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seil de ville enjoignit à MM. les comédiens français de jouer avec leur camarade Talma, et la délibération fut imprimée et placardée dans toute la ville.

M. Dugazon, qui avait manqué au public, et qui en avait déjà fait amende honorable dans les journaux, comparut aussi au tribunal de la commune : il dit qu'il ne cherchait point à pallier sa faute par quelques raisons qu'il lui serait facile d'alléguer ; qu'il avait déjà prouvé combien il en était affecté; qu'il était sincèrement affligé d'avoir manqué au public, et qu'il ne trouvait qu'une consolation dans sa faute, celle de témoigner son respect pour le conseil municipal et sa soumission à la loi.

Malgré ces excuses, le tribunal enjoignit à M. Dugazon d'être plus circonspect, et le condamna à rester chez lui pendant huit jours, ainsi

qu'aux frais de l'impression du jugement à cent exemplaires.

M. Chénier publia, à l'occasion de ces troubles, la lettre suivante :

Paris, 18 septembre 1790.

« Je n'étais point présent, messieurs, aux scènes qui ont eu lieu << ces jours derniers à la comédie << française; mais j'ai vu aujour* d'hui plusieurs anglais qui ont eu « le malheur d'en être témoins, et << qui n'en sont pas médiocrement « scandalisés. Si quelques personnes « du public demandent un acteur « qu'elles n'ont pas vu depuis long«tems, la plupart des comédiens « qui, n'aiment point cet acteur, « font crier non par leurs créatu«res jusque-là il n'y a rien que

de fort naturel. Les comédiens «osent l'accuser devant le public < avec un sérieux qui ne fait qu'aug

<menter l'extrême ridicule d'une pareille démarche, cela n'est pas en« core étonnant. Un comédien, qui << a conservé de l'amitié pour le « proscrit, vient le défendre avec * un zèle qui est au moins intéres« sant: il n'est rien là qui doive sur« prendre. Voici le singulier: on « permet aux comédiens de s'expli<quer devant le public, et l'on ne << permet point au public, qui paie, <<< de répondre aux comédiens: voilà «< ce que des étrangers avaient peine <à concevoir. Ils prétendaient qu'à

Londres ce n'est pas le public qui « doit obéissance et respect aux co<<médiens; mais les comédiens qui « doivent obéir respectueusement «« aux volontés du public. Ils pré<< tendaient encore que c'est une << chose étrange de maintenir l'ordre << avec des fusils dans l'intérieur des << spectacles: ils parlaient avec dé<<<rision de la liberté d'un peuple

qui se laisse entourer d'hommes « armés au milieu des plaisirs qu'il << vient payer: ils m'assuraient qu'en << Espagne même, et ce n'est pas << un pays libre, on n'avilissait pas <de braves soldats jusqu'à l'indigne << emploi de gêner la liberté publique, pour servir la haine ou la volonté des comédiens, ils affir<< maient, enfin, et je suis certain << qu'ils avaient raison, ils affirmaient, dis-je, que de pareilles << consignes ne pouvaient être ap< prouvées par des citoyens aussi < respectables que MM. la Fayette « et Bailly. Peut-être, en leur qualité « d'Anglais, n'ont-ils aucune idée << de la civilisation et de la vérita«ble liberté. En tout cas, si l'on « croit pouvoir réfuter leurs objec«tions, j'irai les revoir pour tâcher <de répliquer d'une manière con<< venable.

«

<MARIE-JOSEPH CHÉNIER,»

Il semble qu'après la délibération formelle du conseil de ville, tout doive être terminé; on se figure Talma rentré avec ses camarades, et on est persuadé que l'ordre est enfin rétabli qu'on se détrompe; l'amour-propre des comédiens ne cède pas si facilement: avant de capituler, il va soutenir encore un nouveau combat.

Après de longues discussions, les comédiens arrêtèrent unanimement qu'ils n'obéiraient point aux ordres du conseil de ville, et, traitant d'autorité à autorité, ils nommèrent deux commissaires chargés de notifier leur détermination aux officiers municipaux de Paris.

Cette espèce de rebellion fut trèsmal accueillie, et le 24 septembre 1790 parut une nouvelle délibération, que nous allons rapporter textuellement.

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