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CHAPITRE PREMIER

HISTOIRE DE LA LIBERTÉ de culte.

SI

De la liberté de culte jusqu'en 1789.

Les anciens n'ont pas connu la liberté de culte. Dans l'antiquité, en effet, la religion était intimement liée à la Constitution de l'État; ce n'est que lors du triomphe du christianisme que le pouvoir civil devint indépendant du pouvoir religieux; dès lors, la liberté de culte aurait pu être respectée-nous verrons tout à l'heure si elle le fut en réalité.

Avant qu'eût été proclamée et reconnue l'existence d'un Être Suprême protégeant indistinctement tous les hommes, à quelque nationalité qu'ils appartinssent, chaque peuple avait ses dieux particuliers qui, d'après les légendes, étaient ses fondateurs, qui le protégeaient contre les autres peuples le Jupiter honoré à Athènes n'était pas le même dieu que le Jupiter dont on célébrait le culte à Rome. On peut, dès lors, se figurer quelle intime relation existait entre la religion d'un peuple et ce peuple lui-même,et quelle importance devait avoir le culte que l'on rendait aux dieux de l'État; celui-ci intervenait donc dans le culte et il y intervenait d'une façon très-minutieuse, en réglait avec soin toutes les cérémonies, si bien qu'il n'y avait qu'un culte et

qu'il ne pouvait, par conséquent, y avoir de liberté de culte. Chaque famille grecque ou romaine avait bien ses dieux particuliers, auxquels elle rendait un culte privé; mais, dans la célébration de ce culte qui intéressait la famille tout entière, le chef de celle-ci devait suivre les traditions.

Ajoutons à cela que. si les anciens connurent la liberté. politique (je ne parle ici, bien entendu, que de la Grèce et de Rome), ils ne connurent pas la liberté individuelle, dans le sens où nous l'entendons aujourd'hui, c'est-à-dire l'indépendance du citoyen vis-à-vis de l'Etat. Le Grec, le Romain était bien citoyen et avait droit à ce titre de prendre part à toutes les délibérations intéressant les affaires publiques, de prendre part au gouvernement de l'Etat, de décider de la paix ou de la guerre, mais quand l'Etat réclamait de lui tel ou tel acte, telle ou telle abstention, il ne pouvait désobéir; l'Etat était maitre et maître absolu de sa vie et de ses biens. Comment, dès lors, auraitil eu une indépendance quelconque en matière de culte? S'il avait manqué aux prescriptions établies pour honorer les dieux de sa patrie, on l'aurait accusé de mettre celle ci en péril et il eût été condamnė.

La liberté de culte n'a donc pas été connue dans l'antiquité, d'abord à cause de l'aspect sous lequel les anciens considéraient la divinité, ensuite à cause de l'ignorance dans laquelle ils se trouvaient de la liberté individuelle.

L'avènement du christianisme opéra nettement la séparation du pouvoir civil et du pouvoir religieux; son fondateur avait dit: Mon royaume n'est pas de ce monde » et « Rendez ȧ César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »; il n'y avait plus ni dieux d'Athènes, ni dieux de Rome, mais un seul Dieu, non le Dieu d'un peuple ou d'une

cité, mais le Dieu de l'univers, de l'humanité tout entière; dès lors, une religion nationale ne se comprenait plus ; les affaires de l'État étaient toutes différentes de celles de la religion: l'Etat n'était plus intéressé à ce que le culte fùt célébré de telle ou telle façon, et n'avait plus aucune raison pour intervenir dans sa réglementation. La liberté de culte aurait donc dù alors être respectée ; hélas, il n'en fut rien. Les empereurs Romains, Constantin le premier,s'aperçurent bien vite que si, au fond, le domaine religieux et le domaine civil sont indépendants l'un de l'autre, ils n'en exercent pas moins une très-grande influence l'un sur l'autre, et que le gouvernement, qui a pour lui le pouvoir spirituel, trouve là un excellent moyen de domination; aussi, non contents de se proclamer chrėtiens, ils prêtèrent leur appui à la nouvelle religion et l'aidèrent de tout leur pouvoir à achever son triomphe. De leur côté, les chrétiens se gardèrent bien de refuser l'appui qui leur était offert; certes, ils auraient bien à subir parfois l'immixtion des empereurs dans les affaires du domaine exclusif de l'Eglise, mais aussi quel parti pouvaientils retirer de l'influence qu'allait leur donner l'appui du chef de l'Etat ! Il y eut donc de nouveau une religion nationale, une religion officielle, dirai-je; et, pour protéger cette religion, on ne tarda pas à persécuter soit le paganisme, soit les sectes chrétiennes qui, sur certains points de dogmes, s'étaient séparées de l'Eglise primitive, les sectes hérétiques. De persécuté le christianisme devint. persécuteur, et, pendant une longue suite de siècles, la liberté de culte aussi bien que la liberté de conscience devaient rester inconnues; je dis devaient rester inconnues, et non ne devaient pas encore exister, car la liberté existe depuis le commencement du monde, elle est, si je

puis m'exprimer ainsi, née avec l'homme; l'homme est libre, non parce que l'Etat ou le souverain lui accordent le droit d'aller et de venir, de penser, comme il lui plaît, mais bien parce qu'il est homme (1).

Comme exemples des atteintes portées, au nom du christianisme, par les empereurs Romains à la liberté de culte, je rappelle seulement les mesures suivantes : Constantin ordonne la fermeture de tous les temples et interdit tous sacrifices, sous peine de mort d'abord et plus tard de proscription (2); les lieux servant au culte et tous les autres affectés aux besoins du paganisme sont confisqués au profit de l'empereur, d'après une constitution de Gratien, (3); Théodose punit des peines portées contre les coupables du crime de lèse-majestés les païens qui sacrifient à leurs dieux ou consultent les entrailles des victimes (4); Justinien défend de même aux hérétiques de se réunir et d'exercer leur culte, et déclare qu'en cas d'infraction à cette défense, les maisons où se réunissent les hérétiques seront données à l'Eglise et ceux, chez lesquels ont lieu les réunions, frappés de différentes peines (5).

Après la chute de l'empire Romain, les Barbares ayant embrassé le christianisme et l'Eglise ayant conservé toute son influence, les persécutions continuèrent; une religion toute puissante, comme le fut la religion chrétienne pendant le moyen-âge, ne voulait nécessairement supporter non-seulement aucune autre religion, mais aucune secte

1. Voir le Préambule de la Déclaration des droits de l'homme et du ci toyen de 1789.

2. C. 1, de Pag. el sacrif. et templis, I, 11.

3. Voir Code Théod. C. 20, de Pag. sacr, et templis, XVI, 10.

3. C. Théod. de Pag. sacr. 1. 20.

4. C. 2, de Pag, et sacrif. et templis, I, 11.

5. Novelle 132.

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