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défendu par un grand nombre de textes des lois de Moïse: Non occides, non furtum facies (1).

Il n'est pas moins constant qu'il fut toujours sévèrement défendu par les législateurs romains.

D'après la loi des Douze Tables, le voleur nocturne tué sur le fait était considéré comme justement mort: Si nocte furtum fiat, si eum furem aliquis occiderit, jure cæsus esto (2); les choses volées se trouvaient frappées d'un vice tel qu'elles ne pouvaient être prescrites (3). Et nous voyons dans les lois subséquentes de ces premiers législateurs du monde civilisé, que le vol y fut toujours proscrit comme contraire au droit naturel: Furtum est contrectatio rei fraudulosa, lucri faciendi gratiâ, vel ipsius rei, vel etiam ejus usus possessionisve: quod lege naturali prohibitum est admittere (4).

Voilà une voie de contrainte assurément bien rude; el cependant elle n'est encore rien comparativement à ce qui va suivre.

45. Art. 3. « Si le débiteur enchaîné veut vivre à « ses dépens, qu'il y vive: sinon, que celui qui le « retient à la chaîne lui donne une livre de farine par « jour, ou plus s'il le veut. »

Après cela nous allons voir des traits de cruauté qu'on ne peut croire qu'en reportant sa pensée sur l'état de l'antique barbarie qui subsistait encore lors de la promulgation de cette loi; barbarie dont l'établissement du christianisme, survenu depuis, a si puissamment concouru à l'extinction, et à opérer dans le règne moral les avantages de douceur dont nous jouissons aujourd'hui.

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Art. 4. Si le débiteur ne transige pas avec

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Ce n'est pas seulement en permettant au proprié-« son créancier, celui-ci pourra retenir son détaire de tuer impunément le voleur nocturne pris sur << biteur dans la captivité pendant soixante jours. Si le fait, que la loi des Douze Tables avait voulu assurer «dans cet intervalle le débiteur ne trouve pas de quoi la conservation des droits acquis aux divers citoyens. s'acquitter, le créancier le fera paraître aux yeux 43. Le respect du au droit de propriété, se sont << du peuple pendant trois jours de marché, et fera dit les auteurs de cette fameuse législation, ne consiste «crier la somme dont il a été fraudé. » pas seulement à s'abstenir du vol de la chose d'au- Cette mesure était prescrite pour faire dans le putrui il consiste aussi, et il consiste pour beaucoup, à blic la recherche de quelque personne assez charitaremplir avec fidélité les engagements que l'emprun-ble pour répondre de la dette ou la payer avant que teur contracte envers ses créanciers: car celui qui la captivité du débiteur fùt définitivement consomcontracte une dette envers un autre sans avoir la vo-mée. lonté de la rembourser, ou sans en rechercher, autant qu'il le peut, les moyens, si déjà il ne les a pas, se rend indirectement coupable du vol que, suivant les circonstances, on peut qualifier d'escobarderie.

C'est surtout contre ce genre d'injustice, dans lequel la bonne foi de l'un accuse la mauvaise foi ou la témérité de l'autre, que les auteurs de la loi des Douze Tables se sont portés aux élans de la sévérité la plus inhumaine. Et, comme cette antique législation nous fournit l'occasion de faire voir, en passant, jusqu'à quel point de barbarie le respect dù au droit de propriété fut poussé, nous n'hésitons pas de consacrer ici une ou deux pages pour mettre cet antique usage sous les yeux du lecteur.

Comme on peut le voir dans le recueil de Pandectes de Pothier (5), c'est la troisième des Douze Tables qui contient les dispositions dont il s'agit ici; et, comme cet antique langage de latinité n'est pas en tout trèsfacile à comprendre, et serait trop long à expliquer, nous allons simplement en rapporter la traduction telle qu'elle nous est fournie par le savant Terrasson, et sur laquelle il n'y a aucune critique à redouter (6); mais, quoique nous empruntions la traduction de ce célèbre auteur, nous nous en tiendrons à la division des articles du chapitre IV de la troisième table, telle que nous la trouvons dans l'original.

