pour y remédier. >>

Voilà donc démontrée l'habitude des fausses déclarations; mais cette fausseté, qui nuit ordinairement au fisc, ne nuit, dans l'hypothèse, qu'à celui qui a acquis un navire de 114 tonneaux, pour un de 175.

Dans la pratique, dit encore Valin, la fraude de la déclaration, quelle a qu'elle soit, n'expose qu'à payer les droits dus suivant le véritable port « du navire. >>

α

« A l'égard des navires étrangers, on ne s'arrête point à la jauge faite en pays étranger; ils doivent être jaugés au premier port de France où ils arrivent, suivant le règlement de 1709.

« Il reste donc bien démontré que la jauge n'est qu'une disposition fiscale; il l'est également que la déclaration fausse ou vraie est insignifiante, qu'elle n'est point nécessaire pour prouver la neutralité ou l'identité. Il est aussi démontré que les capitaines sont dans l'habitude de faire de fausses déclarations, et qu'on ne doit point s'y rapporter. Il est tout aussi démontré que les neutres, ayant rempli le vœu de l'article 2 du règlement de 1778, ne sont pas soumis à rapporter d'autres preuves que celles exigées par cet article.

Sur le tout, point de preuves de construction ennemie, point de preuves de marchandises ennemies; au contraire, preuves évidentes et générales de neutralité. Le faisceau de ces preuves se compose du juge ment authentique de la Guadeloupe, des actes authentiques de la vente et revente du navire à des neutres, des actes authentiques de propriété expédiés à M. Thomas, du passe-port, du rôle d'équipage, du manifeste, des factures expédiées à Altona ou à Hambourg, et de la correspondance trouvée à bord.

« Tout établit et démontre la neutralité d'une manière si évidente et si victorieuse, que le moindre doute à cet égard n'est pas permis à un être pensant.

«La preuve d'identité n'étant pas exigée par les règlements, l'insistance de cette preuve est hors de la ligne de cette loi, et jetterait ses ministres dans le vague de l'arbitraire.

« On n'a rien de pareil à craindre de la religieuse équité du Conseil ; il aime la vérité, il sait que la justice en est la conséquence.

« Ici la vérité se montre à lui toute nue, ou, pour mieux dire, revêtue de toutes les pièces de bord que la loi prescrit pour prouver la neutralité.

« Une circonstance insignifiante, aussi étrangère à la question qu'au capturé, ne saurait donc faire illusion au Conseil ; elle ne peut détruire, affaiblir ni effleurer la masse de preuves sur laquelle repose la neutralité du navire.

Par ces considérations, je conclus à la restitution du navire et de la cargaison de l'Hoffnung, ou au prix et légitime valeur d'iceux, avec dommages et intérêts.

« Délibéré, etc.

« Signé, DURAND. »

Du 17 vendémiaire an IX.. Décision du Conseil des prises, qui, se fondant surtout sur l'absence du premier acte de vente, valide la prise de l'Hoffnung par le corsaire l'Anonyme.

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Est de bonne prise le navire ennemi, acheté depuis le commencement des hostilités par un capitaine qui était ennemi au moment de la déclaration de guerre, et qui ne s'est fait naturaliser neutre que depuis cette déclaration.

LE JEAN-CHRIsTophe.

La propriété de ce navire était réclamée par M. Gottlieb Bohss, qui se disait sujet danois. Le Jean-Christophe était arrivé à Grimpsy, le 27 mai, venant de Libau. Il a été saisi par les agents de la douane, qui soupçon

naient son origine russe; il avait été d'abord relâché, puis saisi de

nouveau.

A l'appui de sa réclamation, Bohss, qui était à la fois le capitaine et le propriétaire du Jean-Christophe, invoquait sa qualité de bourgeois d'Altona qu'il avait prise le 8 avril, quatre jours avant d'acheter ce navire, dont il était antérieurement le capitaine. Il dit être né en mer, dans la Baltique, en 1812, d'un père hollandais. En 1840, il était devenu sujet russe, et il avait prêté, en cette qualité, le serment ordinaire d'allégeance; mais la guerre étant devenue probable, il s'était rendu à Altona, et il y avait pris la qualité de sujet danois. C'était seulement le 12 avril qu'il avait acheté le Jean-Christophe.

L'avocat de la reine contestait à la fois, en fait, et la réalité de la vente du navire faite à Bohss et celle de sa naturalisation comme Danois, qu'il invoquait.

La confiscation du navire fut prononcée par ces motifs.

OBSERVATIONS.-En France, la validité de la prise, dans cette espèce, eût été prononcée d'emblée en droit, pour deux motifs : 10 aux termes de l'art. 7 du règlement du 26 juillet 1778, les bâtiments d'origine ennemie, ou qui ont eu un propriétaire ennemi, ne peuvent être réputés neutres s'il n'est justifié que la vente en a été faite à un sujet neutre, avant le commencement des hostilités. Or, la déclaration de guerre est du 24 mars, la vente du navire n'est que du 12 avril; le navire a donc toujours conservé son caractère de bâtiment ennemi; 2o l'art. 6 du même règlement refuse d'accorder les priviléges de la neutralité aux sujets ennemis qui se sont fait naturaliser neutres, si leur naturalisation ou si l'établissement de leur domicile en pays neutre n'est pas au moins antérieur de trois mois à la déclaration de guerre. Dans l'espèce, Bohss avait été naturalisé Danois après la déclaration de guerre : il eût donc été considéré par les tribunaux français comme étant resté Russe.

