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donne lieu à de biens tristes incidents : qu'on se rappelle l'affaire de Châteauvillain, qu'on relise les débats qui ont eu lieu à ce sujet à la Chambre des Députés et l'on deviendra bien vite partisan de la suppression de l'article 44. Cependant, dans le cas où une cérémonie du culte aurait été célébrée dans une chapelle ou synagogue non autorisée, le ministre qui l'aurait célébré pourrait être poursuivi devant le Conseil d'État pour abus, à raison d'une contravention aux lois et règlements de la République (6o article organique du culte catholique, 6o article organique du culte protestant et art. 55 de l'ordonnance du 25 mai 1844).

En Belgique, non seulement il n'est pas nécessaire d'obtenir la permission d'une autorité quelconque pour pouvoir ouvrir un oratoire ou une chapelle quelconque, mais il n'est pas même nécessaire de déclarer a l'avance à l'autorité qu'on va se livrer à l'exercice d'un culte. (1)

En Italie, on estime que la liberté de culte admise, reconnue par le Droit Public du Royaume, entraîne comme première conséquence la faculté pour les adhérents des diverses religions d'avoir des temples comme il leur plaît. Le 1 décembre 1851, M. Galvagno, ministre de l'Intérieur, s'écriait duns une séance du Sénat : « La tolérance a été proclamée sans limite dans tout le royaume. Que signifie, je vous prie, la tolérance du culte? Si cette tolérance ne comprend pas en elle-même l'idée de l'exercice du culte, je ne sais ce qu'elle peut comprendre, et l'exercice du culte présuppose l'existence de temples. Là où il y a une population de dissidents, il ne peut y avoir de moyen terme : tolérer ou ne pas tolérer; et si on tolère le culte, on doit en tolérer l'exercice, on doit permettre les moyens avec les

1. Pandectes belges, v° Culte, nos 71 et 72.

quels cet exercice pourra avoir lieu.» En 1860, les Vaudois s'adressaient au Gouvernement de Toscane et demandaient la permission d'élever un temple à Livourne pour l'exercice de leur culte; le Ministre des affaires ecclésiastiques leur répondit qu'ils n'avaient pas besoin de la permission du gouvernement pour bâtir un temple, de même que les catholtques n'en avaient pas besoin pour élever une église. (1)

Au Mexique, l'article 12 de la loi organique de 1874, est, on se le rappelle, ainsi conçu : « Toutes les réunions qui auront lieu dans les temples seront publiques, et soumises à la surveillance de la police, et l'autorité pourra y exercer les fonctions de son ministère, 'si les circonstances le demandent. » Il serait donc défendu à un citoyen d'avoir chez lui un temple pour son usage personnel, dans lequel il voudrait réunir seulement ses amis.

Je rappelle qu'en Angleterre également, ainsi que nous l'avons vu à propos des réunions privées, les dissidents ne peuvent célébrer leur culte que publiquement.

1. Voir M. Rignago, Della Uguaglianza civile e della Dibertà dei Culti, Livourne 1885, p. 76-78.

CHAPITRE III

DES MANIFESTATIONS EXTÉRIEURES DU CULTE.

Par culte extérieur, il faut entendre toutes les manifestations religieuses qui peuvent avoir lieu en dehors des édifices privés ou publics, consacrés ou non au culte. La liberté de culte existe-t-elle dès que le culte intérieur est garanti aux citoyens? Ne faut-il pas aussi que le culte extérieur leur soit asssuré? Je crois que la liberté de culte n'existe réellement que lorsque les citoyens peuvent en tous lieux manifester leurs convictions religieuses. Cependant, si l'on peut affirmer, quant au culte intérieur, que l'action de l'autorité doit, alors seulement, bien entendu, ́qu'il y a publicité, se borner à une simple surveillance, il faut se montrer plus circonspect dans ses opinions quand il s'agit du culte extérieur : car, pour certaines manifestations se rattachant à cette seconde partie du culte, il faudra accorder à l'autorité un droit de prohibition. Mais ce droit de prohibition doit être essentiellement basé sur les nécessités de l'ordre public; c'est dire qu'il ne doit être accordé à l'autorité que pour certaines manifestations extérieures que le législateur a reconnues, à raison de leur nature, susceptibles de devenir une cause de trouble pour l'ordre public. Le législateur manquerait donc à son devoir si, comme cela existe malheureusement dans de nombreux pays, il interdisait en bloc toutes les manifestations exté

