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M. de Noailles fut transféré à l'Archevêché de Paris. Les Quênelliftes le prierent de renouveller pour fon nouveau Diocèfe l'Aprobation qu'il avoit donnée aux Reflexions Morales pour le Diocèfe de Châlons. M. de Noailles s'en défendit; il déclara que de tous côtés on lui reprochoit d'avoir aprouvé l'erreur, en aprouvant le Livre; qu'il vouloit le faire examiner, & qu'il étoit réfolu de l'abandonner, fi le Pere Quênel n'y faifoit pas les changemens qu'on auroit jugé néceffaires. Si le Prelat eût tenu parole, il auroit étouffé le mal dans la fource.

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A la verité le P. Quênel lui écrivit pour lui promettre de reformer fon Ouvrage. Je fuis très-capable, difoit-il, de commettre des fautes; auffi ne rougirai-je jamais de les voir effacer, & de les retracter publiquement. En aparence rien n'étoit ni plus refpectueux, ni plus foûmis; mais dans le fonds ce n'étoit dans le P. Quênel qu'une docilité aparente. Dès le mois fuivant il en donna des preuves fans repliqué.

Ce fut le 23. d'Avril qu'il écrivit à un § de fes amis dans les termes qui fuivent: Je laiffe faire le bon Abbé Dom Antoine de S. Bernard; car, comment faire pour l'empêcher? Je fuis bien aife de n'être point confulté. Ce qui fera bien, fera avoué; s'il y a quelque chofe qu'on ne puiffe aprouver, on en fera quitte pour dire qu'on n'y a point de part. Pourvu qu'on ne touche point aux endroits notés tout ira bien; mais je fouhaite bien que cela fe termine bientôt pour une bonne fois. Je fçai qu'il avoit dit à des gens qu'il avoüeroit fous le nom de fa nouvelle Abbaye les quatre Freres; & il le devoit faire, pour repouffer l'infolence des contredifans; mais je vois bien qu'il faigne du nez.

* Caufa Quenel, page 440.

§ Le Sieur Willard, Caufa Quenel, page 440. ·

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Dans le langage du Parti, l'Abbé Dom Antoine étoit M. de Noailles. Sous le nom de fa premiere Abbaye, on entendoit l'Evêché de Châlons fur Marne qu'il venoit de quitter, & par les Quatre Freres, on défignoit les quatre Volumes des Reflexions Morales. Le Pere Quênel s'étoit flatté qu'en prenant poffeffion de l'Archevêché de Paris, M. de Noailles les aprouveroit de nouveau. Il difoit même en avoir quelque affûrance; mais quand il apprit que par fon ordre on revoyoit le Livre pour le corriger, il s'écria que le bon Abbé faignoit du nez, & que fi l'on prétendoit toucher aux endroits notés des Reflexions Morales, il ne confentiroit pas à de tels changemens.

Le Pere Quênel eut lieu d'être content. Les Reviseurs que M. de Noailles avoit choifi n'étoient pas exempts de foupçon de Janfenifme: d'ailleurs il fçavoit que l'Auteur ne vouloit pas qu'on changeât entiérement les endroits notés des Reflexions, & que s'il le faifoit malgré lui, il n'auroit aucun égard aux changemens qu'ils auroient faits; mais ils n'y firent que dè legeres corrections; & quelque foin qu'ils euffent pris d'adoucir quelques-unes des Propofitions que l'Auteur avoit le plus à cœur de conferver, il en refta des traits fi marqués, qu'il n'étoit presque pas poffible au Lecteur attentif de s'y méprendre. Mr. de Noailles ne publia pas de Mandement pour renouveller fon aprobation; mais, comme il avoit déja aprouvé le Livre lorsqu'il étoit Evêque de Châlons, il réfolut de le foûtenir étant Archevêque de Paris. Les Docteurs Catholiques s'en plaignirent vivement; ils décla rerent que le Janfenifme s'y montroit à découvert, & ils foûtinrent qu'on ne pouvoit fouffrir un tel Ouvrage entre les mains des Fidéles.

Il s'en trouva même qui accuferent M. de Noailles d'avoir pofitivement voulu favorifer le Janfenifme en aprouvant les Reflexions Morales, & qui déclarerent ne pouvoir changer de fentiment à fon égard, s'il ne les abandonnoit ouvertement. M. de Noailles ne put s'y réfoudre, quelque inftance qu'on lui en fit. Cependant comme l'accufation lui parut grave, il imagina un temperament qu'il crut propre à le laver du foupçon de Janfenifme. C'étoit de condamner quelque Ouvrage, où les erreurs de Jensenius fe trouveroient renouvellées.

