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MISSION

D'ÉTUDES

en Extrême-Orient

MM. les administrateurs Lacaze et Guyon, chargés, au début de l'année 1900, d'une mission d'études documentaires et pratiques en Extrême-Orient, ont rédigé un premier compte-rendu sommaire de leurs enquêtes, dont les résultats sont ci-dessous consignés :

La mission avait particulièrement à se préoccuper de l'étude des questions suivantes :

1° Systèmes politique, administratif et économique pratiqués à Ceylan el à Java, particulièrement en ce qui a trail à la colonisation et à l'administration indigène;

2° Recrulement de main-d'œuvre en Extrême-Orient ;

3° Agriculture tropicale.

Ses investigations devaient porter, dans ce but, sur Ceylan, Java, les Indes anglaises et néerlandaises, les côtes de Chine et le Japon.

Partie de Marseille le 31 décembre 1899, la mission arriva à Colombo le 15 janvier 1900. Elle se présenta aussitôt à l'agent consulaire de France, M. Labussière, qui s'empressa de l'introduire auprès de sir Ridgeway, gouverneur de la colonie. Ce haut fonctionnaire voulut bien, pour faciliter ses enquêtes, l'accréditer auprès des chefs de province et de service.

D'autre part et grâce à l'obligeant intermédiaire de M. Labussière, la mission put se mettre en relations avec les notables chefs d'entreprises, industriels, commerçants et planteurs.

C'est ainsi qu'elle a visité en détail, à Colombo, les douanes, les magasins généraux et autres, les entrepôts publics et privés, les services du port, plusieurs établissements commerciaux et des ateliers et usines d'industries agricoles ayant pour objet, notamment, la dessiccation du thé, la fabrication du coir, celle de l'huile de coco, la préparation d'engrais chimiques, etc.

En de fréquents entretiens avec les chefs des grands services de la colonic agriculture, forêts, topographie, douanes et avec certaines notabilités du pays, MM. Lacaze et Guyon ont tenu à s'initier, aussi complètement que possible, aux principes et aux détails de l'organisation du pays. Ils se sont, en outre, efforcés de se rendre compte sur place du fonctionnement de l'administration provinciale en se rendant à Kandy, le principal centre indigène et agricole de Ceylan ; ils y ont observé l'organisation des services généraux du chef-lieu, le fonctionnement de l'administration indigène, l'application du régime des concessions de terres ; la mission a, en outre, visité la station agronomique sise aux environs de Kandy, à Peradeniya, et diverses plantations privées. Ces dernières visites, particulièrement intéressantes, lui ont permis de pénétrer, directement et en détail, l'organisation des plantations, le genre de vie et l'état d'esprit du planteur anglais, de se rendre compte des relations existant entre producteurs et commerçants. entre patrons et employés, et surtout de la valeur pratique de la main-d'œuvre

hindoue, qui, avec l'esprit d'initiative persévérante et d'association des colons britanniques, assure la prospérité de Ceylan.

Cette prospérité ne s'est pas affirmée sans de longs et rudes efforts.

L'histoire de la colonisation anglaise à Ceylan montre les vicissitudes par lesquelles sont passés les planteurs britanniques depuis la date, déjà lointaine. où, en 1825, se créait la première plantation de cafeiers jusqu'à l'époque actuelle, « l'ère du thé », féconde aujourd'hui, et depuis quelques années, en résultats rémunérateurs.

La vitalité agricole de l'île a eu à triompher, après vingt années de succès qui paraissaient devoir encourager toutes les ambitions, aussi bien des consequences d'une terrible crise financière survenue dans la Métropole et aggravee dans la colonie par la spéculation sur les rendements futurs, trop hardiment escomptés, que, naguère, du fléau des maladies cryptogamiques.

Habiles autant que persévérants à suivre les mouvements des marchés extérieurs, les planteurs de Ceylan ont su prévoir, précisément quand il le fallait, les débouchés avantageux offerts par une consommation grandissante, aux produits de la culture du théier; mais, instruits par l'expérience et dociles à suivre ses leçons, ils tendent maintenant à renoncer au système de monoculture qui avait prévalu pendant « l'ère du café»; tout en augmentant les plantations de thé, qui couvrent aujourd'hui une superficie d'environ 364.000 acres (147.000 hectares), ils se préoccupent, par des enquêtes sur les principaux marchés da monde, par des études expérimentales, de la création de nouvelles ressources agricoles.

