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considéré ni comme un simple bilan, ni comme un atermoiement dans le sens de l'article 14 de la loi du 24 mai 1834, c'est-à-dire comme un concordat après faillite, ni même comme une cession de biens volontaire (art. 4265 du Code civil). De leur côté, les opposants ont fait valoir leurs moyens dans deux mémoires notifiés les 5 juin et 8 juillet de la même année. Modifiant leur système de défense, ils ont soutenu, en dernière analyse, que, par l'acte du 23 décembre 1885, MM. Thévenin frères ont été constitués mandataires de leurs créanciers et qu'ils ont consenti tacitement, au profit de ces derniers, une cession de biens qui a été suivie d'un contrat d'union donnant seulement ouverture à un droit fixe.

Sur ce débat contradictoire, le tribunal civil de Lyon a rendu, le 24 juillet 1890, un jugement qui a validé en ces termes la contrainte de l'Administration :

Attendu qu'un jugement du tribunal de commerce de Lyon, du 13 mai 1889, a rejeté une demande en déclaration de faillite formée par Albert Mouterde, Roger Morin et Dambmann, créanciers de la société Thévenin freres et C, contre Victor et Maurice Thévenin, liquidateurs de cette société; Que ce jugement se fonde sur ce que les demandeurs ont signé, avec d'autres créanciers des défendeurs, un traité d'atermoiement à la date du 31 mars 1885 et se sont interdit toute poursuite judiciaire pendant la durée de l'atermoiement;

Attendu que le jugement du 13 mai 1889 et le traité du 31 mars 1885, dont il a été fait usage en justice, n'ont pas été soumis à l'enregistrement; que c'est donc avec raison que l'Administration a décerné une contrainte pour obtenir le payement des droits;

Que ces droits s'élèvent, sur le jugement, à 18 fr. 75 pour un droit fixe, un droit en sus à défaut d'enregistrement dans le délai de 20 jours, et de 2 décimes 12 en vertu des articles 11, 20 et 37 de la loi du 22 frimaire an VII ; de l'article 45 n° 5 de la loi du 28 avril 1816; de l'article de la loi du 28 fevrier 1872; de l'article 1 de la loi du 6 prairial an VII; de l'article 4 de la loi du 23 août 1874 et de l'article 2 de la loi du 30 décembre 1873; Que les droits s'élèvent sur le traité du 23 décembre 1885 à 16.202 fr. 38, savoir: 11.225 fr. 80 pour droit proportionnel d'obligation à 1 0/0 sur la somme de 122.578 fr. 20, payable immédiatement; 2° 11.727 fr. 10, pour droit proportionnel à 0 fr. 50 0/0 à raison de l'atermoiement sur la somme de 2.345.416 fr. 46; 3° 9 francs pour trois droits fixes de 3 francs chacun, à raison de la production en justice d'un pouvoir des sieurs Thévenin freres, d'un rapport de la commission de surveillance et du procès-verbal de l'assemblée des créanciers; 4° 3.240 fr. 48 pour deux décimes et demi à ajouter au principal des droits (art. 69 § 2 n° 4. § 3 n° 3 de la loi du 22 frimaire an VII; art. 1er de la loi du 23 août 1871; art. 2 de la loi du 30 décembre 1873);

Attendu qu'il n'est pas douteux que le traité du 23 décembre 1885 contient un atermoiement passible du droit réclamé; qu'il y est stipulé, en effet, dans l'article 2, que Victor el Maurice Thévenin conserveront la qualité de liquidateurs pendant un délai de 3 ans et 3 mois et pendant ce laps de temps sont autorisés à continuer sans interruption l'exploitation de leurs

usines;

Que l'article 8 qualifie expressément l'acte dont il s'agit d'alermoiement el énonce que les créanciers signataires prennent l'engagement de n'exercer pendant sa durée aucune poursuite contre la société Thévenin frères et C1o ; Que l'article 9 ajoute que les créanciers ne consentent actuellement aucun abandon d'aucune nature, ni sur le capital, ni sur les intérêts de leurs créances, et décideront, à l'expiration des délais fixés, s'il y a lieu de continuer l'exploitation ou de liquider définitivement;