L'occafion étoit favorable. Pour lors il venoit de paroître un Livre intitulé §: Expofition de la Foi, touchant la Grace & la Prédestination. M. du Vaucel * nous aprend que M. l'Abbé de S. Cyran l'avoit compofé depuis longtems, & que le P. Gerberon l'avoit fait imprimer tout récemment. La premiere des, V. Propofitions de Janfenius y étoit enfeignée comme une verité de Foi.

M. de Noailles s'éleva contre ce Livre, & le condamna. Pour cet effet il publia une Ordonnance & Inftruction paftorale, qu'on peut regarder comme divifée en deux parties. Dans la premiere il combattoit les cinq fameufes Propofitions de Janfenius & traitoit d'efprits inquiets ceux qui les foûtenoient. Dans la feconde, il faifoit un éloge court, mais énergique de la Doctrine de S. Auguftin fur la Grace, & il défendoit d'accufer perfonne de Janfenifme fur de legers foupçons. Enfin il cenfuroit le Livre de l'Expofition de la Foi, com

§ Imprimé à Mons chez Gafpard Migeot. *Lettre du 7. Juin 1698. à M. l'Archevêque de Sebafte.

Ordonnance du 10. Août 1696.

me renouvellant le Janfenifme profcrit par les Bulles des Papes acceptées de toute l'Eglife, & comme contenant une Doctrine fauffe, temeraire, fcandaleufe, impie, blasphematoire, injurieuse à Dieu, frapée d'anathême & hérétique.

Cette cenfure fit grand bruit parmi les Quênelliftes. Ils prétendirent que M. de Noailles s'y étoit rendu coupable de la plus honteuse duplicité. Le P. Gerberon publia auffitôt des Remarques, où il foûtenoit que dans cette même Ordonnance M. de Noailles avoit établi les deux contradictoires, enfeigné à la fin de l'Inftruction ce qu'il condamnoit au commencement, & donné dans la feconde partie un contrepoifon pour se préferver de la premiere. § Il me femble, difoit-il, que j'entens la voix d'un Pafteur, qui inftruit dans cette feconde partie avec la charité d'un pere pour ses enfans, an lieu que je ne vois dans la premiere que les préventions & les entêtemens d'un étranger, dont je ne reconnois point la voix, & que je ne puis fuivre fans m'égarer. Le Pere Gerberon fit beaucoup plus dans la fuite. Arrêté quelques années après à Bruxelles par ordre du Roi d'Efpagne, il déclara dans un de fes interrogatoires qu'il n'avoit publié ces mêmes Remarques contre l'Ordonnance de M. de Noailles, que du confentement exprès de M. de Noailles ; & il ajoûta qu'on en trouveroit la preuve dans la Lettre que le Docteur Boileau avoit écrit fur ce fujet, de concert avec M. de Noailles, à Delorme, Libraire d'Amfterdam.

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Cet Abbé Boileau logeoit à l'Archevêché de Paris, & il avoit faifi toute la confiance de

§ Remarques, page 146. & fuiv.
*Procès du Pere Gerberon en 1704.

l'Archevêque

l'Archevêque. C'étoit lui qui menoit toute l'intrigue du Parti dans le Royaume. Dans fa Lettre au Libraire il marquoít effectivement que M. de Noailles n'auroit nulle peine de voir paroître les Remarques qu'on avoit fait fur fon Ordonnance, & qu'on pouvoit les imprimer fans crainte de lui déplaire. Mais il n'eft pas concevable qu'un homme du rang & du caractere de M. de Noailles eût pû tenir une conduite fi contraire à la Religion & à la probité même. Les gens fenfés crurent que l'Abbé Boileau avoit agi de fon Chef, & qu'il l'avoit fait parler contre fes fentimens.

Le Pere Quênel n'étoit pas d'humeur à se taire dans une conjoncture fi intéressante pour le Parti. Il êcrivit en faveur des Remarques du Pere Gerberon contre l'Ordonnance de M. de Noailles. § Je fuis furpris, difoit-il, que le R. P. Dom Antoine de S. Bernard prenne des réfolutions fi préjudiciables à fa reputation. Cet homme-là gâte tout.... Il est important qu'une perfonne qui a commis cette faute dans une place fi fainte & fi élevée, la connoiffe dans toute fon étenduë.... qu-il en prévienne les fuites par la Pénitence ; qu'il s'en humilie, & qu'il en soit humilié en cette vie.. Dans cette même Letre le P. Quênel blâ moit hautement la conduite de ceux qui n'aprouvoient pas que le Pere Gerberon eût blié fes Remarques. Il en parloit comme d'un Religieux zélé qui avoit compaffion de fon Supérieur, & qui entreprenoit de lui faire connoître fa faute.

pu

Les Ecrivains du Parti agirent tous fur les mêmes principes. Ils foûtinrent que dans fon

§ Lettre du Pere Quênel au Sieur Willart, CauJa Quenel, page 441.

* Ibid page 444. ¶ Ibid. page 444

Tome I

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