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vingt autres, avaient, après la bataille, le 29 juillet, arboré le drapeau tricolore sur les Tuileries.

Si le vœu de la nation m'élève au trône, dit le duc d'Orléans, croyez-vous que les républicains se rallieront à moi?

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Assurément, non, répondit Salvator au nom de ses compagnons.

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Que feront-ils alors?

Ce que Votre Altesse faisait avec nous : ils conspireront.

- C'est de l'entêtement! dit le futur roi.

— C'est de la persévérance, dit Salvator en s'inclinant.

IN DE SALVATOR

GASTON PHOEBUS

CHRONIQUE

DANS LAQUELLE EST RACONTÉE

L'HISTOIRE DU DÉMON FAMILIER DU SIRE DE CORASSE

Le quinzième jour du mois d'août de l'an 1385, vers la huitième heure du soir, monseigneur Gaston III, vicomte de Béarn et comte de Foix, assis à une table et penché sur un parchemin, écrivait aux derniers rayons du soleil couchant, qui pénétraient dans l'appartement à travers les fenêtres armoriées de son château d'Orthez, le soixante-troisième chapitre de son ouvrage sur la chasse des bêtes sauvages et des oiseaux de proie. Celui qui l'eût revu alors, après une longue absence, aurait eu peine à reconnaître ce gentil chevalier que, quinze ans auparavant, cn appelait le beau Phoebus les uns disent parce qu'il avait les cheveux dorés comme ceux d'Apollon, les autres parce que, s'occupant incessamment d'astronomie, il avait pris un soleil pour sa devise. C'est que, pendant l'espace de temps qui s'était écoulé entre sa jeunesse et l'âge mûr auquel il était parvenu, il avait éprouvé de rudes chagrins qui avaient argenté ses blonds cheveux et sillonné son front de rides. Or, quoi

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que ces chagrins soient antérieurs à l'époque où commence cette histoire, comme ils sont lamentables et véridiques, je vais brièvement vous les raconter. Ils seront au récit qui va suivre ce que le cadre est au tableau.

Il existait depuis longtemps de vives contestations entre les comtes de Foix et les comtes d'Armagnac, à propos du pays de Béarn, sur lequel chacune des deux familles prétendait avoir des droits. Il n'est pas besoin de dire que les contestations du moyen âge se jugeaient en rase campagne et non devant les tribunaux, par l'intermédiaire non pas d'avo cats bavards et de juges retors, mais de loyaux chevaliers et de francs hommes d'armes. Or, toutes les fois que ceux du parti de Foix et du parti d'Armagnac se rencontraient, chacun, sans plus tarder, mettait la lance en arrêt ou tirait son épée du fourreau, et frappait de l'une et de l'autre jusqu'à ce que la fortune se déclarât pour l'un des deux partis. Maintenant, vous saurez que, grâce au courage et à la prudence du beau Gaston Phoebus, la victoire était presque tou jours de son côté.

Par une nuit de Saint-Nicolas, pendant l'hiver de l'an 1362, le comte de Foix avait pris, dans une de ces rencontres nocturnes, tout près de Mont-de-Marsan, le comte d'Armagnac, aïeul de celui qui était comte à cette heure, et avec lui le seigneur d'Albret, son neveu, et tous les nobles qui les accompagnaient. Joyeux et fier de cette prise, il avait emmené ses prisonniers à la tour de son château d'Orthez, d'où ils ne devaient sortir qu'en se rachetant pour la somme d'un million; ce qu'ils firent sans trop grande peine, tant ils étaient riches et puissants seigneurs.

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Mais, sitôt qu'ils furent dehors et qu'ils se furent échappés des mains du comte de Foix, ils n'eurent plus qu'un désir, celui de se venger. Cependant, comme le comte était vieux, il confia le soin de cette vengeance, qu'il ne pouvait accomplir lui-même, à Jean d'Armagnac, son fils, qui se mit, avec le seigneur d'Albret, son cousin, à la tête d'une chevauchée de deux cents hommes; puis tous les deux s'en vinrent surprendre la ville de Casserès, qui appartenait au comte de Foix. Ils s'en approchèrent sans bruit, dressèrent des échelles contre les remparts, et, comme on ne se doutait pas de leurs projets, ils avaient, grâce à l'obscurité, escaladé les murailles avant que la garnison soupçonnât même qu'elle

fût en danger d'être attaquée. Cette surprise les rendit donc facilement maitres de la ville.