46. Art. 5. « Si le débiteur est insolvable à plu«sieurs créanciers, ils pourront, après le troisième << jour de marché, mettre son corps en pièces, et le « partager impunément en plus ou moins de parties; << ou bien les créanciers pourront vendre leur débi«teur aux étrangers qui habitent au delà du Ti<< bre. >>

Il y a des auteurs qui ont prétendu que cette faculté de partage accordée aux divers créanciers du même débiteur ne devait être exercée que sur ses biens, et non sur sa personne; mais il y en a d'autres aussi qui ont fortement soutenu que le vrai sens de la loi était indubitablement que le partage pouvait être exécuté sur la personne même du malheureux captif. C'est en prenant ce texte dans un sens aussi atroce, que l'ancien philosophe Favorinus, lui reprochant toute sa barbarie, trouva néanmoins un contradicteur dans le jurisconsulte Cæcilius, répondant que la loi n'était barbare qu'en apparence, et qu'au fond le législateur avait usé de modération et de sagesse en la portant, puisque cette rigueur apparente pourvoyait à la conservation des biens de chaque citoyen, que la crainte du supplice retenait dans l'économie, et détournait des emprunts usuraires qui causent la ruine des familles.

Cependant, quelle qu'cùt été, de la part du législa44. Article 1er. «Lorsqu'on aura avoué une dette, teur, le dessein de pourvoir à la conservation des pro«ou qu'on aura été condamné à la payer, le créan-priétés particulières par des mesures ou par la menace << cier donnera trente jours à son débiteur pour acquitter la somme; après quoi il le fera saisir au << corps, et le conduira devant le juge. »

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Art. 2. « Si le débiteur refuse de payer sa dette, et « que personne ne se présente pour le cautionner, «son créancier pourra l'emmener chez lui, le lier « par le cou, et lui mettre les fers aux pieds, pourvu «que la chaîne n'excède pas le poids de quinze li« vres; elle pourra être plus légère si le créancier le

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de mesures aussi inhumaines, cette loi fut abrogée l'an de Rome 427, c'est-à-dire 323 ans avant la naissance de J. C.; mais on ne l'anéantit que pour lui en substituer d'autres également destinées à protéger le droit de propriété, en lui préférant toutefois celui de la liberté individuelle des débiteurs dans les cas ordinaires (7).

47. Et, après plusieurs autres lois promulguées sur le même sujet, le dernier état de la jurisprudence romaine fut d'admettre le débiteur de bonne foi à

(3) Tome I, pag. 93.

(6) Voy. dans l'Histoire de la jurisprudence romaine par TERRASSON, p. 113 et suiv.

(7) Voy. sur tout cela, l'Histoire de la jurisprudence romaine par TERRASSON, p. 113 et suiv.

faire à ses créanciers la cession de ses biens, pour conserver sa liberté personnelle, tout en restant encore soumis à l'obligation de payer ce qui pourrait rester dù aux créanciers après la distribution du prix des biens par eux vendus: Qui bonis cesserint, nisi solidum creditor receperit, non sunt liberati: in eo enim tantummodò hoc beneficium eis prodest, ne judicati detrahantur in carcerem. (L. 1, Cod. qui bonis cedere possunt, lib. VII, tit. VII.)

48. Ce n'est pas seulement les Romains qu'on voit avoir placé les intérêts du créancier au-dessus de la liberté du débiteur: car ce système fut établi, quoique avec moins de rigueur, en bien d'autres pays civilisés: et telle est encore la marche que nous trouvons tracée en certains cas pour nous dans les articles 1268, 1269 et 1270 de notre code civil.

Or, comme chacun le sait, ce n'est pas seulement à l'égard de la France, mais encore à l'égard de toutes les nations de l'Europe, que les Romains furent les premiers précepteurs en fait de législation sur la protection qui est due au droit de propriété, pris égard à son importance dans l'ordre civil.

