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oncle, très-dangereusement malade. Voulez-vous, au reçu de la présente, vous transporter chez moi et faire pour votre ami ce que votre ami ferait pour vous, c'est-à-dire ouvrir mes lettres et y répondre comme vous l'entendrez?

» Vous m'avez dit tant de fois d'user de votre amitié, que vous me pardonnerez, j'en suis sûr, d'en abuser une seule.

› Mille remerciments et cordialement à vous,

› PÉTRUS.

Salvator, installé dans l'atelier, ouvrit les lettres.

La première était de Jean Robert, qui mandait à Pétrus que son drame, les Guelfes et les Gibelins, devant passer sans remise à la fin de la semaine, il n'était que temps d'assister à la répétition générale.

La seconde lettre était de Ludovic; c'était une pastorale, une idylle en prose des amours du jeune homme et de Rosede-Noël.

La dernière, celle qui ne ressemblait à aucune des autres, parce que le papier était doux et parfumé, parce que l'écriture était fine et distinguée, était la lettre arrachée à la princesse Régina.

Salvator n'avait jamais vu l'écriture de la princesse, et cependant il devina immédiatement qu'elle venait d'elle, tant tout ce que la femme aimée a touché se fait naturellement reconnaître.

Il la retourna en tous sers avant de la décacheter.

Ouvrir des lettres n'est rien, surtout quand on y est autorisé; mais une lettre de femme, et de femme aimée! — Il éprouva une sorte de honte à plonger son regard étranger dans ce temple.

Sans doute, Pétrus n'avait pensé qu'aux lettres qu'il pouvait recevoir de ses amis ou de ses ennemis, ses créanciers, et n'avait pas prévu la lettre de la princesse.

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En conséquence, dit Salvator, je ne puis pas l'ouvrir. Puis, se levant, il sonna le domestique

Qui a apporté cette lettre? demanda-t-il en lui montrant la lettre de Régina.

Un homme enveloppé d'un manteau, répondit le domes

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Celui qui sortait quand je suis entré?

- Oui, monsieur.

Merci, fit Salvator; vous pouvez vous retirer.· Ah! c'est l'homme de confiance de M. Rappt, c'est ce gueux de Bordier qui a apporté cette lettre? Mais ce n'est pas le secrétaire du mari qui, d'ordinaire, porte les lettres d'amour de la femme. Si je connais mon Pétrus, c'est-à-dire un amoureux, il n'a pas dû manquer d'écrire à la princesse le lieu de sa retraite, et ce n'est pas ici qu'elle doit lui adresser ses missives. En outre, ce n'est pas un Bordier qu'elle aurait chargé d'une semblable mission. Or, si ce n'est pas elle

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qui a envoyé la lettre, ce ne peut être que son mari. - Ceci change considérablement la thèse et m'enlève tout scrupule. Je ne sais pourquoi, mais je flaire vaguement un serpent sous ces fleurs. Effeuillons-les donc.

Et, ce disant, ou plutôt ce pensant, Salvator rompit le cachet blasonné aux armes du comte Rappt, et lut la lettre que nous avons mise sous les yeux de nos lecteurs dans le chapitre précédent.

Or, il y a lecture et lecture, et la meilleure preuve, c'est que vingt avocats attelés à un code tireront chacun d'un côté la lettre de la loi; autrement dit, il y a lire et lire, lire les mots, deviner l'esprit. - C'est ce que fit Salvator. Rien qu'en voyant les caractères de l'épître, il devina que la main avait tremblé en les traçant.

En n'y trouvant pas ces termes amoureux dont les amants se servent avec tant de prodigalité, il devina que la lettre, pour une raison ou pour une autre, avait été écrite sous une pression quelconque.

Je n'ai que deux partis à prendre, songea Salvator: ou d'envoyer cette lettre à Pétrus (et ce sera lui mettre le chagrin dans l'âme, puisqu'il ne pourra aller au rendez-vous), ou d'y aller moi-même à sa place, pour découvrir le mot de cette énigme.

Salvator mit les lettres dans sa poche, fit cinq ou six tours dans l'atelier en réfléchissant, et, après avoir bien débattu le pour et le contre, il résolut d'aller le soir au rendez-vous au lieu et place de son ami.

Il descendit rapidement et se rendit rue aux Fers, où ses pratiques accoutumées l'attendaient, étonnées de ne l'avoir pas encore vu à neuf heures du matin.

CXLIV

Où il est démontré que l'état de commissionnaire est un état réellement privilégié.

Ce soir-là, à dix heures, le jardin, ou plutôt le parc de Lamothe-Houdan, couvert de neige, éclairé en bleu par la lune, ressemblait, au centre, à un lac de la Suisse. Les gazons étincelaient comme des perles; les arbustes avaient des panaches de diamants. Du front des arbres tombait une longue chevelure parsemée de pierreries. — C'était une de ces radieuses et sereines nuits d'hiver, où le froid même n'arrête pas l'enthousiasme des vrais amants de la nature. Un poëte eût trouvé là le plus beau et le plus grand sujet de contemplation; un amoureux, matière à la plus douce rêverie.

