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succès, et partagea les applaudissemens prodigués à son mari.

Lorsqu'après trente ans de travaux glorieux, un artiste reparaît sur la scène, rien de plus naturel, de plus juste, selon nous, que les marques de considération, d'enthousiasme même qu'il reçoit d'un public dont il fit long-tems les délices : loin de penser, à cet égard, comme un critique, plus souvent partial que juste, et qui regarde les honneurs rendus à l'artiste comme un signe certain de la décadence de l'art, et de la dégradation des mœurs, nous croyons, au contraire, que ces témoignages de bienveillance honorent également et l'artiste célèbre qui les reçoit, et le public reconnaissant qui les donne.

Préville joua successivement dans le Philosophe sans le Savoir, la Surprise de l'Amour, le Mercure Ga lant, Amphytrion, et toutes ces repréTome II.

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sentations furent pour lui de nouveaux triomphes.

Ce théâtre, qui possédait encore les Molé, les Fleury, les Dazincourt, les Contat, les Devienne, etc., avait pour la comédie une très-grande supériorité sur celui de la rue de Richelieu, qui, de son côté, montait la tragédie avec la plus grande magnificence.

Celle qui avait pour titre la Vengeance, et qui fut jouée, pour la première fois, le 26 novembre 1791, n'obtint qu'un très-faible succès. Zanga, prince maure, fait prisonnier par Alonzo, qui l'a privé d'un père et du trône, et lui a fait essuyer l'affront le plus sanglant, médite une horrible vengeance: Alonzo est jaloux, et son ami dom Carlos, qu'on a cru mort, et pendant l'absence duquel il a épousé Rozanne, son amante, dom Carlos, délivré en secret de sa captivité par les soins de

cette même Rozanne, et par l'entremise de Zanga, revient mettre le comble à ses fureurs jalouses.

Les perfides insinuations de ce farouche guerrier, sa cruelle adresse, ses accusations positives égarent le malheureux Alonzo, qui fait poiguarder dom Carlos, et empoisonner Rozanne.

Lorsque ce double crime est consommé, l'affreux Zanga, dont la vengeance est satisfaite, vient révéler à Alonzo que sa femme et son ami sont innocens, et lui reproche sa crédulité avec la plus sanglante raillerie: Alonzo, désespéré, se perce do son poignard, et la pièce se termine. Il était difficile de traiter un pareil sujet après Zaïre, et Othello de Shakespear: dans la nouvelle tragédie, aucun personnage n'intéresse, et celui d'Alonzo, qui pouvait être théâtral, n'inspire pas la moindre pitié, Ces alternatives, ces combats

de fureur et d'amour, si beaux, si touchans dans Orosmane, ne sont ni marqués, ni gradués dans Alonzo, et telle est sans doute la cause à laquelle on doit attribuer la disgrace de cet ouvrage, qui, d'ailleurs, était assez purement écrit, et dont l'auteur ne fut pas nommé.

Ce fut à cette époque que Laharpe fit représenter son drame de Mélanie: il fut joué, pour la première fois, le 7 décembre 1791, sur le Théâtre de la République.

Cet ouvrage, composé dans l'ancien régime, c'est à dire dans un tems où l'auteur s'honorait du titre de philosophe, n'avait point encore subi l'épreuve du théâtre: la manière violente avec laquelle il attaque les institutions religieuses et monastiques l'avait fait défendre par un gouvernement qui en était le protecteur; mais, par une bizarrerie inconcevable, il avait été lu chez les

ministres, (*) et ils approuvaient, comme individus, ce qu'ils avaient condamné comme hommes publics.

Toutes les coteries ne retentissaient plus que des éloges prodigués à Mélanie, et Voltaire, soit par un véritable enthousiasme, soit par une ironie cruelle, écrivait : « L'Europe « attend Mélanie. >>

(*) La pièce de Mélanie fut lue chez le duc de Choiseuil, alors premier ministre, qui voulut bien l'honorer de son approbation. Il s'étonna qu'un si bon ouvrage ne fût point imprimé. L'auteur avoua modestement que ses moyens pécuniaires ne le lui permettaient pas ; mais le généreux magistrat se chargea lui-même de pourvoir aux frais d'impression.

M. Laharpe insulta, dans la suite, à la mémoire de son bienfaiteur: cependant la reconnaissance est une vertu chrétiennė; probablement M. Laharpe n'était point encore converti lorsqu'il fut ingrat.

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