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n'avait pas produit sur elle une autre impression. Son cœur étail à tout jamais fermé.

Voilà la véritable cause de son isolement c'était un long acte de contrition, muet, intime, sans murmure et sans regret.

Le seul confident de cette âme en peine, c'était monseigneur Coletti. A lui seul elle avait révélé ses fautes, et lui seul avait compris sa douleur taciturne.

Pour dire à quel point elle était arrivée aux dernières limites de l'insensibilité, il nous suffira d'avouer à nos lecteurs qu'elle s'etait contentée de frémir intérieurement à la nouvelle du mariage de sa fille et du comte Rappt, mais sans combattre les raisons que lui donnait le comte pour atténuer l'énormité de son crime.

Il y avait dans cette résignation un peu de la fatalité musulmane.

Depuis ce moment, sans en parler, sans faire entendre une seule plainte, son corps, à l'unisson de son âme, avait décru de jour en jour. Elle s'était sentie mourir, et la pensée de sa mort n'avait pas produit sur elle une autre impression que le souvenir de sa vie.

Elle en était là au moment où le maréchal de LamotheHoudan congédiait monseigneur Coletti. Toute jeune encore, ses beaux cheveux noirs étaient devenus blancs; son front, ses joues, son menton, tout son visage était de la même blancheur que ses cheveux, si bien qu'on eût déjà dit le masque funèbre d'une morte anticipant sur la mort.

Ne l'entendant pas se plaindre, personne ne s'inquiétait d'elle, sinon Régina, qui lui avait envoyé deux fois son médecin; mais la princesse avait opiniâtrément refusé de le recevoir. Quelle était sa maladie ? Nul ne l'avait jamais dit, parce que nul ne l'avait jamais su. Pour nous servir d'un terme populaire de la plus grande expression, elle se minait. C'était un édifice ruiné du faîte à la base, sans cause appa→→ rente de ruine; un de ces palmiers d'Afrique qui s'étiolent peu à peu faute d'eau pour les rafraîchir, ou d'air frais pour les vivifier.

Dans cette situation d'esprit, la princesse Rina semblait déjà ne plus appartenir à la terre et ne demandait qu'à vivre ou plutôt qu'à mourir tranquillement les derniers de ses jours.

Mais la marquise de la Tournelle ou plutôt monseigneur Coletti en avaient décidé autrement.

Quand, à la suite du renvoi du prélat de l'hôtel de LamotheHoudan et de la substitution faite par monseigneur Coletti, qui, à la manière des Parthes, lançait cette flèche en fuyant, la marquise se présenta chez la princesse, suivie de l'abbé Bouquemont; celle-ci refusa par trois fois de la recevoir, disant qu'elle était en prières et ne voulait pas être troublée. Mais la marquise n'était point femme à se laisser battre ainsi; elle répondit à la fille de chambre en montrant un fauteuil à l'abbé et en s'asseyant elle-même:

sons.

Eh bien, j'attendrai que la princesse ait fini ses orai

La pauvre princesse fut donc obligée, quoi qu'elle en eût, de recevoir la marquise et son compagnon.

Je viens vous apprendre une bien triste nouvelle, dit la marquise en prenant le ton le plus lamentable.

La princesse, étendue sur sa chaise longue, ne détourna pas seulement la tête.

La marquise continua:

sœur.

Une nouvelle qui va vous remplir d'affliction, ma chère

La princesse ne bougea pas.

- Monseigneur Coletti quitte la France, poursuivit la dévote d'un air désespéré. Il part pour la Chine.

La princesse éprouva, en apprenant cette triste nouvelle, une émotion analogue à celle qu'elle eût ressentie en entendant dire par un passant: « Le temps va changer ! »

Je pense que vous éprouvez une part des chagrins que vont ressentir tous les vrais fidèles, en apprenant que ce saint homme nous quitte peut-être pour jamais; car, à tout instant, dans ces sauvages pays de la Chine, la vie de ce martyr va se trouver exposée.

La princesse ne répondit pas. Elle se contenta de remuer la tête lentement, et de la façon la plus indifférente.

Dans sa sollicitude toute paternelle, reprit la marquise sans se déconcerter, monseigneur Coletti a pensé que vous aviez besoin, plus que jamais, de son appui, et que son appui allait vous manquer.

A ce moment, la princesse se mit à rouler son tchotky avec une sorte de fièvre. Elle semblait vouloir faire passer

l'impatience que cette conversation lui causait sur le premier objet qui lui tombait sous la main.

- Monseigneur Coletti, continua intrépidement madame de la Tournelle, a choisi lui-même celui qui devait lui succéder. J'ai donc l'honneur de vous présenter M. l'abbé Bouquemont, qui, à tous égards, est le digne remplaçant du saint homme qui nous quitte.

L'abbé Bouquemont se leva et salua la princesse aussi servilement qu'il put: servilement et inutilement, car l'indolente Circassienne se contenta de hocher la tête une seconde fois, mais sans que ce mouvement exprimât un sentiment quelconque.

