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Je ne prétends pas, monseigneur, j'affirme.

En un mot, vous refusez absolument de vous entremettre pour moi?

- Je refuse positivement, monseigneur.

- C'est la guerre que vous cherchez?

Je ne la cherche ni ne la fuis, monseigneur ; je l'accepte et je l'attends.

- A bientôt donc, monsieur le comte! dit l'évêque en s'éloignant brusquement.

- Quand vous voudrez, monseigneur, répondit le comte en souriant.

C'est toi qui l'auras voulu, murmura sourdement l'évêque en regardant d'un œil menaçant le pavillon du comte. Et il sortit plein de fiel et de haine, et roulant dans sa tête mille projets de vengeance contre son ennemi.

Arrivé chez lui, son parti était pris; son moyen de vengeance était trouvé. Il se dirigea vers son cabinet de travail et prit dans un des tiroirs de son bureau un papier qu'il déplia rapidement.

C'était la promesse écrite par le compte Rappt, quelques heures avant l'élection, de faire nommer, s'il devenait ministre, monseigneur Coletti archevêque.

Monseigneur Coletti sourit d'un air diabolique en lisant cet écrit. Goethe, en le voyant ainsi sourire, eût reconnu l'incarnation de son Méphistophélès. Il replia la lettre, et, la fourrant dans sa poche, il descendit rapidement les marches de l'escalier, sauta dans sa voiture et se fit conduire au ministère de la guerre, où il demanda le maréchal de Lamothe-Houdan.

Au bout de quelques instants, un huissier vint lui annon. cer que le maréchal l'attendait.

Le maréchal de Lamothe-Houdan n'était pas, tant s'en aut, un diplomate de la force de son gendre, et encore moins un hypocrite de la trempe de monseigneur Coletti; mais il avait une qualité qui suppléait à l'hypocrisie et à l'astuce. Son habileté à lui était sa franchise; sa force, c'etait sa droiture. Il ne connaissait l'évêque que comme le confesseur et le directeur de sa femme. Mais, de ses menées politico-religieuses, de ses travaux souterrains pour l'ordre, de ses faits et gestes scandaleux connus publiquement, i! ne savait absolument rien, tant sa hauts loyauté, toute

grande ouverte au bien, était hermétiquement fermée au mal.

Il accueillit donc l'évêque comme un prêtre entre les mains duquel était déposé le précieux dépôt de la conscience de sa femme; il le salua respectueusement, et, approchant un fauteuil, il lui fit signe de s'asseoir.

- Pardonnez-moi, monsieur le maréchal, dit l'évêque, de venir vous déranger au milieu de vos importants travaux.

- J'ai trop rarement l'occasion de vous voir, monseigneur, répondit le maréchal, pour ne pas l'accepter avec empressement lorsqu'elle se présente. A quel heureux hasard dois-je l'honneur de votre visite?

Monsieur le maréchal, dit l'évêque, je suis un honnête

homme.

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Je n'en doute pas, monseigneur.

Je n'ai jamais fait de mal, et je n'en voudrais faire à personne au monde.

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Tous mes actes sont là pour répondre de la pureté de ma vie.

-

Vous êtes le confesseur de madame la maréchale, monseigneur; je n'en dirai pas davantage.

- Eh bien, précisément, monsieur le maréchal, et c'est justement parce que je suis le confesseur de madame de Lamothe-Houdan que j'ai l'honneur de vous demander un netretien.

- Je vous écoute, monseigneur.

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Que diriez-vous, monsieur le maréchal, si vous appreniez tout à coup que le confesseur de votre vertueuse épouse est un être haïssable et méchant, sans honneur et sans vergogne; un scélérat souillé des plus affreuses iniquités ?

Je ne vous comprends pas, nonseigneur.

Que diriez-vous si celui qui vous parle était le pécheur le plus pervers, le plus éhonté, le plus dangereux de toute la chrétienté?

- Je lui dirais, monseigneur, que sa place n'est pas auprès de ma femme, et, s'il insistait, je le mettrais à la porte par les deux épaules.

Eh bien, monsieur le maréchal, celui dont je vous parle, s'il n'est pas un profond scélérat, est accusé de l'être,

et c'est à vous, la loyauté et l'honneur en personne, que je viens demander justice.

Si je vous entends bien, monseigneur, vous êtes accusé de je ne sais quelle faute, et vous vous adressez à moi pour obtenir réparation de votre injure. Malheureusement, monseigneur, et je le regrette vivement, je ne puis rien. Si vous étiez militaire, ce serait différent; mais vous êtes ecclésias tique, c'est au ministre des cultes qu'il faut en référer.

Vous ne me comprenez pas, monsieur le maréchal. - En ce cas, expliquez-vous plus clairement.

J'ai été accusé, calomnié auprès du saint-père par un membre de votre famille.

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Mais quel rapport peut-il exister entre le comte Rappt et vous, et pourquoi vous aurait-il calomnié ?

Vous connaissez, monsieur le maréchal, la toute-puissance du clergé sur l'esprit de la bourgeoisie ?

Oui! murmura le maréchal de Lamothe-Houdan du ton dont il eût dit: « Hélas! je ne la connais que trop!»