Chez nous, cette affaire du Jean-Christophe eût été jugée comme elle l'a été en Angleterre; et d'après nos lois, Bohss eût perdu son procès, quand même l'exactitude de toutes ses allégations eût été prouvée.

COUR D'AMIRAUté d'Angleterre.— 18 octobre 1854.

Est de bonne prise le navire d'origine ennemie vendu à des neutres, depuis le commencement des hostilités, surtout lorsque l'acte de vente est un acte simulé, et qu'il apparaît que le navire vendu appartient toujours à des ennemis.

LE RAPID.

Le navire le Rapid partit le 14 juillet d'Arkhangel, sous pavillon danois, à destination de Hull. A son arrivée dans ce port, les employés des douanes le saisirent. La cargaison, qui appartenait à des Anglais, fut rendue quelque temps après à ses propriétaires. La saisie du navire fut maintenue.

Aujourd'hui Hausen, patron et unique propriétaire du Rapid, en réclame la restitution. Il invoque la qualité de sujet danois.

Le navire est d'origine russe ; il a été construit à Libau, en 1853, pour la maison Brandt et compagnie, de Riga, qui en avait confié le commandement à Hausen.

Hausen soutient que le Rapid avait été vendu avant la guerre à Enet de Hambourg, et qu'il a acheté le navire de ce dernier le 13 avril.

L'avocat de la reine et l'avocat de l'amirauté concluent à la confiscation; ils trouvent que la simple inspection des papiers de bord suffit pour voir qu'ils sont simulés, et que les prétendnes ventes de Brandt et compagie à Enet, et de Enet à Hausen, n'ont eu pour but que de déguiser la véritable nationalité du navire. Ils prétendent, en outre, que Hausen ayant accepté le commandement d'un navire russe, et ayant par conséquent établi son domicile en Russie, ne peut invoquer les priviléges de la neutralité.

La Cour, considérant qu'il résultait, des documents exhibés dans cette cause, que le réclamant avait fait une déposition fausse et mensongère, et que le transfert du navire le Rapid à Hausen était un transfert simulé, a déclaré le navire de bonne prise.

Observations.- En France, d'après nos règlements, le sujet neutre qui a établi son domicile en pays ennemi, avant les hostilités, n'est pas considéré comme ayant perdu les priviléges de la neutralité. Mais le Rapid eût été condamné comme navire russe, que l'on avait cherché à déguiser sous l'apparence de la neutralité, et comme ayant été vendu à un neutre depuis le commencement des hostilités, art. 7 du règlement de 1778.

COUR D'AMIRAUTÉ D'ANGLEterre. -18 octobre 1854.

Est de bonne prise le navire d'origine ennemie vendu à un neutre, lorsqu'il n'est pas porteur de l'acte de vente.

LA CHRISTINE.

La Christine, sous pavillon lubeckois, partit le 31 juillet de Memel pour Liverpool. A son arrivée à Liverpool, le 11 août, elle fut saisie par la douane.

M. Schwartz, sujet neutre, patron du navire, le réclame aujourd'hui. Il prétend l'avoir acheté en février ou mars, de MM. Kurker et compagnie, de Riga. Il reconnaît que le prix n'a pas encore été payé, mais il prétend qu'il a signé un engagement.

L'acte de vente n'est pas parmi les papiers de bord, Schwartz prétend l'avoir laissé à Lubeck, ne se doutant pas qu'on le lui aurait demandé. La Cour a rendu la décision suivante :

« Il a été déjà décidé plusieurs fois qu'il est nécessaire de constater le payement du prix de la vente, toutes les fois qu'il y a lieu de douter de la réalité de la vente. C'est une question de savoir si le prix doit toujours être payé en numéraire, ou s'il peut l'être en lettres de change. Ces questions seront résolues en temps et lieu. Dans l'espèce, l'acte de vente, le seul acte constatant la propriété prétendue neutre, n'ayant pas été trouvé parmi les pièces de bord, le navire doit être déclaré de bonne prise. » Observations. En France, le règlement de 1778 exige que les navires d'origine ennemie, qui appartiennent à des neutres, soient porteurs des actes constatant les changements de propriété, et il veut que ces actes soient passés devant une autorité publique, avant la guerre. La Christine, n'ayant pas à bord l'acte constatant la vente faile par Kurker et compagnie à Schwartz, eût donc en France été déclarée de bonne prise, sans qu'il y eût lieu d'examiner si la vente était sincère ou simulée.

Règlement du 26 juillet 1778. ART. 8. A l'égard

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