L'esprit d'association auquel il vient d'être fait allusion se traduit par une institution d'une remarquable utilité pratique. Il s'agit de l'association des planteurs de Ceylan [Planters' Association of Ceylon], dont le comité a, dans ses attributions, l'étude de toutes mesures susceptibles d'améliorer les conditions de production et de faciliter, au moyen d'agences, sur les principaux marches, le placement à l'étranger, dans les conditions les plus avantageuses, des produits de la colonie; elle se préoccupe aussi de faire connaître à l'administration les desiderata des planteurs; bien qu'elle n'ait aucun caractère officiel, qu'elle soit uniquement une association privée, ses communications n'en sont pas moins accueillies avec intérêt par le représentant de la Reine, qui, le plus souvent, n'a point de peine à leur donner satisfaction, aucune question n'étant portée devant l'administration de la colonie sans avoir été l'objet, soit de la part du comite, soit en assemblée générale, d'une étude approfondie. Grâce à l'obligeance du secrétaire du comité, M. Philips, la mission a pu obtenir des renseignements détailles sur l'organisation et le mode de fonctionnement de cette société ; celle-cì, d'origine déjà ancienne sa création, due à l'initiative privée, remonte, en effet, à 1854, a rendu et rend encore à la colonisation agricole les plus sppréciables services.

En outre des questions économiques qui rentraient plus particulièrement dans le cadre de ses travaux, la mission n'a pas négligé l'étude de l'administration générale de l'enseignement privé, en totalité confessionnel, de l'enseignement officiel, à tous ses degrés; de l'organisation judiciaire, ainsi que de l'assistance publique, qui se manifeste par l'hospitalisation, un régime spécial étant, à cet égard, prévu pour les coolies des planteurs, fait que la mission a pu observer en visitant les hôpitaux spécialement installés dans ce but.

M. Prudhomme, s'occupant plus particulièrement des questions techniques agricoles, a visité plusieurs plantations de théiers et d'importantes cultures de cocotiers, aux environs de Colombo, de Negondo, de Kandy et de Nuvara Eliya; il s'est documenté, aussi complètement que possible, sur l'organisation des ateliers de dessiccation du thé et des usines de préparation du coïr, de l'huile de coco, du coco desséché, etc.

Sans entrer dans des développements que ne comporte pas le cadre néces sairement restreint de ce rapport sommaire, il est intéressant de signaler, des maintenant, l'importance de la culture du cocotier à Ceylan et ses remarquables résultats au point de vue, tant de l'accroissement des ressources de la population

indigène de la zone côtière que du développement de l'industrie et du commerce européens: sur une superficie de 700.000 acres environ [283.220 hectares] occupées par cette culture, 600.000 appartiennent aux indigènes, qui ont pu s'y insfaller sans entraves, moyennant seulement le paiement, stipulé en principe, d'une légère redevance qui, en fait, le plus souvent, n'a pas été exigée, le gouvernement britannique s'étant borné à admettre purement et simplement la Tongue possession effective. Les colons britanniques ont, de leur côté, reconnu sans difficulté l'intérêt qu'ils avaient à ne point s'élever contre ce droit d'occupation du sol accordé aux Cinghalais et à voir, au contraire, la culture du cocotier prendre de plus en plus d'extension, tandis que les efforts de la colonisation se portaient surtout sur la culture du caféier à l'origine, plus tard sur celle du théier dans les hautes et moyennes régions de l'île.

Ainsi, l'élément autochtone et l'élément européen se sont juxtaposés sans gène réciproque, l'un fournissant à l'autre, comme par un accord tacite, la matière première à transformer en coprah, en huile, en coco desséché pour l'alimentation, en poonac (fumure), en coir pour la fabrication de fibres, cordages, etc. Les Cinghalais eux-mêmes ont établi des moulins à huile, dont il existe notamment un grand nombre à Colombo. Mais l'industrie européenne n'a pas eu à lutter, de ce fait, contre une concurrence, c'est à elle que viennent tous les produits de la culture et tous ceux d'une manipulation imparfaite; les conséquences bienfaisantes de cet état de choses peuvent se résumer dans le simple énoncé d'un chiffre : l'exportation à laquelle donne lieu la culture du cocotier à Ceylan se traduit par une valeur de plus de 800.000 livres sterling (vingt millions de francs).

sur la

Les analogies constatées entre Ceylan et Madagascar, tant au point de vue agricole que sous le rapport da climat, permettent d'espérer que la culture du théier et celle du cocotier pourraient prendre un important développement dans notre grande ile africaine; elles rendent particulièrement intéressantes toutes les études qui s'y rattachent. M. Prudhomme a également visité et étudié en détail la station agronomique de Peradeniya, déjà mentionnée précédemment, ainsi que les jardins d'essais d'Hatgala et d'Haneratgoda, où l'on poursuit, depuis plus de vingt ans, de très intéressantes expériences culture des plantes à caoutchouc. Il n'a pas négligé non plus l'étude des cultures secondaires, de celle du cannelier en particulier. Cette dernière, quoique beaucoup moins importante que la culture du cocotier et du théier, présente pourtant un réel intérêt pour la côte est de Madagascar. La mission s'est mise, d'autre part, en relations avec les principales maisons grainières et plusieurs fabricants de machines agricoles spéciales, afin de pouvoir, le cas échéant, indiquer aux colons les moyens de se procurer à bon compte des semences et des instruments qu'il est pour ainsi dire impossible, à l'heure actuelle, de trouver en France dans des conditions avantageuses.

