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ce qui, avec son teint pâle, faisait un des contrastes les plus charmants qui se pût voir. Le comte de Foix adorait Gaston. Ses chiens (et c'est ce qu'il aimait le plus après son fils), ses équipages de chasse (et c'était ce qu'il estimait le plus après ses harnois de guerre), étaient à Gaston comme à luimême. Chaque matin, cet enfant bien-aimé était chargé de distribuer cinq ou six livres d'aumône à la porte du château, ce qui faisait que le jeune héritier était adoré des pauvres comme de son père.

Le comte d'Armagnac avait une fille jeune et belle, comme Phoebus de Foix un fils jeune et beau. Sa gracieuse et souriante figure avait une telle expression de joie et de bonté, qu'on ne l'appelait dans tout le pays que la gaie Armagnaçoise. Ces parents, si longtemps divisés, virent un moyen d'unir leurs familles en unissant leurs enfants: la fille de Jean fut fiancée au fils de Phoebus, et reçut en dot les deux cent mille livres que le comte d'Armagnac devait au comte Foix. Alors l'enfant devenu, par ces fiançailles, un peu plus libre dans ses volontés et plus hardi dans ses désirs, sollicita et obtint de son père la permission d'aller en Navarre faire une visite à son oncle et à sa mère. Le comte Phoebus lui donna une suite digne de lui, et l'enfant s'achemina vers Pampelune.

La comtesse le reçut comme une mère reçoit un fils qu'elle n'a pas vu depuis six ans, et le roi de Navarre, comme un instrument qu'il voulait faire servir à ses projets. Le jeune Gaston rendit amitié pour amitié sans distinguer celle qui' était fausse de celle qui était vraie, et passa ainsi, choyé par ce double amour, les trois plus heureux mois de sa courte vie. Au moment de partir, il fit tout ce qu'il put pour déterminer sa mère à revenir à Orthez. Celle-ci lui demanda s'il avait reçu du comte mission de la ramener. Gaston, qui avait été élevé dans le respect de la vérité, fut obligé d'avouer qu'il n'avait été question de rien de pareil entre lui et son père. Alors l'orgueil irrité de l'épouse imposa silence au cœur de la mère, et toutes les instances de Gaston furent perdues. Ces adieux se passaient dans un château situé à quelques lieues de la capitale. C'était là qu'habitait ordinairement la comtesse, à qui sa situation commandait l'isolement et la retraite.

L'enfant s'achemina vers Pampelune, le visage baigné

des larmes de sa mère et le cœur tout attristé de sa mauvaise réussite. Il allait à son tour faire ses adieux au roi, qui le reçut au départ comme à l'arrivée, c'est-à-dire avec une tendresse toute paternelle. Charles le retint dix jours, lui donna force jeux et fêtes; puis, au moment de partir, et comme il allait monter à cheval, il le tira à part dans sa chambre.

Gaston, lui dit-il, je t'ai vu triste et mécontent, quelque soin que j'aie pris pour t'égayer. Or, comme je t'aime tendrement, je me suis demandé quel chagrin pouvait attrister un jeune homme de ton âge, beau, riche, fils d'un comte et neveu d'un roi. Alors j'ai pensé qu'il n'y avait en pareil cas qu'une seule chose sur laquelle je pusse m'arrêter, et cette chose, c'est la mésintelligence du comte et de la comtesse. Hélas! répondit l'enfant, vous avez deviné juste, mon

oncle.

Eh bien, continua Charles, comme c'est moi qui ai été la cause de leur discorde,j'ai pensé qu'il m'appartenait d'être l'instrument de leur réunion. Donc, j'ai fait venir d'Espagne un More très-renommé, comme faiseur de philtres et de compositions amatoires. A prix d'or, il m'a vendu la poudre qui est dans cette bourse; eh bien, beau neveu, prends-la, mêles-en une pincée au vin du comte. Tout d'abord, il éprouvera le désir de revoir la comtesse, et ne sera content et heureux que lorsqu'il l'aura fait revenir près de lui. Dès ce moment, ce sera chose finie, et ils s'entr'aimeront à toujours, et si entièrement, qu'ils ne voudront jamais se séparer, cé que tu dois désirer fort. Mais, pour que tout arrive à bien, il ne faut parler de ce projet à personne, car tout serait perdu par le seul fait qu'un autre que l'alchimiste, toi et moi, connaitraît la puissance de cette poudre.

Soyez en bonne assurance de tout, mon cher oncle, répondit l'enfant; je ferai volontiers et de point en point ce que vous me dites, et, si la chose réussit, je vous en aimerai davantage encore, si cela est possible.

Sur cette promesse l'enfant partit et chevaucha tant sur son beau palefroi, qu'il arriva enfin à Orthez. Il ne faut pas demander si le comte fut bien aise de le revoir. C'était la première fois qu'il avait été séparé de son fils depuis sa naissance; et maintenant que la mère n'était plus au logis, lorsque son enfant s'absentait ainsi, son cœur et son château

étaient vides. Il lui fit donc grande chère et lui demanda des nouvelles de la Navarre et quels présents on lui avait faits; or, le jeune Gaston montra tout au comte, armes et ioyaux, mais de la bourse, ainsi que la chose avait été convenue, il ne dit pas un mot.

