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Silence, monsieur! je n'ai pas besoin de savoir cela. Avant huit jours, monsignor, vous aurez des nouvelles... Où faut-il vous écrire ?

A Rome, via de l'Umilta.

Merc, monseigneur, et que Dieu vous assiste dans votre voyage!

Merci, monsieur l'abbé; si le souhait est hasardeux, l'intention est bonne.

L'abbé salua et sortit par une petite porte dérobée que le prélat lui ouvrit lui-même.

En rentrant au salon, monsignor Coletti y trouva la marquise de la Tournelle.

La vieille dévote venait faire ses derniers adieux à son directeur.

Celui-ci, qui avait achevé tout ce qu'il avait à faire à Paris et qui tenait à le quitter au plus vite, avait un moyen d'abréger la scène lacrymale que venait lui faire la vieille marquise, et il était sur le point, ne trouvant pas d'autre moyen, de faire valoir le désir, et même le besoin qu'il avait de se recueillir au moment d'entreprendre un voyage si dangereux que celui d'une mission en Chine, lorsque le valet de pied de la marquise entra en toute hâte et lui annonça que la maréchale de Lamothe-Houdan venait d'être atteinte d'une attaque de nerfs d'une telle violence, que l'on avait craint qu'elle ne mourût pendant l'accès.

- Marquise, dit monseigneur Coletti, dont les pommettes s'enflammèrent en apprenant cette nouvelle, vous entendez, il n'y a pas une minute à perdre.

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Je cours chez ma belle-sœur ! s'écria la marquise en se levant précipitamment.

Vous vous méprenez, fit le prélat en l'arrêtant; ce n'est pas chez la marquise qu'il faut courir.

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Cù donc, monsignor?

Chez l'abbé Bouquemont.

Vous avez raison, monseigneur; son âme est encore plus malade que son corps. Adieu donc, mon digne ami, et que Dieu vous protége pendant votre longue traversée.

Je la passerai en prières pour vous et votre famille, marquise, répondit le prélat en croisant ses mains sur sa poitrine.

La marquise partit dans son coupé. Un quart d'heure après,

une calèche attelée de trois chevaux de poste entraînait monşignor Coletti sur la route de Rome.

CXXXIX

Où l'abbé Bouquemont continue à faire des siennes.

En effet, quelques instants après le départ de la marquise de la Tournelle et du digne abbé Bouquemont, la maréchale de Lamothe-Houdan avait été prise d'un spasme tel, que la fille de chambre qui était auprès d'elle à ce moment avait fait retentir tout l'hôtel de ce cri funèbre : « Madame se meurt! >

Le vieux médecin du maréchal, que la princesse avait constamment refusé de recevoir, prévenu par Grouska, accourut en toute hâte, et reconnut, à d'alarmants symptômes, que c'était une crise suprême, et qu'avant vingt-quatre heures la princesse aurait cessé d'exister.

Le maréchal arriva au moment où le médecin sortait de l'appartement de la Circassienne.

En voyant le visage sombre du docteur, M. de LamotheHoudan devina tout.

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La princesse est en danger? dit-il.

Le médecin hocha tristement la tête.

Rien ne peut-il la sauver ? demanda le maréchal.
Rien, répondit le médecin.

Et à quelle cause attribuez-vous sa mort, mon ami? - A la douleur.

Le front du maréchal se rembrunit subitement.

Croyez-vous, docteur, dit-il avec tristesse, que, personnellement, j'aie pu causer un chagrin à la princesse ? Non, répondit le médecin.

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!

- Vous la connaissez depuis vingt ans, continua M. de Lamothe-Houdan, vous avez observé comme moi cette léthargie persistante dans laquelle madame la maréchale a constamment vécu. Quand je vous ai interrogé à ce sujet, vous m'avez cité mille exemples de cas semblables, et j'ai cru, ainsi que vous me le disiez, que cette somnolence dans laquelle tombait la princesse, à tout propos, était l'effet d'un vice de constitution; mais, à cette heure, vous attribuez sa mort à la douleur; expliquez-vous donc, mon ami, et, si vous avez fait quelque remarque à ce sujet, ne me la laissez point ignorer.

- Maréchal, dit le médecin, je n'ai observé, remarqué distingué aucun fait qui, isolément, puisse motiver cette opinion; mais, de tous les faits isolés, il résulte pour moi que nulle cause autre que la douleur n'a déterminé la maladie mortelle de madame la maréchale.

C'est l'opinion d'un homme du monde ou d'un philosophe que vous exprimez là, docteur; je vous demande votre opinion scientifique, votre avis de médecin.