rieures du culte, sous prétexte que ces manifestations sont inutiles et que le culte intérieur doit suffire aux membres des diverses religions de l'État: il serait grandement coupable, s'il interdisait les manifestations extérieures d'une religion et permettait celles d'une autre religion, de la religion de l'État, par exemple. Si le culte intérieur est un besoin pour les hommes, il en est de même du culte extérieur : les cérémonies qui se passent en dehors de l'église sont tout aussi touchantes, élèvent tout aussi bien, si ce n'est mieux, la pensée de l'homme vers la Divinité que celles qui ont lieu dans l'église même; le croyant est heureux d'affirmer sa foi aux yeux de tous, il semble même qu'il puise dans ces cérémonies une nouvelle force pour l'affirmer davantage. Je dis donc que le culte extérieur a non-seulement sa raison d'être, mais qu'il est nécessaire et que, comme tel, il mérite toute l'attention du législateur: vouloir le proscrire d'un trait de plume, c'est porter une profonde atteinte à la liberté religieuse; négliger d'en assurer le libre exercice, c'est faire preuve d'une impardonnable légèreté.

Le culte extérieur comprend : 1° La publicité des emblêmes religieux, à laquelle il faut rattacher la sonnerie des cloches; 2o Les cérémonies extérieures; 3o Les cérémonies funèbres qui, bien que comprises dans les précédentes, méritent cependant une attention spéciale. Nous examinerons successivement chacun de ces points.

Ier

Des emblèmes et de la sonnerie des cloches.

Des emblèmes. - Les différentes religions ont certains emblèmes, certains signes qui rappellent aux fidèles les

vérités fondamentales de leurs croyances; le christianisme a, par exemple, la croix, le crucifix, le mahomėtisme, le croissant. Ces emblèmes doivent-ils pouvoir être placés dans des endroits où ils sont susceptibles d'être aperçus du public? Qu'on ne croie pas que ce soit là une question inutile dans un certain nombre de pays, ce droit est interdit en tout ou en partie, et même en France la proposition a été faite il y a quelques années d'y porter une profonde atteinte, ainsi que nous le verrons tout à l'heure.

La loi du 7 vendémiaire an IV, dont nous avons déjà eu à nous occuper et à propos de laquelle on peut se demander si son véritable dessein était d'établir ou de proscrire la liberté de culte en France, cette loi, dis-je, interdisait l'exhibition publique de tout emblême d'un culte quelconque: « Aucun signe particulier à un culte, disait l'article 13, ne peut être élevé, fixé et attaché en quelque lieu que ce soit, de manière à être exposé aux yeux des citoyens, si ce n'est dans l'enceinte destinée aux exercices de ce même culte, ou dans l'intérieur des maisons des particuliers, dans les ateliers ou magasins des artistes et marchands, ou les édifices publics destinés à recueillir les monuments des arts. »

La loi de vendémiaire ayant été, ainsi que nous l'avons vu, abrogée par le Concordat et les articles organiques, l'exposition des emblèmes religieux se trouve soumise aut droit commun; or, la seule loi qui se soit occupée des emblèmes est la loi sur la presse du 17 mai 1819,article 1er,mais elle ne s'occupe que des emblèmes séditieux dans la catégorie desquels on ne saurait, bien entendu. faire entrer les emblèmes religieux; l'exposition de ces sortes d'emblèmes est donc absolument libre, à quelque culte, reconnu ou non, qu'ils puissent s'appliquer. Cette liberté est encore

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