49. Aujourd'hui encore il est universellement reçu parmi les nations policées, que ce droit doit être placé au-dessus de celui de la liberté individuelle dans un grand nombre de cas, où il est permis aux créanciers d'exercer, jusqu'au payement, la contrainte par corps sur leurs débiteurs.

les investigations nécessaires pour parvenir à cette épreuve seraient impossibles, même à l'égard seulement des individus destinés à remplir toutes les fonc tions civiles dans un grand État, puisque leur nombre est immense : il faut donc, dans le système général de l'administration publique, se rattacher à un signe de moralité présumée, faute d'avoir une marque certaine de probité dans les hommes aux soins desquels doivent être confiées nos institutions sociales: or ec signe visible n'est que dans la propriété.

La propriété, en épargnant à l'homme cette lutte de chaque jour contre la misère et la faim, l'élève dans sa propre estime, en même temps que dans celle d'autrui, et force son âme à s'ouvrir aux sentiments généreux. Cette vérité n'est pas d'hier. Avec deux aunes de drap fin, disait Pascal, je fais un honnête homme. Sans doute de mauvaises passions peuvent germer dans le cœur de l'homme riche; mais l'intérêt personnel vient bientôt les y refouler, et les empêcher de se traduire en actes préjudiciables à autrui. Le sublime principe de morale, Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît à toi-même, est le meilleur calcul de l'intérêt et de la prudence. Le sentiment de conservation inhérent à la possession de la propriété vient donner une bonne direction à l'égoïsme et le purifie; celui qui possède et qui serait disposé à attaquer la propriété d'autrui, est souvent arrêté par un retour sur lui-même et par l'appréhension d'une juste représaille. Ce sentiment ne se borne même pas à une simple négation. Il est essentiellement actif, et porte à l'esprit d'association pour la défense des intérêts communs: on redoute pour soi-même les atteintes portées à la propriété d'autrui : Mea res agitur,

Il est donc bien constant, d'après le jugement de l'antiquité, et des diverses nations plus ou moins policées, que le droit de propriété fut toujours de la plus haute importance dans l'ordre civil et politique; que s'il fut la cause de l'odieuse tyrannie exercée par les créanciers sur leurs débiteurs sous la loi des Douze Ta-paries cùm proximus ardet. bles, il n'en est par là que mieux démontré combien les législateurs de ces temps y attachaient d'intérêt pour le bien-être du corps social.

Jusqu'ici, dans le présent chapitre et dans celui qui le précède, nous n'avons fait qu'indiquer l'origine naturelle du droit de propriété, et retracer l'histoire de la législation de ce droit, afin de faire voir tout le respect qui lui est dù d'après le suffrage de diverses nations; mais ce ne sont toujours là que des généralités, et il nous reste encore bien des choses à dire sur l'importance de ce droit en ce qui touche aux fonctions qu'il remplit dans notre état social, et à signaler la grande différence qui existe entre la propriété mobilière et la propriété foncière, en ce qui touche aux forces, au bien-être et à la tranquillité publique de l'État.

Occupons-nous d'abord de ce qui a rapport à l'importance de la propriété dans l'ordre moral et politique, en signalant aussi des aperçus de détail qui s'y rattachent également dans l'ordre civil.

La raison nous dit donc que le maintien du bon ordre doit être confié à celui qui a le plus d'intérêt à le faire régner: c'est le propriétaire.

51. Qui est-ce qui presse avec une entière bonne foi, et sans dessein de pillage, l'exécution des mesures nécessaires pour prévenir les incendies, ou pour en arrêter les progrès? Ce sont les propriétaires.

Quels sont, au contraire, ceux qui, accourus sur les lieux lors des plus grands accidents, ne s'y montrent, sous un zèle hypocrite, que dans la vue de cacher leurs vols par le concours tumultueux dont ils s'empressent d'augmenter les désordres pour mieux parvenir à leur fin? Est-il besoin de dire que ces hommes qu'on trouve toujours prêts à profiter de toutes les occasions de pillage, ne sont que des vagabonds, des mendiants et des prolétaires?

Et si nous voulons en venir aux événements les plus graves qui se sont passés sous les yeux de toute la France, quels sont ceux qui, dans les plus affreux orages de notre révolution, ont affligé la patrie par tous les genres de désordres, et commis tant de cruautés? Ne sont-ce pas les prolétaires exaltés dans leurs clubs?

