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XVI

ARTOIS, HAINAUT ET FLANDRES.

A Arras, la lutte est on ne peut plus vive. Le HautClergé, se voyant en minorité, proteste contre chaque motion des curés, et, comme ceux-ci passent outre, se retire bruyamment. Néanmoins, l'évêque, qui préside, arriverait s'il le voulait premier député. Il refuse d'abandonner la cause des moines et chanoines, et ne paraphe le cahier confié à quatre curés que « pour éviter un changement » (1), c'est-à-dire la correction des articles de conciliation rédigés avant la rupture.

Un curé étant élu à Avesnes, le «< cahier général » résume avec modération les vœux des pasteurs des paroisses.

Le clergé régulier, éliminé de la députation, demande à part, l'égalité du nombre d'électeurs avec le clergé séculier, la pleine liberté de l'usage des biens de main morte, la conservation des abbayes, prieurés prévôtés et autres corps réguliers dans tous leurs droits et propriétés.

Le cahier de la Flandre maritime (2) est entrecoupé de notes des religieux et des gros décimateurs contre ce que les curés ont fait passer à la majorité des voix.

L'évêque d'Ypres, qui préside, éprouve la honte de voir la majorité faire arriver, à sa place, un curé du diocèse de Saint-Omer et un curé doyen du diocèse d'Ypres. 11 obtient de ce dernier, son subordonné, une démission tar

(1) Arch. Parl. II, 79.

(2) Arch. Pari. II, 148-149.

dive et, beaucoup des curés étant partis le 14 avril, obtient dans l'assemblée incomplète le mandat qu'il voulait à tout prix.

Le cahier du clergé des bailliages de Douai et Orchies a pour premier signataire l'abbé de Marchiennes; et cela, quoique l'élu soit un curé, en atténue de beaucoup la vivacité.

Ce que les curés n'ont pas pu ou pas osé insérer dans le Cahier de l'Ordre, il n'ont pas manqué, comme en Provence, de le glisser d'avance dans les cahiers primitifs de leurs paroisses, lorsque leurs paroissiens les ont chargés de tenir la plume. Leur collaboration directe aux doléances rurales fait passer souvent la citation du canon quatuor du pape Gelase ordonnant le partage des biens de l'Église entre l'évèque, les prêtres desservant l'autel, les pauvres et la fabrique. Elle fait préciser par les paysans eux-mêmes l'origine et le but des dimes.

Ce n'est évidemment pas un cultivateur de Bouvignies, (1) mais le curé qui écrit: « Les dimes ont été accordées par les particuliers aux ecclésiastiques pour récompense de l'administration des sacrements et pour donner au peuple les instructions dont il avait besoin pour le spirituel... Si l'institution primitive de la dìme était remplie, les curés seraient bien dotés, au lieu que la plupart sont à portion congrue, et sont même une charge pour les communautés; il n'y aurait plus de pauvres, et les crimes et délits seraient plus rares...»

Le village de Marquette en Ostrevent commence son cahier par cette plainte: « Les curés, avec une modique pension alimentaire, étant obligés pour fournir à leur

(1) Arch Parl. II, 166-160.
(2) Arch. Parl. III 200-204.
(3) Arch. Parl. III, p. 221-222.

existence de recevoir un certain salaire, » le casuel, « ils passent dans l'esprit des peuples pour des exacteurs impitoyables, pour de cruels tyrans, eux les représentants d'un Dieu de miséricorde, tandis que les gros décimateurs jouissent paisiblement de la sueur de l'indigent. » A la fin, la misère des pauvres villageois « est exposée en parallèle avec l'abondance de toute chose, » dont jouissent « les monastères d'hommes et de filles, » possesseurs de « la plus grande partie des biens du royaume. »>

Dans la gouvernance de Lille (1) l'assemblée du clergé est divisée en deux parties d'égale force, jusqu'à l'élection finale, où deux curés passent, le second nommé suppléant de l'évêque de Tournay, qui n'ira pas à Versailles. Le cahier contient : une partie politique et sociale commune sur « le vote par Ordre, le maintien de la liberté et le maintien de la propriété », y compris les biens d'Église ; une partie ecclésiastique générale, où les diverses classes du clergé s'accordent pour réclamer que le roi se fasse assister d'un conseil de conscience dans la collation des bénéfices; que les chanoines, exclusivement pris parmi les prêtres ordonnés, soient tenus à la résidence ; que le culte dans les églises paroissiales soit désormais réglé par l'évêque diocésain et, sous lui, par les curés ; que la célébration publique des prières dans les églises et chapelles des réguliers soit interdite, conformément à la discipline de l'Église, aux heures des offices paroissiaux. On sent ici l'influence prépondérante du clergé séculier inférieur; le clergé régulier inférieur n'a appuyé les vœux de l'autre jusqu'à l'augmentation des portions congrues qu'en échange de l'article sur la conservation des religieux même mendiants.

