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dans beaucoup de communes cependant les cérémonies funèbres sont exemptes de l'interdiction portée contre les processions ou autres manifestations du même genre.

L'autorité ayant le droit d'interdire les cérémonies funèbres sur la voie publique a, bien entendu, celui de les réglementer. Mais cette réglementation doit être la même pour tous les cultes : aucun de ceux-ci ne doit être plus ou moins favorisé sous ce rapport: ici, comme partout ailleurs, ils doivent être égaux devant les prescriptions légales ou de police. C'est pourquoi on ne saurait trop, selon moi, blâmer un arrêté tel que celui qui fut pris le 18 juin 1873 par le préfet de Lyon; cet arrêté, après avoir obligė chaque personne déclarant un décès à faire connaitre si l'inhumation du décédé aurait lieu ou non avec la participation des ministres de l'un des cultes reconnus par l'Etat, portait dans ses articles 2 et 3: A moins de circonstances tout-à-fait exceptionnelles, dont le maire sera juge, les inhumations sans la participation d'aucun des cultes reconnus par la loi auront lieu, savoir: à six heures du matin du 1er avril au 30 septembre; à sept heures du matin du 1er octobre au 31 mars. Les autres heures du jour seront réservées aux autres inhumations (art. 2). Les convois funèbres devront suivre les voies de moindre parcours, à moins d'itinéraire spécial que nous nous réservons d'autoriser. De vives protestations s'élevèrent, entre autres celles des membres d'un culte dissident, assez nombreux å Lyon, paraît il, des sectateurs de la Petite Eglise l'arrêté était en réalité,c'est vrai, dirigé contre les enterrements dits civils, mais il n'en atteignait pas moins les cultes non reconnus, et il portait, par conséquent, une double atteinte à la liberté de conscience et à la liberté de culte. Dans la

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séance de l'Assemblée nationale du 24 juin 1873 (1), M. Le Royer s'éleva, dans un discours très-remarquable, contreles tendances qui avaient porté le préfet à prendre cet arrêté; le ministre de l'intérieur, M. Beulé, défendit la mesure prise par le préfet et l'Assemblée, ceci est triste å dire, donna gain de cause au ministre, c'est-à-dire à l'intolérance. Que l'arrêté fût conforme à la loi du 4 avril 1873, aux art. 3-3° tit. XI de la loi des 16-24 août 1790, 16 et 17 du décret du 23 prairial an XII, cela n'était pas douteux, mais qu'il ne blessât pas le principe de la liberté religieuse, c'était bien plus douteux. On ne peut guère admettre les raisons données par la Cour de cassation, dans son arrêt du 23 janvier 1874 (D. P. 74. 1. 225), arrêt dans lequel elle admettait la parfaite légalité de l'arrêté : « Attendu.... qu'il (l'arrêtė) ne blesse pas davantage le principe de la liberté de conscience, puisque ce qui intéresse cette liberté, c'est l'assistance ou la non-assistance de la religion; que cet acte est parfaitement libre; mais que, devant se produire publiquement, à l'occasion d'un convoi, soumis à la surveillance de l'autorité, il n'y a dans l'exigence de la déclaration aucune atteinte à la liberté de conscience. » C'est vrai, il n'y avait pas d'atteinte à la liberté de conscience, mais il y en avait une à la liberté de culte, qui a droit au respect de l'autorité tout aussi bien que la première et ne doit pas être réduite à rien par suite de réglementations excessives.

En Angleterre, une singulière atteinte a été, jusqu'à ces derniers temps, portée à la liberté de culte, à propos des cérémonies funèbres. Il y a un demi-siècle encore, il n'y avait dans chaque paroisse d'autre cimetière que le churchyard (espace de terrain entourant l'église). « Tout habi

