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LETTRE CCCXVIII.

M. LE TELLIER, ARCHEVÊQUE DE REIMS A M. L'ABBÉ BOSSUET.

A Dun, ce 31 juillet 1698, jeudi au soir.

On me mande de Paris que M. l'archevêque de Cambray a fait imprimer une réponse latine à la lettre que M. de Paris lui a écrite; et qu'il a fait aussi imprimer, sous le nom d'un docteur de Louvain, une réponse aux cinq écrits de Monsieur votre oncle, contenus dans un seul volume. On m'ajoute qu'il a envoyé tous les exemplaires de cette impression, et qu'on n'en peut trouver à Paris. Je vous prie de tout mon cœur de m'adresser par la poste, le plus tôt que vous le pourrez, un exemplaire de chacun de ces deux écrits.

Je vois comme vous que les partisans de M. de Cambray n'espèrent plus que dans la vieillesse du Pape : je prie Dieu de tout mon cœur qu'il conserve Sa Sainteté.

LETTRE CCCXIX.

BOSSUET A SON NEVEU.

A Meaux, 4 août 1698.

J'ai reçu votre lettre du 15 juillet c'est bien peu, d'avoir seulement dix-huit exemplaires de la Lettre pastorale de M. de Chartres. Je suis pourtant bien aise que vous les ayez reçus, et du bon effet que cet ouvrage produit à Rome. Je le ferai savoir à ce prélat, afin qu'il en envoie un plus grand nombre d'exemplaires.

Vous aurez bientôt la traduction italienne de ma Relation: j'en enverrai du moins cent exemplaires.

Les amis de M. de Cambray sont consternés; mais ils ne laissent point de répandre mille écrits secrets, où ils assurent que ce prélat répond à ma Relation, et qu'au reste quoi qu'il arrive, et quand même il seroit condamné à Rome, ce prélat reviendra à la

Cour plus glorieux que jamais. Ils osent compter sur la mort de trois ou quatre personnes, parmi lesquelles ils me mettent. C'est une chose inouïe que l'audace de ce parti, que des vérités si déshonorantes pour leur chef et pour eux-mêmes ne peuvent abattre. Tout ce que je vous marque est en termes formels dans leurs libelles manuscrits, qui se répandent sans nombre.

Vous pouvez tenir pour chose certaine que les prétendues intercessions des communautés pour M. de Cambray, et ce qu'on fait dire là-dessus au roi par M. le nonce, est chose inventée depuis le commencement jusqu'à la fin.

Si vous pouvez obtenir qu'on achève l'examen au commencement de septembre, on sera fort content de vous. En cas qu'il arrive quelque chose qui vise un peu droit à quelque accélération ou à quelque retardement, soyez-y bien attentif et faites-le-moi savoir par courrier exprès : ayez aussi l'attention de m'envoyer les réponses de M. de Cambray aux faits, comme je vous l'a déjà mandé.

La réduction des trente-huit propositions aux sept chapitres (a) est fort bien. Il sera aisé d'y réduire celles qui ont été omises, et qu'il faudra ajouter.

Il est certain que la Relation a eu un effet si prodigieux, que ceux qui s'intéressent à M. de Cambray, ont été forcés de renoncer non-seulement à Madame Guyon, mais encore à luimême, pour contenter le roi qui eût fait un coup d'éclat. Il y a sur cela jalousie contre moi (b).

Le P. Dez a eu audience.

On a écrit ici que le Pape a parlé fortement dans la congrégation, en disant: ch'era una vergogna, qu'on devoit avoir honte de parler si longtemps; qu'il avoit été interrompu par le cardinal de Bouillon, qui vouloit lui faire donner audience au P. Philippe, lequel attendoit son ordre à ses pieds; et qu'il avoit repris son

(a) On peut voir cette réduction dans le Projet présenté aux consulteurs pour abréger l'examen du livre de M. de Cambray; projet que nous avons donné comme note à la lettre CCXCI, p. 457.- (b) La jalousie dévoroit avant tous les autres M. de Noailles. M. de Noailles, archevêque de Paris, cardinal, etc., etc. auroit voulu l'emporter sur Bossuet par le talent comme il l'emportoit par la naissance, par les richesses, par les honneurs, par l'autorité, etc.

discours contre le cardinal avec aigreur. C'est Monseigneur Giori qui l'écrit ici à M. le cardinal d'Estrées (a).

J'ai vu entre les mains de M. le cardinal de Janson une longue et admirable lettre de M. l'abbé Péquigni, qui définit M. de Cambray par ces mots : Un quietismo soprafino, un fanatismo stravagante, un pedantismo cicanoso. Je juge par une lettre du P. Estiennot à M. l'archevêque de Reims, que ce Père prend mal l'affaire et ma Relation, dont il a vu la moitié. Ainsi, sans lui montrer de défiance, il faut ou le redresser, ou marcher avec lui bride en main. Peut-être aussi n'ose-t-il pas parler ouvertement par lettres; mais tout ce qu'il écrit est foible. Il ne faut pas qu'il sache que M. de Reims me communique toutes les lettres qu'il reçoit de lui. Ce prélat est en visite et va à Metz, dont il s'approche d'une journée en visitant.

LETTRE CCCXX.

M. DE NOAILLES, Archevêque DE PARIS, A L'ABBÉ BOSSUET.

Ce 4 août 1698.

