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assassin de mon bonheur !... Et la pensée ne vous est pas venue un moment que je pouvais tout apprendre, et que j'aurais à vous demander un terrible compte de vos vingt années de mensonge et d'infamie !

Monsieur le maréchal..., bégaya le comte Rappt. Taisez-vous, misérable! dit durement M. de LamotheHoudan, et écoutez-moi jusqu'au bout. C'est moi qui vous

ai appris à tenir une épée.

Le comte ne répondit pas.

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Est-ce moi, oui ou non ? demanda le vieillard. C'est vous, monsieur le maréchal, répondit le comte. Vous connaissez donc, continua le maréchal d'un ton bref, la façon dont je puis m'en servir.

tuer.

Monsieur le maréchal..., interrompit le comte.
Taisez-vous, vous dis-je! — Je suis donc sûr de vous

Vous pouvez me tuer tout de suite, monsieur le maréchal, s'écria le comte Rappt; car, sur mon honneur, je ne me défendrai pas contre vous.

- Vous refuserez de vous battre contre un vieillard, dit en ricanant sourdement le maréchal, par respect pour ses cheveux blancs, n'est-ce pas ?

Oui, dit résolument le comte.

- Mais, malheureux que vous êtes, dit le vieillard en avançant vers le comte, les deux bras croisés, et se redressant de toute la hauteur de sa taille imposante; ignorez-vous donc que la colère donne des forces surhumaines, et que, si ce bras, continua-t-il en allongeant le bras droit et en le mettant sur l'épaule du comte,-et que, si ce bras s'appe santissait sur vous, il vous forcerait à vous courber à terre?

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Soit que le poids du bras du vieillard fût véritablement d'une lourdeur extraordinaire, soit que la colère lui eût donné, ainsi qu'il le disait, des forces surhumaines, les jambes du comte fléchirent, et il tomba à genoux sur le tapis, au chevet du lit de la morte.

- C'est cela, à genoux ! dit sévèrement le maréchal, c'est la posture qui convient aux méchants et aux traîtres! Maudit sois-tu, toi qui as apporté dans ma maison le mensonge et la 'honte! Maudit sois-tu, toi qui m'as abreuvé d'outrages, toi qui m'as enseigné la haine, toi qui, par ton offense, me fais douter de l'humanité tout entière maudit sois-tu!

O désolation! cet homme vaillant, cet honnête homme, en s'approchant du comte pour le souffleter, pâlit et tomba sur le tapis, comme si le misérable traître qu'il menaçait et qu'il allait punir, l'eût renversé.

Un sourire de joie passa sur les lèvres du comte et illumina son visage. Il regarda le vieillard à terre comme le bû

cheron regarde le chêne abattu.

Il se pencha vers lui et l'examina froidement, comme le médecin examine le cadavre.

Monsieur le maréchal, dit-il à demi voix.

Mais le vieillard ne l'entendit pas.

Monsieur le maréchal, répéta-t-il à voix basse en le secouant légèrement.

Mais M. de Lamothe-Houdan resta immobile et silencieux.

Le comte Rappt étendit sa main sur la poitrine du maréchal; son front se rembrunit, en sentant les battements du

cœur.

- Il vit murmura-t-il en le regardant d'un œil hagard.

Puis, se levant brusquement, il tourna les yeux de côté et d'autre, cherchant je ne sais quoi, quelque instrument de mort sans doute.

Mais cette chambre de femme ne contenait ni pistolet, ni poignard, ni arme d'aucune sorte.

Il s'approcha du lit de la morte et tira vivement à lui le drap qui la recouvrait; mais, à son grand effroi, le bras droit de la morte se releva, tenant le coin du drap.

Il recula épouvanté !...

A ce moment, une ombre se dressa devant lui.

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Il frissonna en reconnaissant la voix de la princesse Régina.

- Rien répondit-il durement, en lançant un regard terrible à la princesse.

Et il sortit brusquement, laissant la pauvre Régina entre le cadavre de sa mère et le corps inanimé du maréchal de Lamothe-Houdan.

La princesse sonna, et Grouska arriva suivie du valet de chambre du maréchal.

On fit revenir le vieillard à lui et on le transporta dans sa

chambre à coucher, 'où les soins de son médecin, accouru en toute hâte, le rappelèrent bientôt à la vie.

Il regarda tout autour de lui en disant :

Où est-il ?

-- Qui, mon père? demanda la princesse.

Ce mot de père, que Régina lui donnait, fit frissonner le maréchal.

Ton mari..., dit-il avec effort, le comte Rappt.
Désirez-vous lui parler? demanda la princesse.
Oui, répondit M. de Lamothe-Houdan.