Salvator, en arrivant sur le boulevard des Invalides, et en voyant, à travers la grille, ce beau parc, pour ainsi dire illuminé à blanc, resta saisi d'admiration; mais son admira. tion fut de courte durée, car il était impatient de connaitr le dénoùment de ce rendez-vous où son ami était convié, et qui lui semblait, à lui, être un guet-apens.

Disons, en quelques mots, comment, outre son instinc naturel, le hasard l'avait mis sur la piste.

En sortant de l'atelier de Pétrus, il s'était rendu chez lui, avant d'alier reprendre ses crochets rue aux Fers. — Arrivé rue Mâcon, il avait mis Fragola au courant de l'aventure. La jeune femme, ainsi que nous l'avons déjà vue faire en pareille circonstance, avait prestement mis sa capote, jeté une pelisse sur ses épaules et s'était rendue en toute hate

chez la princesse Régina, à laquelle elle avait demandé l'explication de la lettre.

La réponse de la princesse, entourée de tous ceux qui venaient lui adresser leurs condoléances sur la mort de la maréchale, sa mère, avait été brève et significative.

Elle avait dit:

J'ai été forcée d'écrire.

y a danger pour lui.

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Et voilà pourquoi, comme il y avait danger pour Pétrus, Salvator, préparé et armé à tout événement, était allé au rendez-vous à la place de son ami.

Après avoir donc donné au parc le coup d'œil que pouvait donner un poëte à un pareil spectacle, il examina la grille et se demanda comment il allait entrer.

Il n'eut pas longtemps à s'interroger; la petite porte de la grille était ouverte.

Mauvaise entrée ! pensa-t-il en tirant de sa poche, à tout hasard, un pistolet qu'il arma et qu'il cacha sous son manteau.

Il poussa lentement la grille, non sans avoir regardé au préalable à droite et à gauche dans les taillis et dans les bosquets. Après avoir fait huit ou dix pas dans l'allée, il vit dans un des bosquets de gauche une forme blanche, qu'il reconnut de loin pour la princesse Régina.

Il allait s'approcher d'elle: mais, prudent comme un Mohican qu'il était, il détourna la tête et plongea le regard dans le bosquet de droite.

C'était un grand massif de lilas, traversé par une étroite allée au bout de laquelle il vit reluire les yeux d'un homme dont le corps s'effaçait derrière un gros marronnier.

Voici l'ennemi, se dit-il en mettant le doigt sur la gâchette de son pistolet.

Puis, s'arrêtant brusquement, il s'affermit sur ses jarretg comme un homme qui va avoir à défendre sa vie.

C'était bien l'ennemi, en effet; c'était le comte Rappt, qui, caché derrière les arbres, un pistolet à chaque main, attendait fiévreusement l'amoureux de la princesse.

A neuf heures et demie, il était descendu, il avait été luimême.ouvrir la porte de la grille et il était allé se blottir dans

un bosquet, quand, en se retournant, à trois pas devant lui, il aperçut, droite, blanche, immobile comme un fantôme, la princesse Régina.

Depuis qu'elle avait vu Fragola, la princesse n'était plus inquiète de Pétrus; mais elle connaissait le dévouement de Salvator, et c'était pour lui qu'elle tremblait en ce moment.

Vous ici ! s'écria le comte Rappt.

-Sans doute, répondit froidement la princesse; ne m'avez-vous pas dit que je pouvais assister à cet entretien ?

- Vous n'y songez pas, reprit le comte; votre santé est des plus délicates, et cette nuit est glaciale. Je n'ai que quelques mots à dire à ce jeune homme; retirez-vous donc

chez vous.

Non, dit la princesse ; j'ai été toute la nuit troublée par les plus sombres pressentiments, rien au monde ne me fera quitter le parc en ce moment.

- Des pressentiments, répéta M. Rappt en haussant les épaules et en ricanant, voilà les femmes! En vérité, princesse, vous perdez l'esprit, et, à moins que vous ne pensiez, comme je vous l'ai déjà dit, que je veux attenter à la vie de ce jeune homme, vos pressentiments n'ont pas l'ombre de raison.

- Et si je le pensais ? dit Régina.

- En ce cas, princesse, je vous plaindrais sincèrement, car vous auriez de moi une opinion encore plus piètre que moi-même.

- Ainsi, monsieur, vous me jurez...?

— Non, je ne vous jure rien, princesse; les serments ne sont faits que pour ceux qui veulent les violer. - Je veux que vous vous en rapportiez entièrement à moi.-Vous voulez rester dans le parc et assister à notre entretien; soit! je le veux bien, vous y assisterez, mais de loin. - Vous comprenez la triste figure que je pourrais faire en présence de vous et de ce jeune homme. Enveloppez-vous bien dans votre mante de peur du froid, et promenez-vous là, dans ce bosquet; nous n'aurons pas longtemps à attendre, il est dix heures tout à l'heure; si l'exactitude est la politesse des rois, elle est surtout la vertu des amoureux.

En disant ces derniers mots, le comte conduisit la princesse dans le bosquet de gauche, où Salvator, dès son entrée,

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