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les différents peuples qui sont devenus libres dans le cours de ce siècle : l'indifférence religieuse de notre époque doit être pour beaucoup dans cet état de choses : « Oui, on peut vivre sans prier, sans entrer dans un temple, sans entendre la voix d'un pasteur, sans trouver la religion à son chevet dans la maladie, ou sur le bord d'une tombe aimée. Mais si une âme est ainsi faite que ces secours lui soient nécessaires, et qu'elle préfère à tous les plaisirs du monde le commerce de Dieu, et l'accomplissement de ce qu'elle croit un devoir, que fait la société qui lui refuse un pasteur et un temple? Elle l'opprime. Il ne suffit pas de vivre sans Dieu pour avoir le droit de mettre la piété en interdit (1). » On ne saurait mieux dire.

1. M. Jules Simon, la Liberté, édit. 1859, t. II, p. 482.

CHAPITRE II

DES MANIFESTATIONS INTÉRIEURES DU CULTE

Il y a évidemment, quand on examine les conditions dans lesquelles le culte doit être célébré. une importance très grande à distinguer entre les actes qui se passent à l'intérieur des édifices et ceux qui se passent à l'extérieur, c'està-dire, en général, sur la voie publique. En effet, quand il s'agit des premiers, l'ordre public est bien moins en danger, court bien moins le risque d'être troublé ; la loi doit donc se montrer beaucoup plus libérale à leur égard qu'à l'égard des seconds qui peuvent facilement devenir, il est inutile d'insister là-dessus, une cause de trouble pour l'ordre public.

Les manifestations intérieures du culte se résument toutes dans les deux faits suivants réunion des fidèles; ouverture d'édifices spécialement consacrés au culte. Entre les réunions il faut distinguer les réunions privées et les réunions publiques. Nous allons donc examiner successivement quelle est en France et à l'étranger la liberté de culte en matière de réunions privées, de réunions publiques et d'ouverture de temples.

§ I.

Des réunions privées.

Un citoyen rassemble chez lui, sans solliciter la permission de l'autorité, un certain nombre de ses amis, dans l'intention de se livrer en commun à des cérémonies religieuses, à des prières, à des chants de psaumes, etc. Il y a peu d'années encore que, d'après la législation française, il se rendait coupable d'un délit ; cependant si l'on se référait au droit commun, il était à l'abri des atteintes de la loi ; en effet, le droit de réunion privée est compris dans le droit de domicile empêcher un citoyen d'en réunir d'autres chez lui, c'est certainement porter atteinte à l'inviolabilité de son domicile. Cette anomalie n'existe heureusement plus aujourd'hui dans notre pays.

La loi du 7 vendémiaire an IV qui, ainsi que nous l'avons vu, avait établi la liberté de culte, soumettait dans son art. 1er tout rassemblement des citoyens pour l'exercice d'un culte quelconque à la surveillance des autorités constituées, surveillance qui devait, aux termes de la loi, se renfermer dans des mesures de police et de sûreté publique. L'absence de distinction entre les réunions publiques et les réunions privées, les mots tout rassemblement, enfin l'esprit général de la loi, démontrant que le législateur voulait surtout se mettre en garde contre les troubles que pourrait occasionner l'exercice du culte plutôt qu'assurer la complète liberté de celui-ci, tout cela donne les plus grandes raisons de croire que l'article 1er de la loi de vendémiaire était applicable aux réunions privées ayant pour objet l'exercice du culte. Mais, remarquons-le bien, il n'était pas nécessaire pour tenir ces réunions d'obtenir l'autorisation d'un fonctionnaire quelconque; l'action de l'autorité se bornait,ainsi

que nous le verrons tout à l'heure, à propos des réunions publiques, à une simple surveillance. Cette surveillance, à mes yeux, était de trop quand même; je tâcherai de démontrer tout à l'heure que les réunions privées, en matière de culte, doivent échapper complètement à la surveillance de l'autorité.

La loi de vendémiaire se trouvant abrogée par celle du 18 germinal an X, le droit de réunion privée en matière de culte reçut une première atteinte de cette dernière loi elle-même; le 44 article organique du culte catholique interdisait, en effet, d'ouvrir aucune chapelle domestique, aucun oratoire particulier sans une permission expresse du gouvernement. Le Code pénal, en 1810; priva complètement les Français du droit dont nous nous occupons, aux termes de son article 294, ainsi conçu : « Tout individu qui, sans la permission de l'autorité municipale, aura accordé ou consenti l'usage de sa maison ou de son appartement,en tout ou erpartie,pour la réunion de membres d'une association même autorisée, ou pour l'exercice d'un culte, sera puni d'une amende de 16 à 200 francs.» Les tribunaux ont fait depuis 1810 de nombreuses applications de cet article : c'est ainsi que le 18 septembre 1830, la Cour de cassation déclarait que l'art, 294 était applicable même à celui qui prêtait sa maison pour l'exercice d'un culte même reconnu (Dall. J. G. Assoc. illic., no 34), doctrine confirmée par plusieurs arrêts de la même Cour.

Le régime de 1848 établit incontestablement la libertė pour les réunions religieuses publiques; l'établit-il pour les réunions religieuses privées? Je le crois. En effet, le décret du 28 juillet 1818 sur les clubs, établissant la liberté de réunion, soumettait bien, dans son article 15, les réunions privées à la nécessité d'une permission de l'autorité

municipale, mais il ne s'agissait que des réunions dont le but était politique; de plus, l'article 18 in fine du même décret déclarait que les restrictions apportées au droit de réunion n'étaient pas applicables aux réunions ayant pour objet exclusif l'exercice d'un culte quelconque; et il ne distinguait pas entre les réunions publiques ou privées : c'était autoriser les unes et les autres. L'article 234 du Code pénal se trouvait ainsi abrogė. Mais le décret du 28 juillet 1848 fut abrogé lui-même par celui du 25 mars 1852, à l'exception de l'article 13 interdisant les sociétés secrètes; les réunions privées ayant spécialement pour objet l'exercice du culte étaient donc de nouveau régies par l'art. 291 C. P., et, par conséquent, de nouveau soumises à la nécessité d'une autorisation; peu importait que l'art. 2 du décret de 1852 fit seulement allusion aux réunions publiques; son silence sur les réunions privées s'explique par ce fait que le principal objet du décret de 1848 avait été d'établir la liberté des réunions publiques ; la liberté des réunions privées, en matière religieuse, n'avait été établie qu'implicitement; quant aux réunions privées, en général, (sauf l'exception de l'art. 294 C. P., à propos des associations) le décret de 1848 n'avait pas eu à s'en préoccuper : elles étaient déjá libres.

Cette nécessité d'une autorisation de la municipalité pour les réunions dont nous nous occupons maintenant disparut lors de la promulgation de la loi du 6 juin 1868 sur les réunions publiques; cette loi, en effet, s'occupant exclusivement des réunions publiques consacrait par cela même implicitement la liberté des réunions privées; il en est de même aujourd'hui sous le régime de la loi du 30 juin 1881 qui a consacré d'une manière absolue la liberté des réunions publiques, quelle qu'en soit la nature; si les réu

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