Au moment des élections, poursuivit l'évêque, le clergé a usé de tout le crédit que lui accorde la confiance publique pour faire arriver à la Chambre les candidats de Sa Majesté. Un des membres du clergé, auquel une vie irréprochable plutôt qu'un vrai mérite a donné une vaste influence sur les élections de Paris, c'est moi, Excellence, c'est votre humble, respectueux et dévoué serviteur...

- Mais je ne vois pas, dit le maréchal, qui commençait à s'impatienter, quel rapport il y a entre les calomnies dont vous êtes l'objet, les élections et mon gendre.

Uu rapport intime, direct; monsieur le maréchal. Ex effet, l'avant-veille des élections, M. le comte Rappt est venu me trouver et m'offrir, si je parvenais à le faire nommer, l'archevêché de Paris, en cas que la maladie de monseigneur l'archevêque fût mortelle, ou tout autre archevêché vacant, dans le cas où monseigneur en reviendrait.

- Fil dit le maréchal d'un air de dégoût; voilà une vilaine proposition, un ignoble trafic.

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- C'est ce que j'ai pensé, monsieur le maréchal, s'empressa de dire l'évêque; aussi me suis-je permis de blamer sévèrement M. le comte.

Et vous avez bien fait ! dit vivement le maréchal.

- Mais M. le comte a insisté, poursuivit l'évêque; il m'a représenté, et non sans raison, que les hommes d'un talen et d'un dévouement aussi éprouvés que le sien étaient rares; que Sa Majesté avait de nombreux et de rudes ennemis à combattre et, continua modestement monseigneur Coletti, en m'offrant un archevêché, me dit-il, il n'avait d'autre but que de me mettre à même de réchauffer l'esprit religieux, qui se refroidit de jour en jour. Ce sont ses propres paroles, monsieur le maréchal.

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Et qu'est-il résulté de cette méchante proposition?

Bien méchante, en effet, monsieur le maréchal, mais plus méchante par la forme que par le fond; car, hélas! il n'est que trop vrai que l'hydre de la liberté relève la tête. Si nous n'y prenons garde, avant un an, c'en est fait de la conscience humaine; et voilà comment j'ai été contraint d'accepter l'offre que me faisait M. le comte.

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De façon, dit sévèrement le maréchal, si je vous comprends bien, que mon gendre s'est engagé à vous faire nommer archevêque, et que vous vous êtes engagé à le faire nommer député?

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- Dans l'intérêt du ciel et de l'État, oui, monsieur le maréchal.

- Eh bien, monsieur l'abbé, reprit le maréchal, quand Vous êtes entré chez moi, tout à l'heure, je savais aussi bien que vous à quoi m'en tenir sur la moralité du comte Rappt...

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Je n'en doute pas, Excellence, interrompit l'évêque. Quand vous sortirez d'ici, monsieur l'abbé, continua le maréchal, je saurai aussi à quoi m'en tenir sur votre compte.

Monsieur le maréchal! s'écria violemment monseigneur

Coletti.

- Qu'y a-t-il ? demanda d'un air hautain le maréchal. Que Votre Excellence excuse mon étonnement; mats je ne m'attendais guère, je l'avoue, en entrant ici, à ce qui en arriverait.

- Qu'arrivera-t-il donc, monsieur l'abbé ?

Mais Votre Excellence le sait aussi bien que moi; si Votre Excellence n'emploie pas tout son crédit pour me faire rentrer en grâce auprès du saint-père, dans l'esprit duquel j'ai été noirci par M. le comte Rappt, je serai obligé de livrer à la publicité les preuves écrites de la méchanceté de M. le comle, et je ne pense pas que M. le maréchal serait fort réjoui de voir son noble nom compromis dans de si désastreux débats.

--

Expliquez-vous plus clairement, s'il vous plaît.

Tenez, Excellence, dit l'évêque en tirant de sa poche la lettre de M. Rappt et en la présentant au maréchal. Le visage du vieillard s'empourpra à la lecture de cette lettre.

- Tenez, dit-il en la rendant avec dégoût. Je vous comprends tout à fait maintenant, et je vois ce que vous êtes venu me demander.

Puis, se retournant, il agita la sonnette.

Sortez, dit-il, et rendez grâce à Dieu de l'habit qui vous couvre et du lieu où nous sommes.

Excellence! s'écria l'évêque furieux

Silence! dit impérieusement le maréchal. Écoutez un bon conseil, afin de n'avoir pas tout à fait perdu votre temps. Ne dirigez plus madame la maréchale; en d'autres termes, ne remettez plus le pied à l'hôtel de Lamothe-Houdan, car il pourrait vous arriver, non pas malheur, mais honte.

Monseigneur Coletti allait répliquer; son œil était en feu, ses pommettes étaient enflammées. H allait lancer sur le maréchal ses plus terribles foudres, quand l'huissier entra. - Reconduisez monseigneur, dit le maréchal.

- C'est toi qui l'auras voulu, murmura monseigneur Coletti en sortant de chez le maréchal de Lamothe-Houdan, comme il avait fait en sortant de chez le comte Rappt. Seulement, son sourire était encore plus mauvais aprèsmidi que le matin.

Chez madame de la Tournelle ! cria-t-il à son cocher. Au bout d'un quart d'heure, il était installé dans le boudoir de la marquise, qui, absente depuis deux heures, devait rentrer dans quelques instants.

C'était juste le temps nécessaire pour dresser son plan de bataille,

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