A Java comme à Ceylan, la mission s'est attachée à se documenter aussi complètement que possible sur les questions économiques : régime des douanes, des concessions de terre, etc. L'étude des très importantes questions d'administration qui, dans cette colonie à indigènes, se présentent nombreuses, devait solliciter son attention d'une manière spéciale. Cet intérêt s'explique par la très vraisemblable communauté d'origine manifestée par des analogies de race et d'idiomes que l'on retrouve entre les populations malayo-javanaises et celles des régions centrales de Madagascar.

Le soin avec lequel les Hollandais se sont efforcés d'ordonner les multiples particularités de cette administration a amené la mission à entrer dans l'étude minutieuse des détails, pratiques aussi bien que théoriques, dont l'exposé figurera dans le rapport d'ensemble qu'elle prépare.

La mission, partie de Ceylan le 1er février et arrivée à Java le 9 du même mois, fut mise en relations par M. Belin, consul de France à Batavia, avec le Secrétaire Général du Gouvernement Général, et les chefs des grands services;

elle fut reçue aussi par le Gouverneur Général, M. le lieutenant-général Rooseboom, qui voulut bien désigner un de ses fonctionnaires, M. le contrôleur VaÐ Rinsum, pour l'accompagner et faciliter ses enquêtes dans la colonie, en même temps qu'il la recommandait aux chefs de province et de service dans les principaux centres. Ces attentions bienveillantes témoignent de la sympathie des autorités des Indes Néerlandaises à l'égard de la mission française; elles méritent d'être particulièrement signalées.

La mission tenait à prendre tout d'abord, au cœur même de l'admini tion du pays, une vue d'ensemble des principales questions qu'elle avait à étudier, pour se livrer ensuite sur place au travail de documentation de détai! et d'observation pratique le plus susceptible de lui fournir d'utiles résultats.

Dans ses premières entrevues avec les chefs d'administration à Batavia, elle se renseigna sur l'organisation générale et le fonctionnement des institutions de la colonie, en même temps qu'elle puisait, auprès des notables chefs d'entreprise, des informations sur la vie et le mouvement économiques.

Des questionnaires détaillés furent ainsi dresses et remis aux autorités et notabilités compétentes, qui ont apporté, à y répondre, un empressement auquel la mission tient à rendre hommage avec gratitude. Ces questionnaires porterent principalement sur l'agriculture, les travaux publics, le régime des terres et la colonisation (domaines, conservation foncière, topographie et cadastre, forêts, douanes), l'administration générale et indigène, l'administration financière; en ce qui concerne particulièrement la justice, sur l'organisation de tribunaux indigènes; sur l'instruction publique (enseignement indigène), le cultes (enseignement confessionnel), sur les travaux (irrigations), les mines, le service de la vaccine, etc.

Après ce travail préliminaire, il restait à la mission à observer sur place les types les plus complets des institutions, services, établissements officiels, industriels, agricoles, dont le fonctionnement pouvait lui permettre d'apprécier pratiquement les résultats de l'organisation administrative, politique et économique de la Colonie.

Dans un pays à races multiples tel que Java, la mission tenait à déterminer la mesure dans laquelle il était tenu compte des différences locales et la variabilité des procédés adaptés avec souplesse à des milieux différents. Il y a lieu d'indiquer tout de suite qu'une des caractéristiques de l'administration hollandaise est d'avoir discerné les avantages d'une politique particulariste, tant en ce qui concerne les indigènes, que l'établissement des Européens dans des pays à physionomie variable, tels que les provinces d'administration directe de diverses races et les pays de protectorat que comprend encore la colonie de

Java.

La mission a donc répété les démarches et enquêtes que comportait le programme de ses recherches, de manière à « échantillonner» en quelque sorte des types d'administration provinciale, d'établissements agricoles et industriels dans les régions correspondant aux grandes divisions ethniques et politiques de Java, Java central, Madera, Soenda, sultanats; même en ce qui concerne les institutions ou administrations complètement unifiées telles que les douanes, les forêts, l'enseignement, l'hospitalisation, la mission a juge utile de voir plusieurs exemplaires des mêmes établissements.