La partie réservée aux « doléances particulières des

(1) Arch. parl. III, 522-526.

abbayes, des chapitres et des bénéficiers des églises collégiales » demeure vide, les intéressés les ayant lues à l'assemblée mais s'étant opposés à ce qu'elles fussent imprimées.

Dans la quatrième partie du cahier, les curés, « déterminés par des considérations de bien public et pour se procurer les moyens d'y coopérer plus efficacement, » adjurent le roi de considérer « la négligence des gros décimateurs à leur égard, » d'affecter une part des dìmes, le quart ou le cinquième, au soulagement des pauvres, d'obliger les décimateurs « à procurer aux églises et au culte la décence prescrite par les synodes provinciaux », sans laisser plus. longtemps la charge de la reconstitution et réparation des temples et presbytères peser sur la tête du pauvre cultivateur. Ils demandent encore que les curés de Lille, tous les curés en général des églises citadines, où il y a des chanoines, participent à l'administration des biens et revenus de la fabrique de la paroisse; que toutes les communautés de Lille soient déclarées «< paroissiennes » et soumises à <«< la direction ou surveillance des curés » ; qu'aux États provinciaux promis, il y ait des curés choisis par leurs confrères, proportionnellement au nombre des paroisses et aussi à celui des autres classes du clergé, «< eu égard à leur influence sur l'esprit du peuple, à leurs connaissances locales et à l'utilité dont ils peuvent être pour éclairer l'administration. »

XVII

LORRAINE, BARROIS ET TROIS-ÈVÊCHÉS

Le gouvernement militaire de Nancy comprenait la Lorraine française et allemande et le pays des Vosges, les

Trois-Évêchés, le Luxembourg français et le Barrois. Les évêques de Metz, Toul et Verdun étaient suffragants de Trèves, comme l'évêque de Strasbourg de Mayence.

La Lorraine, ecclésiastiquement isolée de la France et toujours rattachée à l'Allemagne, formait ce qu'on appelait un «< pays d'obédience », c'est-à-dire sans concordat ni usages propres, possédant des immunités cléricales très étendues, sous les règles de la Chancellerie romaine repoussées par la monarchie française (1). Ce qui n'empêcha pas cette région de produire le plus gallican des révolutionnaires religieux: l'abbé Grégoire.

D'ailleurs, pas plus là que dans le reste du pays, la papauté ne jouissait du moindre crédit, n'exerçait la moindre influence; «<le pape, ce nom cher et sacré à tous les prêtres de notre temps, » dit l'abbé Mathieu (2), « ne représentait guère pour les prètres du dix-huitième siècle qu'une sorte de roi constitutionnel de l'Église, intervenant rarement dans leurs affaires et toujours sous le bon plaisir et le contrôle, accepté de tous, du parlement et du souverain. »

Sous l'action principalement de Grégoire, curé d'Embermesnil et de Galland, curé de Charmes, les pasteurs des paroisses lorraines s'étaient, dès la fin de l'année 1787, syndiqués, sur le modèle de leurs confrères dauphinois. Leur organisation s'était manifestée, le 21 janvier 1789, contre l'aristocratie laïque et ecclésiastique, par une Déclaration, dans laquelle les curés renonçaient, pour le clergé, à tout privilège en matière d'impôt, et se prononçaient en faveur du vote par tête, au sein des États généraux, le tiers-état ayant autant de représentants que les deux autres Ordres réunis. Les lettres collectives, réitérées, que le comité de

(1) L'Ancien régime dans la province de Lorraine et Barrois, 1788-1789, Paris 1879, in-8, par l'abbé D. Mathieu, p. 117. (2) P. 155.

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