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avec énergie le vieillard. - Puisse le froid faire de mon corps un marbre! puisse la neige devenir mon linceul! puisse la nuit ensevelir ma honte dans son obscurité!

Au nom du ciel, monsieur le maréchal, calmez-vous! cette exaltation est dangeureuse, dit doucement Salvator.

Mais vous ne voyez donc pas que ma tête brûle, que mon sang bout, que j'ai la fièvre, et que cette heure où je vous parie est une de mes dernières heures?... Écoutez-moi donc comme on écoute un mourant... Vous avez tué mon ennemi, je veux le voir.

-

Monsieur le maréchal, dit en sanglotant la pauvre Régina, si je n'ai pas le droit de vous appeler mon père, j'ai le droit de vous aimer comme une fille. Au nom de l'amour que j'ai toujours eu pour vous, éloignons-nous de ces lieux sinistres, et rentrons.

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Non, vous dis-je! répondit le maréchal avec violence et en la repoussant une seconde fois. Je veux le voir. Puisque vous ne voulez pas le conduire jusqu'à moi, je saurai bien aller jusqu'à lui.

Et, faisant brusquement volte-face, il se dirigea vers le bosquet de gauche, où nous avons vu la princesse Régina. Salvator le suivit, et, arrivé près de lui, il lui prit le bras et dit :

Venez, monsieur le maréchal, je vais vous conduire. Ils franchirent rapidement l'allée qui les séparait du cadavre, et, arrivés sur la place où il était étendu, le vieillard mit un genou en terre, lui souleva la tête déjà roidie, présenta la face à la clarté de la lune, et, le regardant avec des yeux que la fureur et la haine faisaient flamboyer:

Et tu n'es plus qu'un cadavre! dit-il. Je ne puis te souffleter, ni te cracher au visage! ton corps est insensible, ton inertie me ravit ma vengeance!

Puis, laissant retomber le cadavre et se relevant, il regarda Salvator avec des yeux mouillés de larmes.

— Oh! malheureux! dit-il, pourquoi l'avez-vous tué? Les voies de Dieu sont impénétrables, dit sévèrement le jeune homme.

Mais c'en était trop pour le pauvre vieillard. Un rapide frisson le saisit et envahit subitement tout son corps.

-

Appuyez-vous sur mon bras, monsieur le maréchal, dit Salvator en s'approchant de lui.

Oui... oui..., balbutia M. de Lamothe-Houdan,` qui voulut prononcer d'autres paroles et ne put faire entendre que des sons inarticulés.

Salvator le regarda, et, en voyant son visage pàle, couvert d'une sueur froide, en voyant ses yeux se fermer, ses lèvres blêmir, il l'enleva à bras-le-corps comme il eût fait d'un enfant, et traversa l'allée au bout de laquelle la princesse Régina, le front courbé et les bras en croix, attendait le résultat de cette triste promenade.

Princesse, dit Salvator, la vie du maréchal est en danger; conduisez-moi à son appartement.

Ils se dirigèrent vers le pavilion où était l'appartement du maréchal; ils le déposèrent évanoui sur le canapé de sa chambre à coucher.

Régina essaya de le faire revenir à lui, mais inutilement. Salvator sonna le valet de chambre, mais en vain; ainsi que nous l'avons dit plus haut, la valetaille réparait la nuit de sommeil perdue.

Je vais aller réveiller Nanon, dit la princesse.

Allez d'abord chez vous, madame, dit Salvator; apportez ce que vous aurez de vinaigre et de sels.

La princesse s'éloigna rapidement; quand elle revint, munie des flacons qu'avait demandés Salvator, elle le trouva causant avec le maréchal, qu'à force de frictions, le jeune homme avait fait revenir à lui.

Venez, dit en bégayant M. de Lamothe-Houdan dès qu'il aperçut la princesse, et pardonnez-moi ma dureté. J'ai été tout à l'heure bien cruel envers vous. Pardonnez-moi, mon enfant, je suis si malheureux ! Voulez-vous m'embrasser?

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Mon père! s'écria par habitude la princesse Régina, je passerai mes jours à vous faire oublier toutes vos douleurs.

Ta vie serait de courte durée, pauvre enfant, si tu la mesurais sur la mienne, dit le vieillard en hochant la tête; tu vois bien qu'il me reste à peine quelques heures à vivre.

Ne dites pas cela, mon père ! s'écria la jeune femme. Salvator la regarda d'un air qui signifiait : « Perdez toute ésperance. »

Régina frissonna et baissa la tête pour cacher les larmes qui s'échappaient de ses yeux.

Le vieillard fit signe à Salvator de s'approcher de lui, car ses yeux commençaient à se troubler.

A

Donnez-moi, dit-il d'une voix si faible, qu'on l'entendait à peine, out ce qu'il faut pour écrire.

Le jeune homme fit rouler la table auprès de lui, tira d'un portefeuille un cahier de papier, et, trempant la plume dans l'encrier, il la présenta au maréchal.