Je vous l'enverrai dès que vous serez mieux.

Je vais tout à fait bien, dit le maréchal en se relevant et en se redressant fièrement.

Je vais vous l'envoyer, mon père, dit la princesse en cherchant à deviner dans les yeux du vieillard ce qu'il pouvait avoir à dire, en ce moment, au comte Rappt.

Elle quitta la chambre à coucher, et, un instant après, le comte Rappt parut.

Vous désirez me parler? dit-il d'un ton sec.

-Oui, répondit laconiquement le maréchal. Je me suis laissé entraîner, tout à l'heure, envers vous, à des menaces et à des violences inutiles; je n'avais qu'une parole à vous dire, et c'est la seule que je ne vous ai pas dite.

Je suis à vos ordres, monsieur le maréchal, répondit le

comte.

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Vous daignerez vous battre avec moi? fit dédaigneusement le vieillard.

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Oui, répondit résolûment le comte.

A l'épée, naturellement?

A l'épée.

Sans témoins?

Sans témoins, monsieur le maréchal.
Ici, dans le jardin ?

- Où il vous plaira, monsieur le maréchal.

Le maréchal jeta un regard sévère sur le comte.

- Vous avez bien vite changé de résolution, dit-il.

— J'ai reconnu, monsieur le maréchal, que mon refus

était une nouvelle injure, répondit le comte.

- Vous me ferez peut-être l'outrage de ne pas vous défendre ?

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Je me défendrai, monsieur le maréchal... je vous le jure!... ajouta-t-il.

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fendiez ou non, je ne vous ferai pas de quartier.

Que la volonté de Dieu soit faite! dit hypocritement le comte en levant les yeux au ciel avec une onction dont l'abbé Bouquemont eût été fier.

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Nous laisserons

Quant au jour, reprit le maréchal, ce sera le jour même des obsèques de madame la maréchale.. s'accomplir les funérailles,

et, au retour, nous nous retrouverons dans le rond-point du jardin. - Tenez-vous donc prêt pour cette heure.

Je serai prêt, monsieur le maréchal.

- Bien ! fit de la tête M. de Lamothe-Houdan en tournant le dos au comte.

Vous n'avez plus rien à me dire, monsieur le maréchal? demanda celui-ci.

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Le comte s'inclina respectueusement et sortit.

Sur le seuil de la porte, il trouva la princesse Régina.
Vous ici? s'écria-t-il.

Oui! dit à voix basse la princesse. J'ai écouté, j'ai entendu, je sais tout! Vous allez vous battre avec le

maréchal.

En effet, dit le comte froidement.

Vous allez tuer ce vieillard, continua Régina.
Peut-être, répondit le comte.

Vous êtes infàme! s'écria la princesse.

Et plus infâme encore que vous ne croyez, princesse; car je compte, avant le duel, renseigner le maréchal sur tout ce qu'il ignore.

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cesse.

Que voulez-vous dire? demanda avec effroi la prin

Veuillez passer chez vous et je vais vous en instruire, dit le comte Rappt, le lieu où nous sommes ne ne paraissant pas convenable pour un pareil entretien.

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Je vous suis, répondit la princesse.

Nous dirons dans le chapitre suivant le résultat de la conférence du comte Rappt et de la princesse Régina.

CXLII

Entretien nocturne de M. le comte et de madame ia comtesse Rappt.

-Parlez, monsieur ! s'écria la princesse après avoir laissé retomber la portière de la chambre à coucher, et s'être jetée dans un fauteuil.

- C'est une triste conversation que nous allons avoir ensemble, dit M. Rappt en affectant le plus profond chagrin. - Quelle qu'elle soit, interrompit la princesse, veuillez l'entamer; je suis résignée à tout entendre.

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Je me bats, ainsi que vous l'avez dit, commença le comte Rappt, après-demain, avec le maréchal de LamotheHoudan.

La pauvre Régina frissonna de tous ses membres.

M. Rappt continua, sans paraître remarquer l'émotion de la princesse :

Quel résultat supposez-vous que puisse avoir ce duel ?

-

Monsieur, s'écria la princesse en pâlissant, votre question est horrible et je n'y ferai pas de réponse.

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Cependant, reprit le comte en la regardant de son plus méchant sourire, étant démontrée une fois la nécessité absolue de ce combat, vous devez former des vœux pour l'un ou pour l'autre des deux combattants.

La nécessité de ce duel ne m'est pas démontrée, dit la princesse Régina en se cachant le visage.

En voyant la rougeur de votre visage, Régina, je suis certain du contraire. Je vous connais; - je connais la noblesse de votre cœur;- ie sais que rien de ce qui touche

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