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a faire obtenir quelques représentations de plus à cette pièce.

Depuis long-tems une partie du public sollicitait vivement la reprise de Brutus, tragédie de Voltaire, et les comédiens se rendirent enfin à ses vœux le 17 novembre 1791. La crainte que cette représentation ne fût très-orageuse détermina les of ficiers municipaux de Paris à prendre des mesures de sûreté, et on lut l'annonce suivante sur les affiches, pour la première fois :

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Conformément aux ordres de la municipalité, le public est prévenu l'on entrera sans cannes, bâ

aucune es

« que
<tons, épées, et sans
pèce d'armes offensives. »

La tragédie de Brutus n'eut qu'un faible succès dans l'origine; elle obtint avec peine seize représentations, et encore ne furent-elles pas très-suivies la raison en est assez facile à concevoir les Français n'étaient pas

alors assez familiarisés avec le républicanisme farouche qui étouffe les plus douces affections de la nature, et qui engage un père à envoyer froidement son fils à l'échafaud; d'ailleurs, les sentimens de haine contre la royauté, que respire cet ouvrage, ne pouvaient que repousser un peuple idolâtre de ses monarques, et qui, heureux et paisible sous un gouvernement modéré, ne songeait point encore à s'embarquer sur la mer orageuse des révolutions, En 1792, les esprits étant disposés d'une toute autre manière, le levain révolutionnaire com mençant à fermenter avec force, l'ouvrage produisit une très-grande sensation, et le public trouva sublimes des maximes qui, vingt années

avant, lui avaient fait horreur. Cette représentation fut extrêmement tumultueuse le public ayant aperçu MM. de Mirabeau et de Menou, députés célèbres de l'assemblée consti

:

tuante,les couvrit d'applaudissemens, et le premier étant placé aux troisièmes loges, une députation du parterre alla l'inviter à descendre aux galeries, pour que chacun pût le contempler à son aise.

La toile fut à peine levée, que l'on applaudit les maximes révolutionnaires avec transport; quelques sifflets s'étant fait entendre le parterre s'écria avec force: A bas les aristocrates! à la porte! à la porte! Le moment le plus remarquable de cette représentation fut celui où l'on prononça cet hémistiche. Vivre libre et sans roi. Un grand silence ne fut interrompu que par quelques applaudissemens honteux; mais tout à coup les loges se levèrent spontanément, en s'écriant: Vive le roi! et ce cri retentit à l'instant dans toutes les parties de la salle; les chapeaux, les mouchoirs furent agités; en un mot, l'enthousiasme public se ma

nifesta de la manière la plus touchante.

Après la pièce, le parterre ayant demandé à voir le buste de Voltaire, tous les acteurs s'empressèrent d'aller le chercher dans le grand foyer, et l'apportèrent sur le théâtre, au milieu des applaudissemens et des cris de vive Voltaire! Comme il était impossible que ce buste tînt solidement sur un théâtre qui va en pente, et que le public voulait constamment l'avoir sous les yeux, deux grenadiers le soutinrent pendant tout le tems que dura la Feinte par Amour.

La seconde représentation attira encore un concours nombreux da spectateurs on avait placé sur chaque côté du théâtre les deux bustes de Brutus et de Voltaire: au lever de la toile, un papier ayant été jeté des loges, M. Vanhove le ramassa, Tome I.

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éclatantes de sa satisfaction. Mademoiselle Devienne était d'autant mieux placée dans ce rôle, qu'elle a une très-jolie voix, et qu'elle chanta le duo et les airs de Dezède avec toute la perfection d'une actrice attachée à un théâtre lyrique.

FIN DU TOME PREMIER,

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