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de Barneveldt courut implorer la clémence de Maurice. Eh quoi! lui dit le prince, vous venez faire pour votre fils ce que vous avez refusé de faire pour votre époux! Je n'ai pas demandé grâce pour mon mari, répondit-elle, parce qu'il était innocent; mais je la demande pour mon fils, parce qu'il est coupable.

Lemierre a suivi presque littéralement la vérité historique. Le quatrième acte fut le seul qui produisit beaucoup d'effet. Barneveldt le fils s'est mis à la tête d'un parti, il pénètre dans la prison de son père pour le délivrer; mais ce vertueux magistrat le repousse comme un conspirateur, comme un rebelle : il est déterminé à faire aux lois le sacrifice de sa vie. Le jeune homme, au désespoir, lui propose, pour échapper du moins à la honte, de se donner

lui-même la mort, et tire en frémissant son poignard. Il dit :

Caton se la donna.

Socrate l'attend t

répond le vieillard. Ce trait fut couvert d'applaudissemens.

Barneveldt dit, en parlant de

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Pour réconcilier la terre avec les rois.

Malgré de grandes beautés de détails, l'ouvrage parut faible et languissant; il n'eut qu'un très-petit nombre de représentations, et n'a jamais été reprïs.

Le 14 juillet 1790, anniversaire de la prise de la Bastille, fut le jour de cette fameuse fédération où tous les Français, réunis par députations dans le champ de Mars, firent, sous les yeux du roi et de l'assemblée nationale, le serment, si mal observé," de s'aim er comme des frères, d'écra Tome I.

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ser les factieux, et de faire régner en France l'ordre et la paix. Tous les théâtres s'empressèrent de célébrer cette époque mémorable, et la comédie française donna, ce jour-là même, la première représentation du Journaliste des Ombres, ou Momus aux Champs-Elysées, pièce héroïnationale en un acte et en vers.

Le dieu de la gaîté, (Momus) chassé de l'olympe pour de mauvaises plaisanteries qu'il s'est permis de faire contre Junon, a résolu d'habiter désormais la terre, et de se fixer en France, son pays adoptif. Tout à coup la révolution éclate, et chacun court aux armes. Gela est beau, dit le dieu, mais cela n'amuse guère. Il cherche un autre séjour : partout les dégoûts et l'ennui le pour. suivent; enfin, il ne lui reste d'autre parti que de descendre aux enfers. Il raconte son histoire à Rhadamante, qui, à son tour, l'entretient

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dé ce qui se passe aux Champs-Elysées. Momus s'y établit journaliste, et fait part aux ombres des décrets les plus importans de l'assemblée nationale. Le maréchal Fabert Voltaire, Rousseau, l'abbé de SaintPierre et Franklin y applaudissent successivement, et y voient le développement des grands principes qu'ils ont proclamés. Voltaire et Rousseau sont fort étonnés d'avoir les mêmes sentimens, eux qui ont été en guerre toute leur vie ; mais la ; mort les a rendus plus traitables, et ils se réconcilient sincèrement.

Le cadre ingénieux de cette fiction prêtait à beaucoup d'allusions piquantes, et l'auteur (M. Aude) (*)

(*) Il était difficile de donner de plus hautes espérances que cet écrivain : doué d'une facilité prodigieuse, il était né pour devenir un de nos meilleurs auteurs comiques. Nous

ensut tirer ungrand parti.La pièce obtint le succès le plus flatteur : d'ailleurs, comment ne pas être sûr des suffrages du public, quand on lui présente les grands hommes qui ont illustré la France ? l'orgueil national applaudit, et l'auteur participe, en quelque sorte, à la gloire des héros qu'il a chantés. La pièce de M. Aude devait réussir devant les juges même les plus sévères, surtout quand elle fut dégagée de quelques longueurs qu'on avait remarquées à la première représentation.

Un des vers de l'ouvrage les plus applaudis fut celui-ci, adressé à Lekain, au sujet du décret qui rend aux comédiens l'état civil:

S'il eût vécu plus tard, il mourait citoyen.

ignorons quels motifs lui ont fait déserter les autels de Thalie, pour brûler son encens sur les tréteaux de la Folie.

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