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j'ai pris à tâche de panser et de guérir les blessés que fait la société à toute heure. Le temps que j'ai passé auprès de vous est un temps volé à mes malades. Laissez-moi donc retourner vers eux et oubliez que vous m'avez vu.

Non, s'écria impétueusement la jeune fille, il ne sera pas dit que je n'aurai pas mis toute insistance... Je vous supplie, Conrad, d'essayer de devenir mon ami.

Jamais! répondit amèrement le jeune homme.

Soit, murmura Suzanne en réprimant un geste de dépit; mais, puisqu'il vous a plu de m'obliger si généreusement, je ne sais pas pour quelle cause, voulez-vous, en cette matière-là, m'obliger tout à fait?

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La cause est celle que je vous ai dite, Suzanne, riposta sévèrement Salvator; je vous le jure devant Dieu. Quant à vous obliger tout à fait dans le sens que vous dites, je ne demande pas mieux; mais expliquez-vous, je ne vous comprends pas. Avez-vous besoin d'une année à l'avance?

-Je veux quitter Paris, répondit Suzanne, et non-seulement Paris, mais l'Europe. Je veux me retirer dans une solitude, eu Amérique ou en Asie; j'ai horreur du monde; j'ai donc besoin de toute la fortune que vous me faites la grâce de me donner.

Où vous serez, Suzanne, votre revenu vous parviendra; n'ayez aucune crainte à ce sujet.

Non, dit Suzanne, qui sembla hésiter, j'ai besoin d'avoir toute ma fortune avec moi; je veux l'emporter, et qu'on ignore ici le lieu que j'aurai choisi pour ma retraite.

Si je vous comprends, Suzanne, c'est tout votre capital, c'est-à-dire un million, que vous me demandez ?

- N'avez-vous pas dit, tout à l'heure, que ce million était déposé chez M. Baratteau ?

vous?

Et je vous le répète,

- Le plus tôt possible.

Suzanne.

Quand comptez-vous partir?

Aujourd'hui, si je pouvais.

Quand le voulez

Aujourd'hui, il est trop tard pour réaliser cette somme.
Quel temps faut-il donc?

Vingt-quatre heures, tout au plus.

Ainsi, demain à pareille heure, dit mademoiselle de

Valgeneuse, dont les yeux rayonnèrent de bonheur, je pourrai partir, emportant un million ?

- Demain, à pareille heure.

O Conrad, s'écria la jeune fille avec une sorte d'exaltation amoureuse, pourquoi ne nous sommes-nous pas rencontrés sur une meilleure route! Quelle femme j'eusse été entre vos mains! De quel ardent amour je vous eusse entouré!...

- Adieu, ma cousine, dit Salvator, qui ne voulait pas en entendre davantage. Que Dieu vous pardonne le mal que vous avez fait, et qu'il vous préserve de celui que vous avez peut-être dessein de faire encore.

Mademoiselle de Valgeneuse frissonna involontairement. - Adieu, Conrad, dit-elle, osant à peine le regarder; je vous souhaite, moi, tout le bonheur que vous méritez, et, quoi qu'il arrive, je n'oublierai jamais que, pendant un quart d'heure, à votre contact,. je suis redevenue une honnête femme et un bon cœur.

Salvator salua mademoiselle de Valgeneuse et se rendit, ainsi que nous l'avons dit au commencement de ce chapitre, chez Camille de Rozan.

Monsieur, dit-il, dès qu'il aperçut l'Américain, j'ai trouvé votre carte à la maison, et je suis venu m'informer, aussitôt que je l'ai pu, de la raison qui m'a valu l'honneur de votre visite.

Monsieur, répondit Camille, vous vous nommez bien Conrad de Valgeneuse?

Oui, monsieur.

Vous êtes, par conséquent, le cousin de mademoiselle de Valgeneuse?

En effet.

Eh bien, monsieur, ma visite n'était à autre fin que de savoir de vous qui, à ce que j'ai entendu dire, êtes héritier direct, quelles sont vos intentions à l'endroit de mademoiselle Suzanne?

Je veux bien vous répondre, monsieur; mais encore faut-il que je sache à quel titre vous m'interrogez. Êtesvous l'homme d'affaires de ma cousine, son avoué, son conseil? Sur quoi me faites-vous l'honneur de me questionner? sur ses droits, ou sur mes sentiments?

Sur les uns et sur les autres.

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20

Alors, mon cher monsieur, vous êtes à la fois son parent et son homme d'affaires ?

Ni l'un ni l'autre. J'étais l'ami intime de Lorédan, et je crois avoir un titre suffisant pour m'informer du sort de sa sœur, qui désormais est orpheline.

-

Très-bien, mon cher monsieur... Vous étiez l'ami de M. de Valgeneuse; alors, pourquoi vous adressez-vous à moi dont il était le mortel ennemi ?

Parce que je ne connais pas d'autre parent que vous.
C'est donc à ma charité que vous avez recours?

· A votre charité, si le mot vous plaît.

- En ce cas, cher monsieur, pourquoi me parlez-vous sur ce ton? pourquoi êtes-vous si agité, si nerveux, si fébrile? Celui qui remplit le pieux devoir que vous remplissez en ce moment, n'est pas troublé comme vous l'êtes. Une bonne action s'accomplit froidement que vous arrive-t-il? Monsieur, nous ne sommes pas ici pour discuter mon tempérament.

Sans doute; mais nous sommes ici pour discuter les intérêts d'une personne absente; il faut donc le faire avec calme. En deux mots, qu'est-ce que vous me faites l'honneur de me demander?

Je vous demande, dit violemment Camille, ce que vous comptez faire à l'égard de mademoiselle de Valgeneuse? J'ai l'honneur de vous répondre, mon cher monsieur, que c'est une affaire entre ma cousine et moi.

Autrement dit, vous refusez de me répondre? Je refuse, en effet, et je ne le dis pas autrement que je ne veux le dire.

Eh bien, monsieur, comme je parle au nom du frère de mademoiselle de Valgeneuse, je regarde votre refus comme un manque de cœur.

Que voulez-vous, mon cher monsieur! mon cœur n'est pas pétri de la mêine matière que le vôtre.

-

- Moi, monsieur, je dirais franchement ma pensée, et, si un ami m'interrogeait, je ne le laisserais pas inquiet sur le sort d'une orpheline.

- Alors, mon cher monsieur, pourquoi avez-vous laissé Colomban inquiet sur le sort de Carmelite? demanda Salvator d'une voix sévère.

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