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M. Oxholm, je ne trouve dans cette pièce qu'un acte particulier, privé, lequel est dénué de tout caractère intrinsèque et extrinsèque d'authenticité.

« On prétend, il est vrai, que cet acte est judiciairement publié au tribunal de Christianstadt et consigné dans les registres d'hypothèques. Je demanderai quel est l'acte authentique qui le constate.

« On lit seulement, à la suite de l'original de cette vente, une relation d'enregistrement; mais qui nous assurera la vérité du fait, et si cette relation émane d'un officier public?

« Ce n'est point dans cette forme qu'on expédie des actes publics soumis par leur nature à l'examen rigoureux des corsaires étrangers; et qu'on ne dise pas que ce sont des usages particuliers aux Danois, trèsscrupuleux observateurs des formes dans des actes de moindre importance.

«Que le Conseil daigne jeter les yeux sur l'acte de jauge du 12 juillet 1796, fait d'après la déclaration, non de Marc Solier, mais de M. Oxholm, et on le trouvera non-seulement revêtu de toutes les formes, mais même du sceau royal. Or, si un acte d'aussi peu d'importance est revêtu de tous les caractères d'authenticité possibles, que penser de l'acte essentiel de propriété qui n'est revêtu d'aucune forme, même après avoir passé par le tribunal de Christianstadt?

« Je remarquerai, à propos de l'acte de jauge, qu'il n'y est parlé que de l'Anna O'Neil, et nullement de l'Altée, bâtiment prétendu vendu par Solier deux jours auparavant.

« Comme c'est ici le premier acte public fait après la vente de l'Altée, c'était sans doute le moment d'indiquer ce changement de nom. Cependant ce changement prétendu n'est indiqué que par une note informe, même sans date, portée sur une feuille de papier timbré de 1796, et sur laquelle il n'y a pas même la trace de l'enregistrement qu'on remarque sur les autres pièces. Or, quelle confiance peut mériter une telle note? Doit-elle prévaloir, aux yeux de la loi, sur des pièces avouées par elle?

« Pour donner de la consistance à cette note, le capitaine capturé y cherche un relatif dans le certificat de jauge fait à Copenhague le 4 mars 1797. « Ce snau, maintenant brick, nommé Anna O'Neil, ce << snau... » Voilà bien, dit-il, l'ancien état du bâtiment. On ne peut méconnaître le sens de cette élocution démonstrative, qui a le snau l'Altée pour objet. D'ailleurs, les actes de jauge du navire sont sur la même feuille que l'acte de vente de l'Altée. Donc le snau l'Altée est maintenant brick l'Anna O'Neil.

« J'avoue que cette conséquence me paraît forcée, d'après le premier acte de jauge, qui ne parle que de l'Anna O'Neil, et qui donne une différence de capacité.

« Je ne m'arrêterai point à cette différence; mais je remarquerai que, dans l'acte de jauge de Sainte-Croix, et d'après l'acte de vente de l'Altée, M. Oxholm devrait être unique propriétaire du navire, et que, d'après les actes de jauge de Copenhague, c'est d'abord à M. Jeppe Pretorrius, et puis à M. Oxholm de Sainte-Croix à qui appartient la propriété de l'Anna O'Neil.

« Je remarquerai, de plus, que, porteur de pièces relatives à l'Altée, et le navire se trouvant de construction ennemie, il fallait nécessairement prendre des mesures pour masquer cette construction ennemie ; mais comme ces mesures ne sont pas celles de la loi, ses ministres ne peuvent les adopter.

« La loi veut des actes en bonne forme, passés par des officiers publics à ce préposés; elle veut que ces actes soient justificatifs tant de la prise que de la vente ou adjudication qui en aurait été faite aux neutres.

« Ces actes en bonne forme sont le jugement de confiscation et le procès-verbal d'adjudication au plus enchérisseur. Or, cet acte d'adjudication n'existe point ici.

« Il y a plus aucune pièce légale ne prouve ni n'indique le changement de nom de l'Altée; les actes réguliers n'en disent rien; une note informe et sans date est le seul titre qu'on invoque. On peut donc dire que rien ne prouve que l'Altée soit devenue l'Anna O'Neil, ni que l'Anna O'Neil ait jamais été l'Altée.

« Si on voulait analyser les réponses de l'équipage, on irait plus loin encore; on établirait démonstrativement la fausseté du certificat de Victor Hugues, et la non-existence de la vente qu'il certifie; car le capitaine dit que le navire fut pris par des Français sur des Anglais, conduit à la Guadeloupe, d'où les mêmes Français l'ont envoyé à SainteCroix, sous pavillon de leur nation, avec partie de la même cargaison de vin de Madère avec laquelle il l'avait prise, pour s'en procurer la défaite.

