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fujet dont le choix a également été dicté » par l'efprit national. Mais Virgile ne voulait que flatter l'orgueil des Romains, » & Voltaire eut le motif plus noble de préserver les François du fanatifme, en leur retraçant les crimes où il avoit entraîné leurs ancêtres ".

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Cette dernière obfervation eft vraie; mais la Henriade peut-elle, en effet, fou tenir la comparaifon avec l'Enéide? Je ne le crois pas ; & le jugement qu'en porte M. de C.... me paroît en total plus phi lofophique que littéraire. Certainement le premier mérite dans un Poëme eft d'être Poëte, foit par l'invention, foir par les détails; & fous ces deux afpects, l'Auteur de l'Enéide eft bien fupérieur à celui de la Henriade. L'empreinte du génie eft bien autrement marquée dans l'une que dans l'autre, & je ne ferois pas étonné qu'un grand Poëte, que Voltaire lui même, aimât mieux avoir fait le 2., le 4°. & le 6°. Livre de l'Enéide que la Henriade entière. M. de C.... prétend que ce qui manque à celle-ci eft compenfé par d'autres beautés, par un but moral, par une philofophie profonde & vraie, &c. Je ne le pense pas: fans doute ce mérite eft très réel & particulier à l'Auteur; mais en poésie, rien ne peut compenfer le défaut d'imagination ni d'intérêt; & quoique Voltaire ait mis le premier la philofophie fur le Théatre, il ne feroit pas le plus grand Tragique du

monde entier, s'il n'eût pas produit de plus grands effets qu'aucun des Anciens & des Modernes.

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L'Auteur a raifon de nous dire que l'étude des Sciences agrandir la fphère des idées poétiques & enrichit les vers de nouvelles images; mais devoit - il ajouter': "Sans cette reffource, la poéfie, néceffai"rement refferrée dans un cercle étroit', » ne feroit plus que l'art de rajeunir avec adreffe, & en vers harmonieux, des idées communes & des peintures épui» fées « ? Cela me paroît outré : il est sûr que les connoiffances phyfiques font pour la poéfie une richeffe de plus; mais fans cette refource, fon cercle est encore immenfe c'est celui de l'imagination & du génie, dont on ne peut affigner les bornes'; & ce qui le prouve, c'eft que fans le fecours de la Phyfique, on a produit, depuis Voltaire, une foule de beautés neuves & du premier ordre, qui font bien loin des idées communes & des peintures épuifees.

Il prétend que Merope eft la feuie Tragédie qui foit touchante fans amour : cette exclufion me paroît injufte; Iphigénie en Tauride eft une pièce très touchante, &il n'y a point d'amour; on en pourroit même citer d'autres.

La Princeffe de Navarre eft, felon lui un ouvrage rempli d'une galanterie neble touchante. J'avoue qu'il ne m'a point paru tel; c'est un mélange de férieux & de BS

comique, qui eft fouvent de mauvais goût, & que Voltaire a lui-même condamné avec raifon.

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» L'Auteur des Saifons eft le feul Poëte François qui ait réuni, comme Voltaire, » l'ame & l'efprit d'un Philofophe Cet éloge eft jufte; mais devoit-il être exclufif? A propos des Annales de l'Empire, il dit que c'est le feul des abrégés chronologiques qu'on puiffe lire de fuite. Je ne crois pas qu'aucun abrégé chronologique de ce genre foit fait pour être la de fuite; mais il me femble que celui du Préfident Hainault put fe lire avec plaifir, quoiqu'il faille le défier des préjugés qu'il y a répandus.

Il traite de puérile l'hypothèse de l'Optimifme: ce mépris eft il bien philofophique I eft inconteftable que nous. ne voyons & ne connoiffons qu'une partie du grand tout, foit en efpace, fcit en durée: nous ne pouvons donc pas en juger le deffein; & en admettant l'existence néceffaire d'un ordonnateur fuprême, eft-il déraifonnable de fuppofer que fon ouvrage, dont nous ne faifons qu'une fi petite par tie, peut être le mieux dans l'ordre géné ral? Non feulement cette idée ne me femble pas puerile, mais elle me paroît grande & confequente, Le malheur qui fe plaint eft excufable; mais l'ignorance qui condamne eft téméraire, & nous fommes encore plus ignorans que malheureux,

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Ce qui fuit eft une bien petite anecdote, fi quelque chofe eft peric de ce qui regarde un grand homme; mais enfin il faut rétablir la vérité en tout. » Le Père Adam, à qui fon féjour à Ferney donna une forte » de célébrité, n'étoit pas abfolument inu» tile à fon hôte; il jouoit avec lui aux échecs, & y jouoit avec affez d'adreife » pour cacher quelquefois fa fupériorité « Le fait eft vraisemblable, mais je puis affurer qu'il n'eft pas vrai. Je les ai vu jouer tous les jours pendant un an, & non feulement le Père Adam n'y mettoit point de complaifance, lui qui, dans tout le refte, étoit beaucoup plus que complaisant; mais je puis attefter qu'il jouoit fouvent avec humeur, fur-tout quand il perdoit, & qu'il étoit fort loin de perdre volontairement. Au contraire, je n'ai jamais vu Voltaire se facher à ce jeu, & je jouois fouvent avec luis il y mettoit même beaucoup de gaîté; & une de fes rufes familières étoit de faire des contes pour vous diftaire quand il avoit mauvais jeu. Il aimoit beaucoup tes échecs, & fe le reprochoit comme une perte de temps; car il faifoit cas du temps. en raifon de l'emploi qu'il en favoit faire. Paffer deux heures, difoit-il, à remuer de petits morceaux de bois ! on auroit » fait une fcène pendant ce temps-là «.

Puifque nous en fommes aux anecdores, il s'en trouve une ici qui me paroît extrêmement hafardée. On prétend que lorique

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Madame de Pompadour voulant jouer le rôle de dévote, fit engager Voltaire, par le Duc de la Vallière, à mettre en vers quelqaes morceaux de la Bible, elle lui fit entrevoir l'efpérance d'être Cardinal, Je crois également improbable, ou qu'on ait imaginé de pouvoir lui faire efpérer le Chapeau ou qu'il ait été affez crédule pour fe prêter un moment à cette chimère. Il ent, comme un autre, des accès d'ambition dans fes momens de faveur; il défira le titre de Confeiller d'Etat, qu'il n'eut point; il défira beaucoup plus vivement d'être employé dans les négociations; mais il fuffit de favoir quel étoit l'efprit de notre Gouvernement, & quelle opinion Pon avoit de Voltaire pour fentir qu'il n'étoit guère poffible que l'on fongeât à lui pour une dignité eccléfiaftique & une dignité fi éminente. Cette idée eûr paru à Versailles le renversement de toute raifon & le.comble du ridicule. Je n'ai jamais ouï parler à Voltaire ni à aucun de fes amis de cette fingulière anecdote du Cardinalar, & je voudrois bien que l'Auteur nous apprît cù il l'a puifée.

Il me refte à préfenter au Lecteur impartial deux obfervations importantes : elles ne regardent pas Voltaire, mais elles tiennent à la vraie philofophie, à ces idées premières de raifon & de juftice qui doivent être chères à l'Auteur, & qu'il me paroît avoir heurtées en deux endroits de

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