C'est ainsi qu'elle a visité les provinces de Batavia et des Préangers, en pays soendanais, de Djockjakarta et de Sorakarta ou sultanats de Java central, de Kederi et de Semarang, en pays javanais d'administration directe, de Socrabaya et de Pasœrcan en pays maderais. Parmi les questions qui ont tout spécialement sollicité son attention en raison des particularités qu'elles présentaient, la mission doit signaler les suivantes :

Le régime des terres, l'organisation du cadastre et le système de l'impôt foncier (landrent), intimement liés entre eux;

L'administration indigène, à tous ses degrés, dans son fonctionnement propre et dans ses rapports avec les autorités provinciales hollandaises; l'étude de cette administration a été poursuivie et dans les grands centres, chefs-lieux de

provinces, auprès des résidents et des régents indigènes, et dans les districts, sous-districts et villages, où la mission a tenu à entrer dans le détail des relations directes des chefs avec leurs administrés et de leurs attributions multiples. C'est aussi dans les centres ruraux qu'elle pouvait le mieux recueillir l'impression exacte du degré de prospérité des populations, c'est-à-dire des résultats du régime d'administration auquel elles sont soumises;

Les écoles indigènes spéciales aux fils des chefs indigènes et destinées à former les futurs fonctionnaires javanais en tenant compte des divisions ethniques de l'ile;

Le système des cultures gouvernementales, soit imposé aux indigènes pour les plantations de caféiers, soit pratiqué directement par l'administration pour des plantations de quinquina à haut rendement qui présentaient un remarquable intérêt, en ce qu'elles constituent l'application pratique, dans les hautes régions de Java (province des Préangers), des résultats obtenus, à la suite de longues expériences, par le savant docteur Treul, directeur de l'incomparable station agronomique de Buitenzorg;

Le fonctionnement des tribunaux indigènes, tribunaux correctionnels et tribunaux administratifs de police; la mission a pu, en assistant à plusieurs audiences dans les divers centres, saisir sur le vif l'application des principes qui président à la distribution de la justice indigène ;

Le mode d'attribution des terres aux planteurs et aux sociétés de colonisation, l'organisation des exploitations agricoles, l'emploi de la main-d'oeuvre et la répartition des cultures dans les diverses zones de l'ile, théiers et caféiers dans les régions montagneuses, cacaoyers dans les zones intermédiaires, canne à sucre, indigo, tabac dans les vallées et les plaines, pour ne citer que les principales;

Le système des irrigations, porté à un haut degré de perfection, notamment. dans les régions est de Java, où il contribue à la prospérité de la population indigène aussi bien qu'à celle des entreprises sucrières européennes, en corrigeant les irrégularités du climat. La mission a réuni sur cette question des indications très complètes, après avoir visité en détail les principaux travaux d'irrigation effectués par l'administration hollandaise.

En étudiant le rendement de la main-d'œuvre, les conditions les meilleures de son utilisation, la mission a été amenée à envisager l'opportunité de recruter en pays javanais, où la population est très dense, des travailleurs pour Madagascar, et éventuellement pour d'autres colonies françaises.

M. Prudhomme a pu trouver à Java, grâce à la diversité des cultures qui y sont entreprises, de nombreux documents utiles à recueillir pour la mise en valeur de Madagascar. Son attention s'est particulièrement portée sur l'organisation de l'institut agronomique de Buitenzorg et sur l'installation du jardin d'essais de Tjikeumeuh, des stations agronomiques de Klaten et de Pascerœan. En visitant, en outre, un grand nombre de plantations dans les diverses parties de l'ile, M. Prudhomme a pu réunir de très utiles indications techniques et pratiques sur les cultures suivantes :

1o Dans la province des Préangers, culture des quinquinas à haut rendement, qui pourra sans doute être entreprise avec succès à Madagascar, dans les régions humides situées à plus de 1.200 mètres d'altitude;

2o Dans la même province, culture du théier, qui prend en ce moment une extension considérable à Java;

3o Dans les provinces des Préangers, de Pasorœan et de Kederi, culture du caféier, dont on aurait tort de désespérer à Madagascar ;

4° Culture de la canne à sucre, qui donne encore d'excellents résultats dans es Indes Néerlandaises, grâce à l'existence d'une main-d'œuvre abondante et eu coûteuse ;

5° Cultures de l'indigo et du tabac, qui pourront vraisemblablement être pratiquées avec succès à Madagascar, en assolement avec celle du riz;

6° Culture du cacaoyer, appelée à prendre une grande extension sur la côte orientale de la Grande Ile ;

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