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tôt en d'affreuses vociférations, porte l'épouvante parmi les femmes qui garnissent les loges, et en qui le sentiment de la peur est presque toujours moins fort que celui de la curiosité.

M. le maire de Paris, l'infortuné BAILLY, avait fait dire aux comédiens que, ne pouvant être à la fois juges et parties de Talma, il leur conseillait de jouer provisoirement avec lui, jusqu'à ce que la municipalité, étant entièrement organisée, pût statuer sur le fonds de l'affaire.

De si sages remontrances ne furent point écoutées, et l'obstination des acteurs ne fit que redoubler l'effervescence publique.

On attendait avec impatience le compte que les comédiens avaient promis la veille : enfin la toile se lève, un grand silence règne dans toute la salle Fleury, habillé de

noir, s'avance sur le bord du théâ tre, et s'exprime ainsi :

<< MESSIEURS,

«Masociété, persuadée que M. Tal<ma a trahi ses intérêts, et compro<< mis la tranquillité publique, a dé‹ cidé, à l'unanimité, qu'elle n'aurait plus aucun rapport avec lui, jus« qu'à ce que l'autorité en eût décidé. >>

Cette courte harangue fut applaudie par les uns, mais huée par le plus grand nombre. Le tumulte était à son comble lorsque Dugazon s'élance des coulisses sur la scène : Messieurs, s'écrie-t-il, la comédie va prendre contre moi la même délibération que contre M. Talma. Je dénonce toute la comédie : il est faux que M. Talma ait trahi la société, et compromis la sûreté publique ; tout son crime est de vous avoir dit

qu'on pouvait jouer Charles IX, et

voilà tout.

A ces mots, le désordre et le trouble éclatent de nouveau dans toutes les parties de la salle; les motions se croisent, des orateurs de clubs se disputent la parole; enfin la maison de Thalie devient tout à coup la dernière des tavernes.

Sulleau, rédacteur d'un journal du matin, s'efforce de ramener le calme, et, parodiant, d'une manière trèsbouffonne, le président de l'assemblée nationale, il donne la parole à l'un, s'écrie: à l'ordre! à l'ordre ! agite de toute la force de ses bras une énorme sonnette, et enfin se couvre lorsqu'il voit que tous ses efforts sont inutiles cependant, à force de débats, on finit par s'entendre, et le public exige la lecture de la délibé ration prise par la comédie française. Fleury se soumet à cet ordre;

mais la fermentation devenant encore plus violente, on est obligé d'appeler la force armée, et d'aller avertir le maire de Paris.

On devait jouer ce jour-là l'Ecole des Maris; mais Dugazon ayant disparu après sa brusque incartade. il fut impossible de continuer le spectacle, dans lequel ce nouvel incident occasionna encore un si grand bouleversement, que le théâtre fut escaladé de toutes parts, et les banquettes brisées en mille pièces : enfin, à onze heures du soir, la foule se retira en poussant des cris affreux jusqu'au Palais-Royal, où la scène allait devenir tragique si la garde ne fût accourue. M. le maire manda, le lendemain, toute la comédie, et lui ayant demandé compte de l'inexécution de ses ordres, les acteurs s'en excusèrent sur ce qu'ils leur avaient été mal rendus, et que leur

camarade Grammont était allé en informer les gentilshommes de la chambre.

M. le maire, piqué de cette injure faite à son autorité, la leur fit sentir avec douceur, et épuisa en vain tous les moyens de conciliation pour terminer cette affaire sans éclat.

On cessera d'être étonné de toutes ces scènes scandaleuses, lorsqu'on saura que la comédie française, placée entre la municipalité de Paris et les gentilshommes de la chambre, recevait des ordres diamétralement opposés, et que de vieilles habitudes, l'éclat de noms célèbres, et cet esprit de corps qui règne dans toutes les sociétés, rendaient à leurs yeux plus respectable le pouvoir qu'exerçaient de grands seigneurs que celui de simples plébéïens, à peine revêtus de la magistrature. Quoi qu'il en soit, un arrêt du con

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