1. Voir Journal officiel du 25 juin, p. 4163 et suiv.

tant de la paroisse, dit M. Georges Picot (1),avait le droit d'y être inhumé, mais ce droit était soumis à une condition absolue, à savoir que le service de l'Eglise d'Angleterre fût lu sur sa tombe. Les dissidents, qu'ils appartinssent aux diverses sectes protestantes, ou qu'ils fussent catholiques,étaient forcés d'accepter les mêmes prières. Dans l'enceinte du churchyard, il n'existait qu'une religion. Cette fiction était une atteinte à la liberté de conscience. Pour tout Anglais dissident, la liberté religieuse dont il avait joui pendant sa vie faisait place, quand il avait fermė les yeux,à la plus complète intolérance. » Dans beaucoup de villes, des cimetières étaient cependant affectés aux dissidents, mais dans les campagnes, à peu d'exceptions près, tout dissident était encore forcé de subir les prières d'un culte autre que le sien, lorsque la loi du 7 septembre 1880 vint faire cesser cette injustice; pas complètement, cependant, car, suivant l'art. 6 de cette loi, la cérémonie funèbre peut avoir lieu dans le cimetière sans service ou avec un service différent de celui de l'Eglise anglicane, mais avec un service chrétien. Les mots service chrétien comprennent tout service religieux célébré par toute Eglise, secte ou personne professant le christianisme; il serait, par conséquent, défendu de célébrer un service d'après le culte israélite ou musulman.

1. Dans une notice parue dans l'Annuaire de législation étrangère de 1881, p. 26 et suiv.

CHAPITRE IV

DES ASSOCIATIONS RELIGIEUSES

Permettre aux citoyens de se réunir accidentellement pour se livrer en commun à des prières, il faut avouer que c'est bien peu; ce qui constitue l'exercice d'un culte, c'est la régularité, la permanence de sa célébration; quand il s'agit de traiter, par exemple, une question politique, une ou deux réunions peuvent suffire pour que le but projetė soit atteint; mais il n'en est évidemment pas de même du culte; on ne prie pas Dieu une fois, ou plusieurs fois, on le prie continuellement; si les fidèles ne se rassemblent pas d'ordinaire quotidiennement pour se livrer à des prières en commun, du moins se réunissent-ils ou doivent-ils, d'après les dogmes de leur religion, se réunir à certains jours marqués, prévus d'avance pour célébrer collectivement. leur culte. C'est ce que faisait très-bien remarquer M. Seignobos dans la discussion sur le projet de loi pour la libertė des réunions du culte, dont nous avons déjà parlė: « Mais il y a quelque chose de plus particulier, c'est la permanence nécessaire, la continuité des cérémonies du culte. Je ne sais pas si on doit permettre aux réunions publiques d'être permanentes; celles du culte le sont essentiellement par leur nature même, car on ne comprend pas nos cultes sans des réunions périodiques assez rapprochées (1). » Cette pé

1. Journal officiel de 1879, p. 10903 et suiv.

riodicité, cette permanence des réunions religieuses entrainent une certaine organisation; il faudra, par exemple, nommer les ministres du culte, pourvoir à leur entretien, charger quelques personnes de s'occuper des intérêts matériels, indispensables à la célébration du culte, tels que : choix des locaux, paiement des différents frais, recouvrement des cotisations qui devront être versées par les divers adhérents du culte, etc. Tout cela constitue une association; or, faute de cette organisation, l'exercice d'un culte est, nous venons de le voir, complètement impossible; si l'on veut donc assurer la liberté du culte, il ne suffit pas d'établir la liberté des réunions religieuses, il faut également établir celle des associations ayant pour objet l'exercice du culte ou, suivant l'expression consacrée et que j'emploierai pour plus de brièveté, des associations religieuses. Nous verrons qu'en France nous sommes privés de cette liberté qui, dans un certain nombre de pays étrangers, a déjà été reconnue.

Il ne faut pas confondre les associations religieuses avec les congrégations. L'association n'est, en effet, peut-on dire, que le concert de plusieurs personnes pour arriver à. un but commun; par exemple, une association qui a pour but l'exercice d'un culte n'implique entre ses différents membres d'autre obligation que celle de contribuer aux dépenses du culte, de se soumettre aux règlements élaborés en commun. Une congrégation, au contraire, est bien un groupement de personnes qui se proposent un but religieux, mais ce but c'est plus que la simple célébration du culte, c'est la consécration de sa vie à la Divinité, consécration réalisée par l'adoption de la vie en commun, et les trois vœux d'obéissance, de pauvreté et de chasteté. « Les associations religieuses ne demandent pas à leurs mem bres de rester perpétuellement ou même pendant un cer

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