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retrouvent leur fille; Francheville sa nièce et son ami, et tout le monde est plongé dans l'ivresse du sentiment et de la reconnaissance.

Cette pièce excita le plus vif enthousiasme, et on ne peut nier qu'au milieu de beaucoup d'invraisemblances elle n'offre des scènes bien faites, une grande connaissance du théâtre, et un style pur et chaud... Mais elle dut tout son succès aux effets monstrueux dont elle est pleine, et à l'intérêt qui y règne, si l'on peut appeler intérêt ce sentiment d'horreur qui glace les sens, qui suspend toutes les facultés, et produit le même effet que le saisissement. L'intérêt qu'inspire la bonne comédie est un sentiment doux qui effleuro l'ame sans la déchirer: les auteurs devraient ne jamais oublier cette vérité; mais comme il est plus aisé d'ébranler les nerfs que d'émouvoir le cœur, nous verrons bien plus de

drames à grands effets que de pièces d'un véritable intérêt.

Les circonstances contribuèrent aussi beaucoup aux grand succès des Victimes Cloîtrées, qui furent parfaitement jouées par Naudet, Saint-Phal, Dazincourt, Larochelle, et mademoiselle Contat: mais Fleury y fut au-dessous de toute éloge; il déploya l'art d'un comédien profond, joint à une sensibilité brûlante. L'auteur fut demandé à grands cris, et Monvel parut. (*)

(*) La première représentation des Victimes Cloîtrées donna lieu à une anecdote assez singulière : au moment où le père Laurent fait entraîner Dorval, un murmure d'horreur s'éleva, et un homme, placé à l'orchestre, s'écria: Exterminez ce coquinlà. Tous les yeux se fixent sur lui; il avait l'œil égaré, le visage décomposé. Quand il eut repris ses sens: «Pardon, Pardon, messieurs, dit-il, c'est que j'ai été moine ; j'ai, comme

Le 10 avril, le Théâtre de la Nation fit sa clôture par une représentation au profit des pauvres on donna

le Père de Famille, et les Folies Amoureuses. Cette clôture fut moins brillante que celle des précédentes années; elle était impatiemment attendue par quelques comédiens résolus à se séparer de la société, par les entrepreneurs intéressés à cette scission, et même par une partie du public, qui voyaitque le Théâtre Français portait dans son organisation même le germe de sa destruction. II fallait pour rendre à l'art tout son éclat une nouvelle législation dramatique, ou une rivalité capable de réveiller

Dorval, été traîné dans un cachot, et dans le père Laurent j'ai cru reconnaître mon supérieur.» Quelle honte pour le siècle de la philosophie, que des portraits aussi atroces aient pu avoir des modèles!

l'émulation. Mais quels moyens priton pour arriver à un but si desirable? On divisa, au lieu de réunir; on détruisit, au lieu de réparer, et ce beau théâtre, qui fermait avec toutes ses richesses, ne devait plus r'ouvrir que privé d'une partie des talens qui contribuaient à sa gloire.

Nous sommes arrivés à une des époques les plus mémorables de l'histoire du Théâtre Français. Depuis long-tems il était question de l'établissement d'un second théâtre. Les auteurs espéraient que la concurrence leur ouvrirait un champ plus vaste, et les affranchirait des entra ves despotiques dont les accablaient les comédiens; ils furent donc les premiers à réclamer ce second théâtre : mais comment l'établir? Pour rivaliser, il faut des talens égaux, et quel théâtre à Paris pouvait se comparer à la comédie française ? Celui du Palais-Royal, jadis consa

cré aux farces du bas comique, s'était peu à peu élevé à un genre plus noble, et quelques pièces à intrigue, telles que Guerre Ouverte, ta Nuit aux Aventures, les Intrigans, etc.; plusieurs drames, comme Charles et Caroline, et Calas; enfin un petit nombre de comédies, parmi lesquelles on distinguait le Pessimiste, de Pigault, et les Ménechmes Grecs, de Cailhava, avaient assigné à ce théâtre le premier rang parmi les seconds. Depuis quelque tems on y jouait plusieurs pièces du grand répertoire, sinon avec un talent très-marqué, du moins avec un ensemble satisfaisant. Mais qu'il y avait loin de là à la comédie française! Elle seule était en état de fournir la colonie qui pouvait la rivaliser: c'est ce qui arriva.

Nous ne voulons point entamer ici la question, si souvent discutée, de savoir si un second théâtre était

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