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J'ajoute que le senatusconsulte Macédonien ne saurait être invoqué par les étrangers, non seulement parce qu'ils ne sont pas filiifamiliarum, mais encore parce que le séna usconsulte appartient au jus civile, c'est-à-dire doit être regardé comme une institution particulière au peuple qui l'a établi; jamais un bénéfice tel que celui de ne pas payer une dette, en prétendant que l'on était soumis à la puissance paternelle, au moment où on l'a contractée,jamais un tel bénéfice n'aurait été admis par le jus gentium; en sa qualité d'institution du jus civile, le sénatusconsulte Macédonien ne peut donc être invoqué que par les citoyens.

Cependant, dès l'époque classique, les enfants non issus ex justis nuptiis pouvaient, dans certains cas, tomber sous la puissance paternelle : c'est ce que les interprètes ont appelé la légitimation; on sait qu'à l'époque classique, la légitimation résultait de la causæ probatio, de l'acquisition par un Latin de la cité romaine par suite du décurionat ou de l'exercice d'une magistrature municipale,du droit de cité qu'obtient de l'Empereur un pérégrin pour lui-même, sa femme et ses enfants et de la puissance pater. nelle qui lui est est en même temps accordée (1), enfin de l'erroris causæ probatio; sous les empereurs chrétiens, la légitimation résulte du mariage subséquent, d'un rescrit impérial et de l'oblation à la Curie. Cette légitimation avait-elle un effet rétroactif? L'individu légitimé, par exemple, à trente ans pouvait-il se prétendre fils de famille dès sa naissance et opposer le sénatusconsulte Macédonien pour un emprunt d'argent contracté à vingt-six ans? Non, en droit romain, la légitimation n'a pas d'effet rétroactif; la maxime romaine est dies nuptiarum est

1. Voir M. Accarias. Préç. de Dr. Rom., 4o édit., t. I, nos 50 bis el 75.

dies conceptionis et nativitatis legitima; on ne devient filiusfamilias et on ne peut, par conséquent, bénéficier du Macédonien que du jour où a eu lieu le fait qui a produit la légitimation. C'est ce système qu'a, d'ailleurs, suivi le droit français (art. 333, C. civ.), et avec grande raison. En ce qui concerne particulièrement notre sénatusconsulte, la rétroactivité de la légitimation aurait conduit à des résultats d'une iniquité flagrante un individu issu d'un concubinat, d'un stuprum ou d'un mariage du droit des gens aurait pu faire un emprunt pleinement valable, n'étant pas alors filiusfamilias; puis, ayant été légitimé, il aurait, au moment des poursuites exercées contre lui par son créancier, opposer victorieusement à celui-ci l'exception du Macédonien ! C'eût été inadmissible.

§ III

Le sénatusconsulte peut-il être invoqué par des esclaves?

De ce que le sénatusconsulte Macédonien a pour but d'empêcher les fils de famille, personnes in potestate, de contracter des emprunts, on est amené à se demander si ce sénatusconsulte ne devait pas être appliqué à d'autres personnes in potestate,aux esclaves. Cujas, s'appuyant sur la Constitution 13, Quod cum eo, IV, 26 des empereurs Honorius et Théodose, constitution rapportée déjà au Code Theodosien C. unic., Quod jussu, II, 31, nous dit que la notion du danger a fait étendre le sénatusconsulte Macédonien aux esclaves.de peur que ceux-ci ne trament quelque lâche complot contre les jours de leur maître : « Ut parentibus igitur, dit-il, ita et dominis consultum est » (1).

1. Paratilla in lib. IV Codicis Justin., tit. 28, ad SC. Mac.

Cette extension aux esclaves du sénatusconsulte Macédonien eût-elle été utile? a-t-elle eu lieu réellement? Nous allons examiner ces deux points:

1o A Rome, l'esclave faisait partie de cette classe d'individus que les jurisconsultes appellent incapables de droit, c'est-à-dire dont l'incapacité dérive de la loi elle-même, tandis que celle des incapables de fait,des infantes, par exemple, dérive de la force même des choses. Sur quelle base le droit civil avait-il établi cette incapacité de l'esclave? Sur cette donnée que l'esclave était une chose : ce n'était que par faveur pour le maître qu'on avait admis qu'il pourrait obliger les tiers envers son maître. Alors, dira-t-on, si l'esclave ne pouvait s'obliger, quel besoin y avait-il de lui appliquer le sénatusconsulte Macédonien? A cela, je réponds que l'esclave pouvait être à la tête d'un pécule; le prêteur avait recours sur ce pécule et,si l'argent emprunté n'avait pas tourné au profit du maître, ce qui était pris sur ce pécule, était autant de perdu pour le maître, le pécule étant au fond la propriété de ce dernier.