Que l'acte a été aussi considéré comme un atermoiement et qualifié tel par le jugement du tribunal de commerce du 13 mai 1889;

Qu'il est impossible de n'y voir, suivant la prétention des opposants, qu'un simple bilan fixant un état de situation; qu'il a une autre portée et contient des dispositions dont le caractère et le but ne sont pas douteux; Attendu qu'il n'y a pas lieu d'appliquer, dans l'espèce, les lois fiscales relatives aux atermoiements en cas de faillite, puisque le traité dont il s'agit a précisément pour objet d'éviter la faillite et que c'est en invoquant ses dispositions que le tribunal de commerce s'est refusé à la prononcer;

Qu'il n'a été fait aucune liquidation définitive, aucun concordat; que tout a été réservé à cet égard et que les opérations de l'entreprise ont dù continuer pendant le délai accordé; que l'article 14 de la loi du 24 mai 1834, qui grève d'un droit fixe de 3 francs les concordats ou atermoiements, ne saurait être étendu au delà de l'hypothèse d'une faillite;

Que les parties signataires de traité ne sont pas même en état de liquidation judiciaire, ainsi que cet acte le déclare expressément ; qu'il a eu précisément pour but de mettre fin aux pouvoirs des liquidateurs nommés par le jugement du tribunal de commerce du 22 mai 1885 et de les relever de leurs fonctions en désignant, à leur place, comme liquidateurs conventionnels, les frères Victor et Maurice Thévenin ;

Attendu que les trois autres chefs de réclamation de l'Administration compris dans la contrainte et ci-dessus spécifiés ne sauraient soulever de difficultés et ne sont pas contestés;

Attendu qu'il est aujourd'hui de jurisprudence constante que toutes les parties qui ont figuré, soit dans un jugement, soit dans un acte sous seing privé produit en justice, sont tenues solidairement de l'acquittement des droits d'enregistrement; que c'est ce qui résulte des articles 23, 29, 30, 37 de la loi du 22 frimaire an VII, qui obligent toutes les parties envers le Trésor;

Par ces motifs...

MM. Mouterde, Morin, Dambmann et Thévenin frères ont déféré ce jugement à la Cour de cassation, pour:

Violation de l'article 69, § 2, 40, de la loi du 22 frimaire an VII, en ce que le jugement attaqué a considéré comme un atermoiement passible du droit de 50 centimes par cent francs une convention qui n'avait légalement pas ce caractère. »

Par un arrêt du 27 décembre 1893, la Chambre civile de la Cour a prononcé, en ces termes, le rejet du pourvoi:

La Cour,

Sur le moyen unique,

Attendu que des constatations du jugement attaqué, il ressort que l'acte passé le 23 décembre 1885 entre les freres Thévenin et leurs créanciers a été, dans son art. 8, qualifié d'atermoiement par les signataires ;

Attendu que cette qualification n'a rien de contraire à la substance dudit acte, ni aux conséquences juridiques qu'il entraine; qu'en effet, il résulte des clauses de ce traité que les créanciers des frères Thévenin, mettant fin à l'état de liquidation judiciaire qu'ils avaient provoqué, les ont choisis comme liquidateurs et les ont autorisés à continuer sans interruption l'exploitation de leurs usines; que pour l'administration technique de ces établissements et pour les rapports avec la clientèle et les fournisseurs, les frères Thévenin ont recouvré le droit de faire usage de la signature sociale Thévenin frères et Ci; qu'ils n'ont donc pas été dépouillés de la possession de leurs biens, comme au cas d'abandonnement de biens pour être vendus en direction: Attendu que les créanciers se sont engagés par le contrat susénoncé à n'exercer, pendant 3 ans et 3 mois, aucune poursuite contre la société pour le remboursement de leur créance en capital et intérêts; que par cela même qu'ils ont adhéré à l'acte qui renferme cette stipulation, les frères Thévenin ont reconnu l'existence de ces créances, dont un état a été annexé au

contrat avec lequel il a fait corps ; que le traité du 23 décembre 1885 présente donc bien le caractère de l'atermoiement tarifé par l'art. 69 § 2 no 4 de la loi du 22 frimaire an VII au droit proportionnel de 0.50 010;

Attendu que les précautions prises par les créanciers pour empêcher les frères Thévenin d'aliéner ou de dissiper leurs biens au préjudice et à l'insu de la masse, ne sont que des mesures conservatoires destinées à assurer l'exécution du contrat d'atermoiement précité et n'en modifient point la

substance;

Qu'en le décidant ainsi, le jugement attaqué a fait une juste interprétation de la convention litigieuse et bien appliqué la loi ;

Rejette le pourvoi.