Au moment d'écrire, M. de Lamothe-Houdan se tourna vers la princesse, et, la regardant avec une douceur infinie, il lui dit d'une voix paternelle :

Ce jeune homme auquel M. Rappt avait tendu ce guetapens, sans doute tu l'aimes, mon enfant ?

Oui, dit en rougissant la princesse à travers ses larmes.

fille!

Reçois la bénédiction d'un vieillard. Sois heureuse, ma

Puis, se tournant du côté de Salvator et lui tendant la main :

Vous avez exposé votre vie, lui dit-il, pour sauver celle de votre ami... Vous êtes le digne fils de votre père; recevez les remerciments d'un honnête homme!

A ce moment, la figure du maréchal devint pourpre, ses yeux s'injectèrent de sang.

Vite, vite, dit-il, le papier!

Salvator le lui montra.

M. de Lamothe-Houdan s'approcha de la table et écrivit, d'une main plus assurée qu'on ne pouvait le supposer à cet instant suprême, les lignes suivantes :

« Qu'on n'accuse personne de la mort du comte Rappt; c'est moi qui l'ai tué, ce soir, à dix heures, dans mon jardin, pour le chatier d'un outrage dont je l'ai forcé de me rendre

raison.

» Signé : Maréchal DE LAMOTHE-HOUDAN. »

On eût dit que la mort attendait que le dernier grand acte de cet honnête homme fût accompli pour s'emparer de lui. A peine avait-il signé cet écrit, qu'il se leva brusquement

le der

comme mû par un ressort, poussa un cri terrible, nier cri de l'agonie, et retomba lourdement sur le canapé, foudroyé par l'apoplexie!...

Le lendemain, tous les journaux ministériels annoncèrent que la douleur d'avoir perdu sa femme, avait mis le maréchal au tombeau.

On les enterra tous les deux le même jour dans le même cimetière, dans le même caveau !...

Quant au comte Rappt, d'après une requête adressée au roi, par le maréchal de Lamothe-Houdan, annexé à son testament, son corps fut conduit en Hongrie, et enterré au village de Rappt, lieu de sa naissance, et auquel il avait pris son nom.

CLXV

Les méditations de M. Jackal.

Dût-on traiter notre opinion de paradoxale, nous affirmons que le meilleur gouvernement est celui où l'on pourra se passer de ministres.

Les hommes de notre âge qui ont assisté aux luttes politiques, aux intrigues ministérielles de la fin de l'année 1827, pour peu qu'ils aient gardé mémoire des derniers soupirs de la Restauration, partageront notre opinion, nous n'en doutons pas.

En effet, après le ministère provisoire où étaient entrés M. le maréchal de Lamothe-Houdan et M. de Marande, le roi avait chargé M. de Chabrol de composer un ministère définitif.

En voyant annoncé, dans les journaux du 26 décembre, que M. de Chabrol partait pour la Bretagne, tout le monde

crut que le cabinet était constitué, et on attendit avec anxiété l'insertion de cette nouvelle au Moniteur. Nous disons avec anxiété, car, depuis les émeutes des 19 et 20 novembre, tout Paris était resté plongé dans la stupeur, et la chute du ministère Villèle, qui donnait satisfaction à la haine publique, ne faisait cependant ni oublier le passé, ni présager un meilleur avenir. Tous les partis s'agitaient, et il venait l'en sourdre un nouveau qui criait de loin au duc d'Orléans d'être le tuteur de la France et de sauver ainsi la royauté d'un danger imminent.

Mais en vain cherchera-t-on la nouvelle dans le Moniteur du 27, du 28, du 29, du 30 et du 31 décembre.

Le Moniteur était muet, il semblait endormi comme la Belle au bois dormant. On espérait qu'il allait se réveiller le 1er janvier 1828; il n'en fut rien. On apprit seulement que Charles X, irrité contre les royalistes qui avaient précipité la chute de M. de Villèle, avait rayé, les uns après les autres, les noms de tous les candidats au ministère que M. de Chabrol lui avait présentés; entre autres, pour n'en citer que deux, MM. de Chateaubriand et de Labourdonnaie.

D'un autre côté, les hommes politiques qu'on appelait à faire partie du nouveau cabinet, connaissant l'ascendant que M. de Villèle exerçait encore sur l'esprit du roi, et ne se souciant pas, tout en héritant de l'animadversion qu'avait laissée derrière lui le président du conseil, de jouer le rôle d'hommes de paille, refusèrent absolument d'entrer dans une pareille combinaison. De là tous les embarras de M. de Chabrol, et voilà pourquoi, chers lecteurs, nous vous demandons la permission de vous dire: Tant qu'il y aura des ministres, il n'y aura pas de bon ministère. »

Enfin, le 2 janvier (expectata dies), on annonça que la montagne était grosse, en d'autres termes, que M. de Chabrol était parvenu à composer son ministère.

La crise dura deux jours, le 3 et le 4, crise terrible, à en juger par l'expression de désespoir dont la figure des courtisans était empreinte.

Dans la soirée du 4, le bruit transpira que le nouveau ministère présenté par M. de Chabrol était définitivement agréé par le roi.

En effet, le Moniteur du 5 janvier publiait une ordonnance

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