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succès de Charles IX, fut la Mort de Molière, comédie en trois actes et en vers, dont la première représentation eut lieu le 19 novembre.

Cette pièce, imprimée dès l'année 1788, avait déjà été représentée avec beaucoup de succès sur le théâtre de Valenciennes : il n'en fut point de même à Paris, où le public, juge en dernier ressort, ne confirme pas toujours les arrêts des beaux esprits de province.

La conduite de cette pièce ne fut trouvée nullement régulière: ce n'est ni un drame ni une comédie ; ce sont des scènes sans liaison, sans intérêt, et qui, par conséquent, ne pouvaient fournir trois actes.

L'auteur représente Molière dans le sein de sa famille, entouré d'une fille vertueuse, du jeune baron, son élève, d'une femme qu'il idolâtrait, et de son ami Chapelle, le plus ai

mable épicurien de son siècle. Le moment de l'action est celui où Molière, dangereusement malade, résiste aux prières de sa famille et de ses amis, joue le rôle du Malade Imaginaire, et succombe à un travail trop grand, guidé par ce noble sentiment qu'il ne voulait pas négliger un seul jour de donner du pain à ses camarades.

L'intention du chevalier de Cubières, auteur de cet ouvrage, était bonne, sans doute; mais le spectacle de Molière mourant indisposa le public, qui ne s'aperçoit que trop souvent de la perte de ce grand homme.

* Ce Cubières est mort depuis. Il était frère de celui qui se fait appeler Dorat. Nous ignorons si c'est un nom qu'il a pris, ou un sobriquet qu'on lui a dormé. Il était secrétaire de la commune de Paris en 1793: ces fonctions n'avaient rien d'anacréon

Nous ne pouvons nous empêcher de citer quelques vers de cette comédie, qui ne seront jamais mieux appliqués que dans les circonstances actuelles, où le franc, le vrai comique a fait place au genre fade et langoureux, que nos acteurs viennent grimacer sur la scène.

Chapelle a soumis au jugement de Molière une pièce remplie de cette métaphysique galante, dont, par la suite, Marivaux et ses imitateurs ont infectée le Théâtre Français, et voici ce que répond le père de la comédie :

• Encore de l'esprit, des traits vifs et brillans, « Des détails fins, légers, et des portraits saillans; « Un jargon de ruelle, un ton de persiflage, • Qui, sans doute, des sots obtiendra le suffrage: "Mais pas le sens commun, pas l'ombre de raison, «Et de grands sentimens, toujours hors de saison. Croit-il, mon pauvre ami, que pour la comédie L'esprit soit suffisant? Du bon sens, du génie, "Voilà, voilà, surtout, les dons qu'il faut avoir !

Tel qu'il est, en un mot, l'homme cherche à se voir,

« Et non tel qu'on l'a peint dans cette œuvre infidèle : "Qui manque la copie est sifflé du modèle:

« Je ne répondrais point que cet ouvrage-là « Ne réussît pourtant, qu'il ne plût; et voilà << Comme de beaux esprits, membres d'académies, << Quand je ne serai plus, feront des comédies. << Ils uniront ensemble et l'esprit et le cœur, « La nature et l'amour, la peine et le bonheur. << Leurs vers, tout hérissés d'antithèses pointues, << Rediront ce qu'ont dit, en phrases rebattues, « Visé, Balzac, Voiture et monsieur Trissotin, << Grands auteurs dont on sait le malheureux destin. « Voulez-vous réussir? peignez dans vos ouvrages ♦ L'homme de tous les tems, celui de tous les âges; « Dessinez largement: que de tous vos portraits, « A Paris comme à Londre, on admire les traits; < Aux peintres de boudoirs laissez la miniature, « Et soyez, s'il se peut, grands comme la nature. » On conviendra que Molière n'eût pas désavoué de tels préceptes ; et c'est pour ne les avoir pas suivis, en les recommandant aux autres, que le chevalier de Cubières vit tomber sa pièce, qui n'a pas été jouée depuis, et qui ne le sera probablement jamais.

Qui va se mettre sur les rangs pour consoler le public de la mort de Molière? quelle pièce comique va-t-on lui donner pour adoucir ses regrets? Le croirait-on! c'est un long drame espagnol de Calderone, traduit par Linguet, et arrangé pour la scène française; c'est le Paysan Magistrat, imitation de l'Alcade de Zalaméa, qui, six ans auparavant, avait déjà fourni un opéra en trois actes au théâtre Italien. Dans l'ouvrage de l'auteur espagnol, le capitaine (don Alvare) enlève et viole la fille du paysan Crespo. A l'instant où il est arrêté comme coupable, Crespo est élevé à la dignité d'alcade : comme père et comme juge, il peut venger par le sang l'injure atroce qu'il a reçue; mais, doué d'une ame aussi forte que juste, il propose à Alvare de réparer son honneur en épousant sa fille. Celui-ci, fier de sa naissance, repousse avec dédain les Tome I.

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