Aussitôt que Gaston Phoebus apprit ces nouvelles, il appela près de lui ses deux frères bâtards, Arnauld Guillaume et Pierre de Béarn, qu'il avait faits ses capitaines, et, sachant leur bonne volonté et courage en fait de guerre, il leur dit :

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Chers frères et amis, vous saurez que le vicomte d'Armagnac et le seigneur d'Albret se sont emparés par échellade de ma bonne ville de Casserès. Prenez donc cent hommes d'armes, et chevauchez jour et nuit; puis, par tous les pays et villes où vous passerez, prenez mes vassaux avec vous, de manière à pouvoir bloquer nos ennemis dans la ville arrivés devant ses murs, et aidés des gens du pays qui sont pour nous, fermez les portes avec des pierres et des poutres; plantez tout autour de la ville des pieux et des palissades; faites ouvrir et creuser derrière des fossés et des tranchées, de manière qu'aucun de ceux qui sont entrés dans la place n'en puissent sortir. Puis, au milieu de votre besogne, et avant qu'il soit huit jours d'ici, je vous arriverai avec un renfort tel qu'ils seront trop heureux de nous venir à merci.

Les deux chevaliers partirent sur l'heure, et, comme c'étaient deux braves et prudents capitaines, ils suivirent de point en point les instructions qui leur avaient été données. Ainsi que l'avait prévu le comte de Foix, tous les paysans et vilains qu'ils rencontrèrent les suivirent de grand cœur, de sorte qu'ils arrivèrent devant la ville avec une troupe considérable. Cependant le vicomte d'Armagnac et le seigneur d'Albret, qui ne voyaient dans cette multitude qu'une centaine d'hommes armés, ne tinrent compte de leur présence et se contentèrent de fermer les portes, puis ils continuèrent à se partager leur butin. Le lendemain, ils se réveillèrent clos et enfermés. Cette multitude qu'ils avaient si fort méprisée avait travaillé toute la nuit avec tant d'ardeur et de haine, que, le matin, elle avait achevé ses besognes. Alors les assiégés commencèrent à s'inquiéter sérieusement de cette manœuvre; mais ce fut bien pis lorsque, le quatrième jour, ils virent arriver le comte de Foix avec cinq cents hommes. Sans se reposer, sans descendre de son cheval, il fit aussitôt le tour du camp, visitant fossés et palissades, fai

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Aussitôt la figure du prince, de gaie et ouverte qu'elle était, devint grave et sérieuse, car c'était un chevalier loyal et esclave de sa parole que le fils du roi Édouard. Il répondit au comte d'Armagnac qu'une telle demande lui semblait indiscrète; que son avis et son opinion, à lui, étaient que le comte d'Armagnac avait été loyalement fait prisonnier, et devait loyalement payer sa rançon ; que, dans ce siége, le comte de Foix avait risqué son corps et ses gens, et que, par conséquent, la fortune ayant été bonne pour lui, nul, et son suzerain moins que tout autre, n'avait le droit de le dépouiller de ce qui lui était dû.

La chose, ajouta le duc, est la même que si l'on nous demandait, à mon père et à moi, de rendre à la France ce que la France nous a concédé pour prix de la rançon du roi Jean, après notre victoire de Poitiers; ce que nous ne ferions, certes, ni l'un ni l'autre, quelle que fût la personne qui nous le demandât.

Ces raisons étaient trop plausibles pour que messire d'Armagnac insistât; mais il ne se tint pas pour battu et se retourna d'un autre côté.

Il s'adressa à la duchesse, qui, moins experte que son mari en choses de guerre, et ne voyant qu'une occasion de rendre service au comte d'Armagnac, se chargea d'obtenir la gràce qu'il demandait.

Or, un jour qu'après le dîner, le beau Gaston Phoebus lui donnait le bras, devisant et muguetant avec elle, elle s'arrêta, et, le regardant avec des yeux comme les femmes en savent emprunter à Satan lorsqu'elles veulent faire de nous à leur volonté :

-Comte de Foix, lui dit-elle, je vous requiers un don; jurez-moi de me l'octroyer.

Madame, répondit Phoebus, qui se doutait de ce qu'allait lui demander la duchesse, mon bras et ma vie sont à vous; s'il s'agit de guerre, ordonnez, et j'irai sur votre parole partout où il vous plaira de m'envoyer, fût-ce en terre sainte; mais, à l'égard de la finance, je suis malheu'reusement plus restreint, n'étant, relativement à monseigneur le prince de Galles, qu'un pauvre seigneur et un petit bachelier. Cependant, si le don que vous avez à me demander ne dépasse pas cinquante mille livres, regardez-le comme accordé d'avance.

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