Page images
PDF
EPUB

milieu d'un salon, elle ressemblait à une planète environnée d'étoiles.

On lui prêtait mille victoires et pas une défaite, et c'était justice; vive, ardente, passionnée, à son insu peut-être provoquante, il y avait bien dans son fait une nuance de coquetterie asscz prononcée, mais rien de plus, et, si elle laissait, comme disait Camille avec plus de pittoresque que de bon goût, les gens s'amuser aux bagatelles de la porte, elle gavait les arrêter avant même qu'ils en eussent touché le seuil. Le secret de sa vertu était dans son amour pour Camille, et, qu'on nous permette de le dire en passant, puisque nous trouvons une si bonne occasion de le faire, c'est le secret de toutes les vertus de la femme: cœur amoureux, corps vertueux.

Madame de Rozan en était là; elle était amoureuse de son mari, mieux que cela, elle l'adorait; adoratiom mal placée, nous en convenons, surtout si nous nous souvenons de ce que nous avons raconté au chapitre précédent, mais parfaitement compréhensible pour ceux qui n'ont point oublié cet éclat superficiel, cet attrait miroitant dont la nature avait, en le créant, doué Camille.

Et, en effet, on l'a vu dans le cours de notre récit, Camille, jeune, beau, capricieux plutôt que distingué, amusant plutôt que spirituel, suffisamment vernissé de l'esprit de Paris, Camille, néanmoins, léger, frivole, fantasque, gai jusqu'à la folie, devait plaire à toutes les femmes et en particulier à une jeune fille à la fois indolente et passionnée, avide de plaisir et attendant le plaisir avec impatience.

Les triomphes de madame de Rozan étaient donc superficiels. Elle en rapportait fidèlement toute la gloire à son mari, et cependant on verra tout à l'heure pourquoi cette créole amou reuse et triomphante était, malgré ses succès éclatants, d'une mélancolie si profonde, qu'on l'eût crue en proie à quelque secrète maladie de l'àme ou du corps. On en avait fait la remarque dans plusieurs salons en voyant la pâleur de ses joues et le cercle bistré de ses yeux : une douairière jalouse affirmait qu'elle était poitrinaire; un amoureux repoussé insinuait qu'elle avait un amant; un autre, plus charitable, avait découvert que son mari la battait; un médecin matérialiste l'accusait, ou plutôt la plaignait, d'être trop rigoureuse observatrice de ses devoirs conjugaux; enfin, tout le

-

SUITE ET FIN DES MOHICANS DE PARIS

RUE

:

PAR

ALEXANDRE DUMAS

V

NOUVELLE ÉDITION

(00)

[ocr errors]

PARIS

MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS

AUBER, 3, PLACE DE

L'OPÉRA

LIBRAIRIE NOUVELLE

BOULEVARD DES italiens, 15, aU COIN DE LA RUE DE GRAMMONT

1873

Droits de reproduction et de traduction réservés

CXXXIV

Où le soleil de Camille commence à pâlir.

Vous vous rappelez sans doute, chers lecteurs, ou si vous ne vous la rappelez pas, je fais appel à vos souvenirs, cette jeune et belle créole de la Havane qui vous a été présentée un seul instant, c'est vrai, mais enfin qui vous a été présentée sous le nom de madame de Rozan, et qui avait fait son entrée dans les salons de madame de Marande le soir où Carmélite y avait chanté la romance du Saule?

Cette entrée, nous l'avons dit, et nous le répétons, avait fait sur tous les invités un prodigieux effet.

Présentée dans le monde sous les auspices de madame de Marande, c'est-à-dire de l'une de ses plus gracieuses souveraines, la belle créole, en quelques jours, était devenue la beauté à la mode, et on se l'arrachait dans tous les salons de Paris.

Brune comme la nuit, rose comme l'Orient, les yeux pleins d'éclairs, les lèvres pleines de désirs, madame de Rozan, avec un regard, avec un sourire, attirait à elle non-seulement les hommes, mais encore les femmes, si bien qu'au

milieu d'un salon, elle ressemblait à une planète environnée d'étoiles.

On lui prêtait mille victoires et pas une défaite, et c'était justice; vive, ardente, passionnée, à son insu peut-être provoquante, il y avait bien dans son fait une nuance de coquetterie asscz prononcée, mais rien de plus, et, si clle laissait, comme disait Camille avec plus de pittoresque que de bon goût, les gens s'amuser aux bagatelles de la porte, elle savait les arrêter avant même qu'ils en eussent touché le seuil. Le secret de sa vertu était dans son amour pour Camille, et, qu'on nous permette de le dire en passant, puisque nous trouvons une si bonne occasion de le faire, c'est le secret de toutes les vertus de la femme: cœur amoureux, corps vertueux.

Madame de Rozan en était là; son mari, mieux que cela, elle l'adorait;

elle était amoureuse de adoratiom mal placée, nous en convenons, surtout si nous nous souvenons de ce que nous avons raconté au chapitre précédent, mais parfaitement compréhensible pour ceux qui n'ont point oublié cet éclat superficiel, cet attrait miroitant dont la nature avait, en le créant, doué Camille.

Et, en effet, on l'a vu dans le cours de notre récit, Camille, jeune, beau, capricieux plutôt que distingué, amusant plutôt que spirituel, suffisamment vernissé de l'esprit de Paris, Camille, néanmoins, léger, frivole, fantasque, gai jusqu'à la folie, devait plaire à toutes les femmes et en particulier à une jeune fille à la fois indolente et passionnée, avide de plaisir et attendant le plaisir avec impatience.

Les triomphes de madame de Rozan étaient donc superficiels. Elle en rapportait fidèlement toute la gloire à son mari, et cependant on verra tout à l'heure pourquoi cette créole amoureuse et triomphante était, malgré ses succès éclatants, d'une mélancolie si profonde, qu'on l'eût crue en proie à quelque secrète maladie de l'âme ou du corps. On en avait fait la remarque dans plusieurs salons en voyant la pâleur de ses joues et le cercle bistré de ses yeux : une douairière jalouse affirmait qu'elle était poitrinaire; un amoureux repoussé insinuait qu'elle avait un amant; un autre, plus charitable, avait découvert que son mari la battait; un médecin matérialiste l'accusait, ou plutôt la plaignait, d'être trop rigoureuse observatrice de ses devoirs conjugaux; enfin, tout le

« PreviousContinue »