« Cette déposition, renforcée de celle des autres hommes de l'équipage, serait certainement bien destructive et de la vente prétendue faite à la Guadeloupe, et de l'officieux certificat de Victor Hugues, qui en atteste l'existence, puisqu'il serait vrai que ce navire et sa cargaison auraient été envoyés à Sainte-Croix pour s'en procurer la défaite.

«Mais, quoique les réponses de l'équipage doivent prévaloir sur les pièces de bord, je ne m'arrêterai pourtant pas à ces considérations. « Celles de la loi suffisent.

« Le règlement de 1744, art. 10, est positif.

« L'art. 14 du même règlement applique spécialement aux Danois les dispositions de l'art. 10, l'exécution de ce règlement a toujours été invoquée par le Danemark; c'est une loi, un véritable traité, une espèce de contrat synallagmatique entre les Danois et nous, dont, comme nous, ils doivent exécuter religieusement les dispositions.

« Ce contrat les soumet, dans l'hypothèse de la cause, à constater, par des actes en bonne forme, passés par des officiers publics à ce préposés, l'identité de leur propriété.

« Les dispositions de ce contrat ont été renouvelées par le règlement de 1778 dans les mêmes termes.

« L'observation du règlement de 1778 est strictement prescrite par l'art. 1er de l'arrêté des Consuls, du 29 frimaire an VIII; il ne reste donc plus qu'à en faire l'application à la cause.

« Par ces considérations, je conclus à la validité de la prise et de la cargaison. >>

Le Conseil n'adopta pas ces conclusions; il se rangea à l'opinion contraire, et rendit la décision que voici :

« Le CONSEIL,

Vu les pièces desquelles il résulte :

« 1° Que la neutralité des hommes de l'équipage et de la cargaison du navire l'Anna O'Neil, qui d'ailleurs n'a pas été sérieusement contestée, est parfaitement établie;

«< 2o Qu'à l'égard du navire lui-même, quoiqu'il soit originairement de construction ennemie et ait appartenu à un Anglais, sous le nom de l'Altée, il est devenu propriété française, en vertu de la confiscation qui en a été prononcée au profit du gouvernement, par jugement du tribu

nal de commerce de la Guadeloupe, du 2 messidor an IX, après la prise qu'en a faite la corvette de l'Etat, l'Egalité, lequel jugement dûment en forme fait partie des pièces de bord;

3° Que depuis cette confiscation ledit navire l'Altée a été vendu par l'administration à Marc Solier, suivant que le constate le certificat délivré le 6 du même mois de messidor an IV, par Victor Hugues, commissaire du gouvernement à la Guadeloupe et qui, revêtu à cette époque du caractère de premier agent du Directoire dans cette île, lors même qu'il n'eût pas rempli les formalités indiquées par les lois françaises pour ces sortes de vente n'en serait comptable qu'au gouvernement, et ne pourrait surtout préjudicier à un tiers, et particulièrement à un neutre traitant avec bonne foi;

« 4° Que Marc Solier a déclaré, par un acte sous seing privé, dûment enregistré à Christianstadt, avoir vendu au sieur Oxholm, major danois, le même navire l'Altée, qu'il avait acheté à la Guadeloupe de l'administration française;

« 5° Que ledit major Oxholm a donné le nom d'Anna O'Neil au navire l'Altée, par la déclaration qu'il en a faite et signée sur une feuille timbrée, enveloppant et enlaçant avec un cordon de soie scellé, tant le jugement de confiscation du 2 messidor an IV que le certificat de Victor Hugues et l'acte consenti à son profit par Marc Solier, toutes lesdites pièces lues, publiées et enregistrées aux tribunal et greffe des hypothèques de Christianstadt;

< 6o Que cet ensemble de pièces et de documents, tous successifs et concordants entre eux, remplit complétement les dispositions des art. 7 et 8 du règlement de 1778, qui veut que les navires ennemis pris pendant la guerre soient regardés comme neutres lorsqu'il se trouve à bord des actes publics, justificatifs de la confiscation et de la vente à un neutre ;

7° Que l'identité du navire l'Altée, vendu par Marc Solier au major Oxholm, avec l'Anna O'Neil, capturé par le corsaire l'Ariège, est démonstrativement prouvée par les pièces ci-dessus par des actes de jauge qui, quoiqu'énonçant un nombre de lasts différent, s'accordent cependant sur les dimensions de ce même navire et dont les résultats sont frappés avec un fer chaud sur ledit navire, en sorte que la diversité du nombre des lasts exprimés ne peut provenir que de la diversité des éléments dont les jaugeurs ont fait usage pour le calcul du last;

◄ DÉCLARE la prise du navire l'Anna O'Neil nulle et illégale, en ordonne la restitution, etc. >>

4. De la composition des équipages. — Du rôle d'équipage.

Règlement de 1778. - ART. 9 et 10. Des officiers-majors. Où et par qui doit être arrêté le rôle d'équipage. Des changements dans l'équipage pendant le cours du voyage.

