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à la carrière du théâtre ; il leur faut un courage surnaturel, et pour ainsi dire le dévouement de ce Romain qui se plongea dans un gouffre. Le trait suivant est une plaisanterie sans doute, mais nous ne pouvons résister au plaisir de le citer, et de donner un échantillon de la manière piquante dont l'auteur sait narrer,

«

On répète une de ses pièces, et tout à coup la répétition est interrompue pour examiner... Quoi?-Un chat! << Le nouvel acteur, paré d'une < belle fourrure blanche et d'une < queue bien touffue, se montre sur << un toit soudain l'assemblée est « en l'air... Minet, minet, minet. « Un tel, voici ta scène.-J'y suis.« Qu'il est joli! -A vous, mademoi<< selle. Que ses maîtres vont le

<< regretter!

A toi.

Oui, pour « mon beau rôle qui n'a pas vingt << lignes. Et le mien, qui a vingt

< pages; c'est bien pis! - Minet, mi

« net,minet.—Minet, bien plus heureux que moi, s'échappe. Enfin, << moitié chat, moitié fourrure, moi« tié queue, moitié rôle, on achève « la répétition: on se regarde, on se dit des épaules que ma pièce est « détestable, et je sors désespéré. »

Un peu d'humeur a sans doute exagéré cette narration, mais il n'en est pas moins vrai que la cause de Cailhava était extrêmement juste, et il est incroyable qu'on ait pu lui contester le droit le plus sacré.

Rien en effet de plus ridicule, nous dirons même de plus barbare, que la prétention d'acteurs qui, ne voulant pas absolument jouer un ouvrage, s'opposent même à ce qu'il soit représenté ailleurs, et forcent ainsi l'auteur à mourir de faim auprès de sa propriété. Que dirait-on d'un fermier qui laisse un terrein inculte, et qui refuse de le rendre au propriétaire,

jaloux de le faire valoir, et d'en toucher les revenus? (*)

La comédie française, en proie à des divisions intestines, ne montait aucun ouvrage nouveau; aussi la salle était-elle déserte, la caisse vide, et le public mécontent. Pour ajouter encore à ce désordre, à cette pénurie, mesdemoiselles Contat et Raucourt quittèrent le théâtre : des malins attribuèrent leur retraite au dépit de voir rentrer de force Talma dans la société, et une foule d'épigrammes, de sarcasmes grossiers furent lancés contre ces aimables actrices.

Ces deux dames ont beaucoup

(*) La comparaison est exacte, et si nous nous sommes un peu étendus sur cet objet, c'est que tout récemment (l'an X de la république) un autre théâtre a publiquement manifesté ces prétentions extravagantes.

trop d'esprit, pour que l'on puisse ajouter foi aux propos que répandit alors la malveillance, et nous ne pouvons concevoir comment elles ont été capables d'un enfantillage dont ne devraient pas être susceptibles des artistes qui comme elles, ont un juste sentiment des convenances et de la soumission dues aux autorités. Quelque fussent les raisons qui les déterminaient, leur retraite, ainsi que celle de mademoiselle Sainval, l'absence de Molé et Dazincourt, désorganisèrent entièrement cette société, qui touchait dès lors à une prochaine dissolution.

Mademoiselle Joly, excellente soubrette de la comédie française, voulut tenter un effort extraordinaire pour ramener la foule dans la salle, et l'argent dans la caisse : elle fit annoncer qu'elle jouerait incessamment le rôle d'Athalie dans la tra

gédie de ce nom, et cette bizarrerie mit bientôt en mouvement tous les oisifs de Paris. Un public innombrable se porta, le 23 octobre, à la comédie française: on avait fait sur mademoiselle Joly ces deux vers, qui n'offrent qu'un mauvais calembourg, mais qui préparaient à l'indulgence:

Si l'actrice Joly n'est pas bonne Athalie,
Le pis aller sera de la rendre à Thalie.

Cette actrice surpassa peut-être l'attente qu'on s'en était formée : une diction pure, beaucoup de no. blesse et de fermeté firent oublier la faiblesse de son organe et de son physique. La nature, en formant mademoiselle Joly, lui avait refusé cette force qui convient aux reines tragiques, mais elle lui avait donné, en revanche, cette grâce, cette finesse qui en ont fait une des premières soubrettes du théâtre sa tentative,

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