Maréchal, un vrai médecin est ur philosophe qui n'étudie le corps que pour mieux connaître l'âme. L'étude, en ce qui touche la princesse, a été laborieuse, difficile; mais le résultat n'en est pas moins certain, et aussi vrai, maréchal, que nous sommes en face l'un de l'autre, j'affirme, autant qu'un homme peut affirmer, sans notion particulière, par la seule inspection des faits généraux; j'affirme, dis-je, que c'est un chagrin profond, terrible, qui va mettre madame la maréchale au tombeau.

Je ne vous en demande pas davantage, mon ami, dit le maréchal d'une voix émue, en tendant les deux mains au vieux médecin; et, si je vous ai interrogé, c'était moins pour avoir votre opinion que pour me corroborer dans la mienne. Il y a vingt ans, mon ami, que cette pensée m'est venue; et, si je ne l'ai exprimée devant personne, pas même devant vous, en qui j'ai une confiance illimitée, absolue, c'est que j'ai pensé que la douleur d'une femme aimée de son mari ne pouvait avoir qu'une seule cause, une faute !

- Maréchal, interrompit le médecin en rougissant, croyez bien que je n'ai pas eu un seul instant une semblable pensée !

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- J'en suis sùr, mon ami, dit le maréchal en serrant étroitement les mains du bon docteur. Maintenant, adieu ! Vous n'avez aucune recommandation particulière, aucune, ordonnance spéciale à me faire en ce qui touche la santé de la princesse ?

Aucune, maréchal, repondit le médecin. Madame la princesse s'éteindra sans douleur comme sans bruit; entre sa vie et sa mort, il n'y aura d'autre différence qu'entre l'éclat et l'extinction d'un cierge; elle ermera tranquillement les yeux pour mourir comme pour dormir, et sa mort ne différera de son sommeil qu'en cela qu'elle sera un sommeil éternel.

Le maréchal de Lamothe-Houdan inclina tristement la tête, et donna une dernière poignée de main expressive au docteur, qui sortit.

Un instant après, le maréchal entra dans la chambre de la princesse; elle était étendue sur son lit, habillée de blanc comme une fiancée et blanche de visage, d'un blanc aussi doux que ses habits; si bien qu'avec ses cheveux, sa figure, ses habits, les draperies de son lit, elle avait l'air déjà de reposer dans son suaire. Il ne manquait en vérité, dans cette chambre, en approchant de ce lit, pour croire qu'on allait en visite chez une morte, qu'un prêtre, des cierges et le vase d'argent contenant l'eau bénite.

Cette vue fit frémir le maréchal de Lamothe-Houdan.

Il avait vu mourir bien des hommes à la guerre. Le spectacle de la mort était loin d'être nouveau pour lui; mais, en brave qu'il était, il ne comprenait pas qu'on ne résistat point à la mort, qu'on ne se défendît pas contre elle, qu'on n'essayât pas de la faire reculer comme un ennemi.

Cette mort muette, placide, sans protestation, sans résistance, sans rébellion d'une sorte ou d'une autre, le remplissait d'étonnement.

Il sentit fléchir ses genoux, comme un enfant de quelques mois qui veut soulever un poids impossible; il s'approcha respectueusement du lit de la malade, et lui dit de sa voix la plus douce:

Souffrez-vous?

Non, dit la princesse Rina en tournant la tête du côté du maréchal.

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- Je viens de rencontrer le médecin qui sortait de chez vous, insista le maréchal.

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A ce moment, la femme de chambre venait annoncer l'arrivée de la marquise de la Tournelle et de l'abbé Bouquemont; et, pendant la conférence, le maréchal se retira avec la marquise dans le boudoir de la princesse.

Nous connaissons les fautes de la maréchale de LamotheHoudan; nous ne nous répéterons donc pas en remettant sa confession sous les yeux de nos lecteurs.

Ma sœur, dit l'abbé Bouquemont, qui, pendant le récit des fautes de la princesse, avait compris toute l'importance de la mission que lui avait donnée monseigneur Coletti, et qui entrevoyait la vengeance qu'il allait tirer de M. Rappt, - ma sœur, connaissez-vous la grandeur de votre péché? Oui, répondit la princesse.

Avez-vous essayé de réparer votre faute ?
Oui.

De quelle façon ?

Par le repentir.

C'est beaucoup, mais ce n'est pas assez; il est des réparations plus efficaces.

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- Faites-les-moi connaître.

- Quand un homme a volé, reprit l'abbé après un moment de méditation, croyez-vous que son repentir soit équivalent à la restitution de l'objet volé ?

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Non, dit la maréchale sans comprendre où en voulait venir le prêtre.

Eh bien, il est pour vos fautes, ma chère sœur, un moyen de réparation analogue à la restitution pour le voleur.

Que voulez-vous dire?

Vous avez volé l'honneur de votre époux; à défaut de restitution impossible, l'aveu franc, loyal, sincère de votre faute équivaut, en pareil cas, à une restitution. -Eh quoi!... s'écria la maréchale.

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