La marquise regarda son compagnon, en désignant la princesse, d'un air qui signifiait : « Quelle idiote ! »

L'abbé leva dévotement les yeux au ciel, d'un air qui signifiait: Que Dieu ait pitié d'elle ! »

Et, après cette religieuse requête, il se rassit, trouvant qu'il était fort oiseux, puisque la princesse ne le voyait pas, de se tenir debout quand il pouvait demeurer assis.

Toutefois, la rougeur et la fièvre de l'impatience montaient au visage de la marquise; elle fit un pas vers l'ottomane, et, se plaçant du côté où pendaient les pieds de la princesse, elle se trouva face à face avec elle.

Elle appela du doigt l'abbé Bouquemont, qui se releva, et vint se placer auprès d'elle.

Voici, dit madame de la Tournelle en poussant l'abbé vers l'ottomane, M. l'abbé Bouquemont; veuillez me dire si vous daignez l'agréer, princesse.

La Circassienne ouvrit lentement les yeux, et aperçut debout, à deux pas à peine de son visage, au lieu de l'ange blano de sa rêverie, un personnage vêtu de noir, qui lui fit l'effet du fossoyeur qui venait la chercher.

Elle frissonna d'abord; puis, jetant un regard plus long sur l'abbé, au lieu de frissonner, elle sourit. Mais quel sourire de tristesse amère ! La mort n'est pas si laide,» semblait dire ce sourire.

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Cependant elle ne répondit pas.

Oui ou non, princesse, s'écria la marquise au comble de l'irritation, acceptez-vous, comme confesseur, M. l'abbé Bouquemont, en remplacement de monseigneur Coletti?

-- Oui, murmura la princesse d'une voix étouffée, et comme

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elle eût dit : « J'accepterai tout ce que vous voudrez, pourvu que vous vous en alliez tous les deux et que vous me laissiez mourir en paix. »

La marquise rayonna. L'abbé Bouquemont crut que le moment était venu d'obtenir, par la parole, l'attention que la princesse avait refusée à sa pantomime. Il commença donc une homélie filandreuse que la princesse écouta patiemment d'un bout à l'autre, sans doute parce que, tout en l'écoutant, elle ne l'entendit point, n'ayant de perception, selon son habitude, que pour le cantique funèbre qui se chantait en elle. La marquise de la Tournelle, après avoir dit: Amen! se signa dévotement, et, faisant un pas de plus vers la princesse, pendant que l'abbé Bouquemont se retirait à l'écart :

Votre sort, dit-elle en regardant la mourante d'un œil oblique, est désormais dans les mains de M. l'abbé. Quand je dis votre sort, j'entends aussi celui de votre famille. Vous portez le nom d'une race qui a été pendant des siècles un objet de vénération pour les vrais chrétiens. Il s'agit donc nous sommes tous mortels! - d'examiner religieusement si tel ou tel acte de notre vie ne peut pas jeter, quand nous ne serons plus, une ombre fàcheuse sur le blason lumineux de nos ancêtres. M. l'abbé Bouquemont est l'homme vertueux auquel sont remises en vous toutes les gloires sans tache de la famille; veuillez donc, princesse, avant votre départ, remercier M. l'abbé Bouquemont du dévouement dont il fait preuve en se chargeant d'une entreprise aussi difficile.

Merci! murmura laconiquement la princesse sans détourner la tête.

Et prendre jour avec lui, continua la marquise indignée.

Demain! répondit, avec la même indifférence, la maréchale de Lamothe-Houdan.

Venez, monsieur l'abbé, dit madame de la Tournelle, le rouge de la colère au front; et, en attendant que madame la princesse vous adresse les remerciments que vous méritez, recevez pour elle mes plus ardentes actions de grâce.

Puis, faisant signe à l'abbé, elle l'emmena en disant d'une voix brève et sèche :

- Adieu, princesse.

- Adieu, répondit celle-ci d'un ton dans lequel il était impossible de distinguer la moindre impatience.

Puis, attirant à elle une coupe de cristal dans laquelle elle plongea une cuiller de vermeil, elle se remit à manger la conserve de roses.

CXXXVIII

La flèche du Parthe.

Le soir de ce même jour, on s'en souvient, le prélat italien avait donné rendez-vous chez lui à l'abbé Bouquemont. L'abbé trouva l'évêque au milieu de ses derniers préparatifs de départ.

Entrez dans mon cabinet, dit le prélat; je vous y rejoins dans un instant.

L'abbé obéit.

Alors monseigneur Coletti, s'adressant à son domestique : La personne que j'ai fait appeler est-elle dans mon oratoire? demauda-t-il.

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Oui, monseigneur, répondit le domestique.

C'est bien. Je n'y suis pour personne que pour la marquise de la Tournelle.

Le domestique s'inclina.

Monseigneur passa dans son oratoire.

Là, dans un angle, debout, maigre et blême, attendait une longue chevelure qui donnait à celui qui avait l'avantage d'en être porteur une ressemblance flatteuse avec le Basile du Mariage de Figaro, ou le Pierrot de la pantomime. Ce personnage, nos lecteurs l'ont oublié; mais, en deux mots, nous le rappellerons à leur souvenir: c'est le favori de la loueuse de chaises, un des affidés de M. Jackal, le

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