Je ne pus vous écrire la semaine passée, Monsieur, parce que j'étois en visite : je priai le P. Roslet de vous en faire mes excuses. J'ai reçu votre lettre du 15 : j'y vois avec plaisir que les choses commencent à aller un peu plus vite, et qu'on est résolu à suivre votre projet. C'est le meilleur en toutes façons; et j'ai

(a) Voici comment l'abbé Phelippeaux raconte ce fait dans sa Relation; part. II, p. 107: « Le jeudi 26 juin se tint la quatorzième congrégation... Le cardinal de Bouillon reçut une terrible mortification. Le P. Philippe étant à genoux devant le Pape pour commencer son discours, Sa Sainteté dit qu'il étoit honteux de perdre le temps à des contestations et des disputes inutiles; qu'il vouloit que chaque consulteur se contentât de dire les choses essentielles, et volât d'une manière courte et précise, sans chercher tant de détours. Le cardinal de Bouillon qui vouloit empêcher l'impression que pouvoit faire le discours du Pape, l'interrompit en disant: Padre santo, ecco Padre Philippo chi aspetta per votar ; « Saint Père, voici le P. Philippe qui attend pour voter, » c'est-à-dire pour parler. Le Pape ne faisant pas semblant d'entendre, le cardinal réitéra la même chose. Alors le Pape lui dit tout en colère: « C'est à Nous à parler; ce n'est ni à vous ni au Père: Nous voulons parler, et Nous voulons que cette affaire soit bientôt finie. » La plupart des cardinaux ne furent pas fâchés de voir le cardinal de Bouillon mortifié. »

toujours proposé, pour éviter la longueur qui étoit inévitable autrement, de prendre ce parti. Il faut s'attendre que la cabale le troublera encore, si elle peut. Comme elle n'a rien à espérer que par le retardement, elle ne manquera pas d'y travailler toujours avec la même force; mais j'espère que vous ne travaillerez pas moins à l'empêcher, et que vous en viendrez à bout à la fin.

L'opinion de l'archevêque de Chieti est trop douce; mais comme elle est différente de celle des gens qui justifient absolument le livre, elle pourra vider le partage. Ceux qui veulent qualifier les propositions étant uniformes, ils l'emporteront; du moins c'est la règle.

J'ai envoyé votre paquet à M. de Chartres. Son ouvrage est trèsbon je suis bien aise qu'il soit approuvé à Rome. Il a tort de ne vous avoir pas envoyé un plus grand nombre d'exemplaires, et M. de Meaux de vous faire tant attendre les dernières feuilles de sa Relation; je ne doute pas que vous n'ayez tout reçu présentement.

C'est beaucoup que la disposition intérieure des cardinaux soit bonne. Continuez à la bien cultiver, et prenez garde aux coups fourrés vous pourrez bien en essuyer quelqu'un avant que l'affaire finisse.

J'engagerai encore le roi à parler au nonce comme il faut : nous sommes sûrs de l'un et de l'autre. Nous n'avons rien à craindre que de votre Cour, et du cardinal de Bouillon plus que de per

sonne.

La nouvelle des Jésuites est fausse : il n'est point vrai que les communautés de Paris aient sollicité M. le nonce en faveur de M. de Cambray; mais il est bien certain que si elles l'avoient fait, on les auroit fait agir.

Je ne vous dis plus, Monsieur, combien je suis à vous je vous en crois bien persuadé; vous me feriez tort si vous en doutiez.

LETTRE CCCXXI.

L'ARRÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET.

Rome, ce lundi 4 août 1698.

Ce n'est pas sans difficulté qu'on a recouvré un exemplaire de la réponse de M. de Cambray à la lettre de M. de Paris, qu'on a pris soin de tenir secrète. On ne l'a distribuée qu'à quelques cardinaux, et on les a priés de ne pas la communiquer. M. de Chanterac en a refusé à plusieurs personnes de ses amis, et s'est contenté de leur en promettre dans la suite du temps. La lettre est imprimée sans nom de ville et de libraire. Nous l'avons écrite dans une nuit, étant obligés de rendre le lendemain l'exemplaire.

Il seroit bon de nous envoyer copie de tous les actes qui regardent Madame Guyon; car M. de Cambray brouillera tout, et confondra les dates: il pourra même avancer des faussetés qu'on ne seroit pas en état de détruire, si on n'avoit pas des copies fidèles. Je serois bien aise d'avoir le Cantique des Cantiques de Madame Guyon, et le livre du P. Malebranche sur l'amour de Dieu : ce courrier pourroit les apporter.

Mercredi dernier on commença à voter sur les six propositions qui regardent les épreuves. Alfaro parla une heure et demie, quoiqu'on eût donné ordre d'être court. Monsieur l'abbé vous mandera toutes les démarches qu'on fait pour sauver la personne de M. de Cambray, et n'en venir qu'à la prohibition du livre: mais les plus sensés n'entreront jamais dans ce sentiment.

Je vous envoie une relation de ce qui s'est passé en Espagne, qui vous fera horreur. Il court ici une lettre de M. le cardinal le Camus au sujet de Madame Guyon, qui prétendoit se prévaloir d'une lettre de recommandation qu'il lui avoit donnée pour M. le lieutenant civil, sous prétexte d'un procès qu'elle disoit avoir. Il y parle d'une fille, nommée Cateau Barbe, qu'il dit avoir révélé d'étranges mystères. Si j'avois eu le temps, je vous l'aurois transcrite; mais apparemment vous l'avez. Ni vous, ni M. de Chartres n'avez révélé le fait de Saint-Cyr, qui seroit pourtant très-impor

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