Observations. Nous avons mis en lumière, au mot Atermoiement du Traité alph., les caractères distinctifs de l'atermoiement. Nous avons dit que ce qui le caractérise, c'est l'octroi par ses créanciers, au débiteur en état de gêne, d'un délai pour sa libération. L'atermoiement peut contenir aussi une remise de dette; mais, le plus ordinairement, il se présente sous la forme d'une prorogation de délai (V. loc cit., n° 4), ainsi que cela a eu lieu dans l'espèce actuelle.

Notons que la prorogation de délai concédée à un débiteur malheureux ne comporte le tarif de 0 fr. 50 010 propre à l'atermoiement, qu'autant qu'elle apparaît comme la conséquence d'un arrangement, d'un acte de composition nécessité par la situation précaire du débiteur; c'est une remarque que nous avons faite au Traité alph., eod. v°, no 13. A plus forte raison, le tarif de 0 fr. 50 010 est-il applicable, lorsque la concession de délai intervient dans un acte qualifié d'atermoiement, comme au cas particulier.

Pour échapper à l'application de ce tarif, les parties objectaient qu'il s'agissait d'un simple abandonnement de biens passible du droit fixe de 7 fr. 50. Mais la Chambre civile ne s'est pas arrêtée et ne pouvait, en effet, s'arrêter à cet argument. Ainsi qu'on l'a établi au Traité alph. (Vo Abandonnement, no 4), ce qui sépare nettement la cession de biens de l'atermoiement, c'est que ce dernier contrat ne transporte jamais aux créanciers la possession des biens du débiteur; celui-ci conserve l'administration de ses biens. Or, dans l'affaire actuelle, les débiteurs, à savoir les gérants de la société en liquidation, étaient autorisés à reprendre l'exploitation de leurs usines et recouvraient le droit de faire usage de la signature sociale; ils n'étaient donc pas dépouillés de la possession de leurs biens, comme dans le cas d'abandonnement. Nous devons faire remarquer que le traité d'atermoiement qui a donné lieu à l'arrêt du 27 décembre 1893, étant antérieur à la loi du 4 mars 1889, ne pouvait être assimilé pour la perception de l'impôt aux atermoiements en matière de faillite, ni, par conséquent, prétendre à l'application du droit fixe de 4 fr. 50 (art. 14, L. 24 mai 1834). Mais il n'est pas douteux qu'aujourd'hui un atermoiement consenti dans les formes prévues par la loi précitée du 4 mars 1889, bénéficie du régime de faveur concédé aux concordats ou atermoiements après faillite, et, par suite, soit dispensé de toute formalité, conformément

à l'article 10 de la loi du 26 janvier 1892 (Besson, Frais de just., 3e édit., no 135).

Annoter Traité alph., vis Atermoiement, no 4, et Abandonnement, no 4.

Art. 606.

- Ca

Congrégations religieuses. Société civile formée entre les membres d'une congrégation. But religieux. ractère de l'association.- Exigibilité de la taxe d'accroissement.

Une société civile, composée presque exclusivement de membres d'une congrégation autorisée, peut être considérée elle-même comme une congrégation religieuse, dès lors qu'elle s'est constituée, non pas en vuc de procurer aux contractants un bénéfice personnel, mais uniquement pour coopérer à l'œuvre (instruction primaire) de la congrégation princi pale à laquelle ses membres sont affiliés et dont elle n'est que l'émanation. En conséquence, une telle association est tenue, par cela seul qu'elle est une congrégation et indépendamment de toute autre condition, d'acquitterle droit d'accroissement lors du décès de ses membres, conformément à l'art. 9, L. 29 décembre 1884.

Cass. req., 5 janvier 1894.
Ploërmel, 22 juin 1892.