Je dois ajouter cependant qu'en fait on ne devait guère prêter d'argent aux esclaves, pour cette double raison : d'abord, c'est qu'ils n'en avaient pas, cela est évident, un aussi grand besoin que les filiifamiliarum; ensuite, parce qu'ils ne devaient trouver que bien peu de crédit; le filiusfamilias avait une succession à recueillir, succession dont la querela inofficiosi testamenti lui garantissait une partie; qu'avait l'esclave? L'espoir d'un affranchissement à une époque plus ou moins éloignée, et quelque legs peut-être à la mort de son maître.

Il n'était donc guère utile d'étendre aux esclaves le sénatusconsulte Macédonien, d'autant moins que le sénatusconsulte conduit à des résultats contraires à l'équité; la

nécessité seule peut en justifier l'application et, quoi qu'en dise Cujas, je ne crois pas à cette nécessité en ce qui concerne les esclaves.

20 Je ne pense pas, d'ailleurs, que la Constitution, à laquelle Cujas fait allusion, ait eu pour objet d'étendre aux esclaves le sénatusconsulte Macédonien. Supposons, en effet, pour un instant que cette Constitution ait eu un tel objet; elle devrait déclarer que, lorsqu'un individu aura prêté de l'argent à un esclave, il se verra privé de tout recours en remboursement de cette somme vis-à-vis du maître, sauf dans certains cas exceptionnels, ainsi que nous le verrons plus loin. Or, la Constitution des empereurs Honorius et Théodose ne dit rien de tout cela; elle vise simplement le cas où un individu ayant prêté de l'argent à un esclave, à un colon, à un régisseur, intente contre le maitre l'action quod jussu; elle veut que le demandeur prouve que l'emprunt a été fait sur le jussum formel du maitre; sinon, le maitre ne sera pas tenu de l'action quod jussu; mais le créancier pourra agir de peculio, en déduisant du pécule ce dont l'esclave, une fois ses comptes réglés, se trouve débiteur envers son maître. Je dis donc que cette Constitution n'empêche pas le maitre d'ètre en principe obligé par le prêt fait à son esclave, tandis que, d'après le sénatusconsulte, il ne serait pas obligé, en principe du moins.

Quant à l'esclave, ne pouvant, par suite de sa condition même d'esclave, être obligé que naturellement, le Macédonien, se fût-il appliqué aux prêts d'argent par lui contractés, n'aurait pas eu à refuser au créancier, au prêteur une action contre lui.

SIV

Contre qui le sénatusconsulte peut-il être invoqué?

Si le sénatusconsulte Macédonien peut être invoqué par les fils de famille seulement, le mot fils de famille désignant ici tous descendants ou descendantes, il doit pouvoir l'être contre toute personne qui leur a fait un prêt d'argent; peu importe que le prêteur soit ou non citoyen romain. Il faut seulement excepter de cette règle les pupilles et les mineurs de vingt-cinq ans, ainsi que nous le verrons plus loin en examinant les exceptions portées à l'application de notre sénatusconsulte. Le sénatusconsulte a, en effet, été établi in odio creditorum, et ce n'est pas parce qu'il est étranger ou citoyen romain que le créancier peut devenir plus ou moins intéressant; le sénatusconsulte repose sur un motif d'ordre public, cela devait suffire dans la législation romaine, comme cela suffit dans toutes les législations, pour qu'il s'imposât à tous citoyens ou étrangers. Si une cité avait prêté de l'argent à un fils de famille, celui-ci, nous dit Marcien (L. 15, de SC. Mac.), d'après un rescrit des empereurs Septime Sévère et Caracalla, pourrait se prévaloir du sénatusconsulte pour repousser la demande de la cité; je n'hésite pas à étendre cette décision à toutes les universitates, peuple romain, municipes, sociétés de publicains, collèges de prêtres, etc.: en un mot, à toutes les personnes morales, la cité n'étant ellemême qu'une universitas.

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