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Règlement du 26 juillet 1778. ART. 9. Seront de bonne prise, tous bâtiments étrangers sur lesquels il y aura un subrécargue marchand, commis ou officiermajor d'un pays ennemi de Sa Majesté, ou dont l'équipage sera composé au delà du tiers de matelots, sujets

des Etats ennemis de Sa Majesté, ou qui n'auront pas à bord le rôle d'équipage arrêté par les officiers publics des lieux neutres d'où les bâtiments seront partis.

Même règlement. ART. 10. N'entend, Sa Majesté, comprendre, dans les dispositions du précédent article, les navires dont les capitaines ou les maîtres justifieront, par actes trouvés à bord, qu'ils ont été obligés de prendre les officiers-majors ou matelots dans les ports où ils auront relâché, pour remplacer ceux du pays qui seront morts dans le cours du voyage.

Ces articles statuent sur deux questions distinctes:

1o Sur la composition de l'équipage des navires neutres; 2o Sur la manière dont cette composition doit être constatée.

Nous ferons remarquer que l'art. 9 ne statue que pour les cas où la neutralité d'un navire saisi est douteuse; il dispose que si la neutralité de ce navire n'est pas prouvée autrement, elle ne pourra l'être par la composition et par le rôle d'équipage qu'à certaines conditions. En effet, l'art. 2, d'après lequel il suffit qu'une seule pièce prouve la neutralité, est applicable au rôle d'équipage. C'est ce qui a été démontré parfaitement par Portalis, dans des conclusions données au Conseil des prises, dans l'affaire du navire Pégou, que nous rapportons ci-dessous.

1o Le législateur a pensé que si, dans l'équipage, il y avait un officier ennemi, l'armement devait être présumé fait par des ennemis. Il a pensé aussi qu'un navire, dont les deux tiers de l'équipage étaient composés de sujets ennemis, était un navire ennemi que l'on cherchait à faire passer pour neutre. Cependant, il arrive quelquefois que les événements obligent un capitaine à renouveler son équipage en route; il est alors obligé de prendre, quelle que soit leur nationalité, les marins qui se trouvent au lieu où il relâche. C'est là un cas de force majeure, qui porte sa justification en lui-même et qui ne peut servir à faire déclarer suspects et ennemis des navires qui, partis avec un rôle d'é

quipage composé de marins neutres, ont été forcés en route de prendre un officier-major ou deux tiers de matelots ennemis.

Notre règlement de 1778 n'exige pas que les deux tiers des matelots neutres, qui doivent se trouver à bord d'un navire neutre, soient de la nation dont ce navire porte le pavillon. Il suffit qu'ils soient sujets de souverains neutres. Les puissances signataires des déclarations de neutralité armée de 1780 et de 1800 avaient proclamé que, pour avoir droit d'être traité comme neutre, chaque bâtiment neutre devrait avoir son capitaine et la moitié de son équipage de la nation dont il portait le pavillon. Le règlement de 1778, en permettant aux neutres de prendre leurs équipages indistinctement parmi les sujets de tous les princes neutres, leur accorde plus qu'ils n'avaient réclamé eux-mêmes par les deux déclarations dont nous venons de parler.

2o La composition de l'équipage doit être constatée par une pièce de bord, nommée rôle d'équipage. C'est une pièce indispensable. Les navires, de quelque nation qu'ils soient, doivent l'avoir à bord. L'article 226 de notre Code de commerce exige que les navires français en soient toujours por

teurs.

Mais s'il existait une puissance maritime qui n'obligeât pas les navires portant son pavillon à avoir un rôle d'équipage pour naviguer dans certaines mers, ces navires ne devraient pas être déclarés de bonne prise, dans le cas où la neutralité serait prouvée par d'autres pièces; car, ainsi que nous venons de l'établir, la neutralité n'a pas besoin de ressortir du rôle d'équipage plutôt que d'un autre acte. Cette opinion est, du reste, de tous points conforme à la lettre et à l'esprit de l'article 1er du règlement du 26 juillet 1778.

L'article 9 exige que le rôle d'équipage soit arrêté par les officiers publics des lieux neutres, d'où les bâtiments sont partis. Par le lieu d'où le bâtiment est parti, il entend le lieu qui est le point de départ de l'expédition et non pas le dernier port de relâche dans lequel le navire a pu s'arrêter. Une relâche n'interrompt pas une expédition, et on ne regarde

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