II

Cependant, outre le jeune Gaston, le comte de Foix avait un fils bâtard, nommé Yvain, qui était élevé au château d'Orthez. Les deux enfants se firent grande fête, car ils étaient encore à cet âge où l'on ignore la jalousie de rang et de naissance; et, suivant leur habitude, le soir même du retour de Gaston, ils partagèrent la même chambre et le même lit. Le lendemain, comme Gaston, fatigué du voyage, dormait plus tard et plus profondément que de coutume, Yvain voulut voir comment lui irait la belle cotte brodée de son frère. En l'essayant, l'enfant sentit la bourse qu'avait donnée le roi de Navarre à son neveu, et, l'ayant ouverte par curiosité, il vit la poudre qu'elle renfermait. En ce moment, Gaston se réveilla et machinalement étendit la main vers ses habits. Yvain referma vivement la bourse. Gaston se retourna et aperçut son frère vêtu de sa cotte. Alors, se rappelant la recommandation de son oncle, et craignant que tout ne fût perdu si Yvain se doutait de quelque chose, il redemanda avec humeur son habit. Yvain le lui jeta tout fâché. Gaston se vêtit en silence, et tout ce jour demeura si pensif, que plusieurs fois le comte lui demanda ce qu'il avait; mais aussitôt l'enfant se mettait à sourire, secouant sa blonde tête, comme pour en faire tomber une pensée trop lourde pour son âge, et il répondait qu'il n'avait rien. Trois jours après, Gaston et Yvain jouaient à la balle; et, comme si Dieu lui-même eût voulu sauver le comte de Foix,

il arriva que les deux enfants se prirent de querelle à propos d'un coup douteux, et que Gaston, qui tenait de son père un sang ardent et un caractère emporté, donna un soufflet à Yvain. Celui-ci, qui sentait sa faiblesse et sa position inférieure vis-à-vis de son frère, au lieu de rendre coup pour coup, comme il eût fait si tout autre de ses amis l'eût frappé, s'enfuit du préau, puis entra tout en larmes dans la chambre de son père et le trouva comme il venait d'entendre la messe; ce qu'il ne manquait pas de faire chaque matin.

En voyant Yvain ainsi éploré, le comte lui demanda ce qu'il avait.

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Gaston m'a battu, répondit l'enfant, et cependant je jure Dieu, monseigneur, que, si l'un de nous deux mérite d'être battu, ce n'est pas moi.

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Et pourquoi cela? dit le comte.

Parce que, monseigneur, continua l'enfant, depuis qu'il est revenu de Navarre, il porte sur sa poitrine une bourse pleine de poudre qu'il ne laisse voir à personne, et qu'il ne cache pas ainsi sans mauvaise intention.

Dis-tu vrai? s'écria le comte, qui commença à prendre quelques soupçons, d'autant plus qu'en ce moment la préoccupation de son fils lui revint en mémoire.

Vrai, sur mon âme, répondit Yvain, et vous pouvez vous en assurer, monseigneur, si tel est votre bon plaisir. C'est bon, dit le comte; ne parle à personne au monde de ce que tu viens de me raconter.

Monseigneur, dit l'enfant, il sera fait ainsi que vous

le désirez.

Le comte de Foix vivait dans des temps où la vie n'était qu'une longue lutte. La mort, presque toujours présente et apparaissant sous mille faces, rendait l'homme le plus confiant de sa nature, soupçonneux à l'égard de ses serviteurs les plus fidèles et de ses parents les plus proches; il demeura donc toute la matinée préoccupé de ce que lui avait dit Yvain. L'heure du diner arriva.

Le comte se mit à table. Gaston, selon son habitude, lui présenta à laver, puis alla s'asseoir pour découper les viandes qu'il devait servir à son père, après en avoir fait l'essai. Comme il remplissait cet office, le comte le regarda attentivement, et vit les cordons de la bourse sortir, entre deux

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boutons, par l'ouverture de son habit. Aussitôt le sang lui monta au visage, car il demeurait prouvé que l'accusation d'Yvain était vraie. Il ne voulut donc pas attendre plus longtemps, et résolut de tout éclaircir sur l'heure.

reille.

Gaston, dit-il, viens-ici, car j'ai un mot à te dire à l'o

Gaston, sans défiance, se leva et s'approcha de son père. Alors le comte, tout en lui parlant, déboutonna l'habit, et, prenant d'une main la bourse et de l'autre un couteau, il coupa les cordons qui l'attachaient, si bien qu'elle lui resta dans la main. Puis, la montrant à son fils, il lui dit d'un ton sévère :

-Qu'est-ce que cette bourse, et que voulez-vous faire de la poudre qui est dedans?

L'enfant ne répondit rien; mais, se sentant coupable, il devint pâle comme la mort, et commença de trembler de tous ses membres. Le comte, de plus en plus convaincu des mauvaises intentions de son fils, par son trouble et par sa terreur, ouvrit la bourse, prit une pincée de poudre, la mit sur une tranche de pain imbibée de jus de viande, et, sifflant un lévrier qui était près de lui, il la lui donna à manger. A peine le chien eut-il avalé le morceau de pain, que les yeux lui tournèrent dans la tête, et que, se couchant sur le dos, il roidit les pattes et expira.

Le comte de Foix ne pouvait conserver aucun doute; aussi entra-t-il dans une grande colère, et, s'adressant à Gaston, stupéfait et anéanti :

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Ah! traître lui dit-il, pour conserver et accroître un héritage qui te devait revenir, j'ai eu haine et guerre du roi de France, du roi d'Angleterre, du roi d'Espagne, du roi de Navarre et du roi d'Aragon; et voilà que, pour ma récompense, tu me veux empoisonner. Oh! c'est d'une infâme et mauvaise nature, et, sur mon âme, je vais te tuer à l'instant, comme je ferais d'un reptile venimeux ou d'une bête féroce.

A ces mots, il s elança de table, un couteau à la main, et il allait égorger l'enfant, car celui-ci ne faisait aucune textative pour se soustraire au coup mortel, se contentant de regarder son père et de verser de grosses larmes. Mais les chevaliers et écuyers qui se trouvaient là tombèrent à genoux, les bras étendus vers le comte, et criant:

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