La congrégation des Frères de l'Instruction chrétienne, dont le siège est à Ploërmel, fondée par l'abbé de Lamennais, a été autorisée par ordonnance royale du 1er mai 1822. Elle dirige en France, notamment dans le Morbihan, de nombreux établissements scolaires d'une valeur minimum de 2.300.000 fr., suivant l'état annexé au rapport fait le 27 décembre 1880, à la Chambre des députés, au nom de la Commission du budget (J. off. avril 1881, annexe 3.239, p. 143).

Cependant, d'après la déclaration souscrite en mars 1885 au bureau de l'enregistrement de Ploërmel, en exécution de la loi du 29 décembre 1884, la congrégation n'aurait possédé, à cette époque, qu'un patrimoine immobilier de 700.000 francs environ.

L'écart considérable existant entre cette déclaration et l'évaluation des documents parlementaires s'explique par ce fait que la majeure partie du domaine foncier de la congrégation s'est constituée au moyen d'acquisitions réalisées, non pas en son nom personnel, mais au profit de divers groupes de ses membres réunis pour la circonstance en sociétés civiles particulières.

L'une de ces sociétés s'est formée par acte notarié du 21 décembre 1878, entre diverses personnes appartenant toutes à la congrégation des Frères de l'Instruction chrétienne, à l'exception de deux prêtres, MM. Polerye et Desbois. Cette société, formée pour cinquante ans,

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sous le nom de Société civile de Ploërmel, a pour objet de créer et entretenir les écoles et les pensionnats, c'est-à-dire de coopérer à la mission en vue de laquelle la congrégation de Lamennais avait été fondée.

Le capital social, fixé à 1.60.000 francs, se composait uniquement des immeubles acquis, sous pacte tontinier, par différents membres de l'ordre, et du mobilier garnissant les écoles et pensionnats. Il a été divisé en 803 parts attribuées nominativement aux 21 sociétaires en représentation de leurs apports, savoir : 161 à M. Chevreau, supérieur général, et le surplus aux membres de la congrégation qui avaient participé aux acquisitions des biens formant l'actif social. L'article 10 porte que les associés pourront toujours s'adjoindre de nouveaux membres, à la condition, par ceux-ci, de se rendre cessionnaires d'une ou de plusieurs actions de la société. Les actions ne sont cessibles qu'avec l'autorisation du supérieur général, et aux associés originaires seulement ou à ceux agréés par la suite.

Les parts des associés décédés ou cessant de faire partie de l'association doivent obligatoirement être transférées aux associés restants. Par deux actes additionnels des 17 février 1880 et 6 décembre 1882, de nouveaux membres sont entrés dans la société, dont le capital a été porté à 1.668.000 francs.

L'Administration, se fondant sur ce que la prétendue société civile de Ploërmel n'était, au fond, que le prête-nom de la congrégation de Lamennais et, comme telle, constituait une véritable congrégation religieuse, lui a réclamé le droit d'accroissement à raison des décès, survenus en 1885, 1886 et 1888, de trois de ses membres, MM. Desbois, Morin et Robert.

Le droit d'accroissement, pour les biens situés dans le ressort du bureau de Ploërmel et évalués 160.000 francs, sauf à augmenter ou diminuer après déclaration, a été liquidé ainsi qu'il suit:

M. Desbois, propriétaire, au 29 décembre 1884, de 3 actions qu'il n'a cédées que le 2 juillet 1885, avait droit à 3/834 de 100.000 fr., soit à...... 359 fr. 70

M. Morin, possédant, au 29 décembre 1884, 83 actions qu'il n'a cédées qu'en 1886, avait droit à 83/834 de 100.000 fr., soit à 9.951 fr. 70 M. Robert possédait, au 29 décembre 1885, 74 actions; il a acquis, le 11 janvier 1886, de M. Morin, 18 parts, ce qui fait un total de 92 actions. Il avait donc, à son décès, droit à 92/834 de 100.000 francs, soit à.....

11.030 fr.

Les droits de mutation, liquidés sur cette base, au taux de 9 0/0, se sont élevés, décimes et demi-droit en sus compris, à 3.60; fr. 50. La contrainte décernée en payement de ce droit a été suivie d'opposition; mais le 22 juin 1892, le tribunal de Ploërmel a rendu un jugement qui valide la contrainte de l'Administration.

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