50. Quelle que soit l'influence du droit de propriété sur les qualités morales de l'homme, ce serait sans doute calomnier l'humanité que d'avancer qu'on ne peut trouver de vertus sociales que là où il y a des A toutes les époques où il y a eu en France, derichesses et que les hommes n'ont de talent et n'ac-puis 1792, les plus grandes insurrections et les plus quièrent de science que dans la proportion de leur formidables émeutes populaires, nous voyons qu'elles fortune trop d'exemples démentiraient une proposi- ont eu lieu dans les plus grandes villes, parce que tion aussi absurde; il est heureusement bien des hom- c'est là que se trouvent en plus grand nombre, mes qui n'ont pas besoin d'être riches pour honorer, les pauvres qui vont y cacher leur désœuvrement, soit aimer leur patrie, et servir fidèlement leur prince; les ouvriers prolétaires que les malveillants égarent mais quelque nombreuses que soient ces honorables sous différents prétextes, pour les porter à la révolte, exceptions, elles ne peuvent servir de règle aux yeux tandis que les propriétaires n'ont qu'à gémir de leurs de la politique. excès.

Les talents éclatants sont rares, et sans la vertu ils ne sont que plus dangereux. Mais la vertu est un être invisible et impalpable: ce n'est que par une longue expérience, qu'on peut connaître si elle est le principe des actions de telle ou telle personne; et

soit

52. Et, sans remonter plus haut que l'époque où nous nous trouvons aujourd'hui, voyez la liste nombreuse des accusés qui ont figuré dans tous les procès soulevés par des événements où, sous des prétextes politiques, les attaques les plus graves ont été diri

gées contre l'ordre social; tous ne possédaient rien, sinon cette ambition immodérée qui résulte d'une instruction incomplète, et qui s'irrite par l'impuissance de se satisfaire.

53. Voyez à quelle catégorie appartiennent ces kommes qui, en 1834 et les années précédentes, abusant de l'aimable et libre hospitalité pratiquée en Suisse, sont venus troubler les, relations de bon voisinage entre ce pays et les États d'Allemagne! Y trouverez-vous beaucoup d'individus qui ne soient dans la classe des personnes qui n'ont rien à perdre?

Mais revenons à d'autres considérations, qui, sans se rattacher à des points aussi flagrants, n'en ont pas moins d'importance sur la marche des affaires sociales.

54. L'homme le plus habile à remplir les fonctions publiques doit, en thèse générale, se trouver dans la classe de ceux qui auront eu le plus de moyens d'instruction: ce sont les propriétaires.

commençant par ceux des habitants qui sont les plus imposés sur les rôles de contributions directes de la commune, et suivant l'ordre décroissant jusqu'au bout;

Que c'est sur le total de cette liste générale des contribuables de la commune, que doit être fractionnairement pris le nombre des électeurs communaux fixé par la loi proportionnellement à la plus ou moins grande population des communes, ainsi qu'on l'a dit ci-dessus, en prenant toujours ce nombre fractionnaire sur la série générale des plus imposés pris dans l'ordre décroissant de la quotité de leurs contributions. Et c'est parmi les électeurs communaux qui se trouvent ainsi désignés, qu'on doit faire le choix des maire, adjoints et conseillers municipaux dans chaque commune (2).

Voilà pour ce qui concerne le premier élément de notre administration civile. Si de là nous montons par degré jusqu'au sommet de la hiérarchie administrative, nous voyons:

tions (4);

55. Les fonctions publiques doivent naturellement Que, pour être membre d'un conseil d'arrondisscêtre remplies avec plus d'assiduité et de zèle par ment, il faut être porté aux rôles des contributions ceux qui peuvent s'y dévouer entièrement et y consa- directes pour la somme de 150 francs (5); crer tout leur temps: ce sont les propriétaires. Que, pour être éligible au conseil général du déC'est pourquoi chez les Romains, qui furent pres-partement, il faut être taxé à 200 francs de contribuque en tout nos premiers maîtres, et qui, sur le point qui nous occupe, n'étaient déjà guidés que par une longue expérience, on ne devait appeler aux fonctions de la magistrature que les plus dignes parmi ceux qui avaient assez de fortune pour pouvoir librement vaquer à l'exercice de leurs fonctions. Et c'est pourquoi encore il était généralement défendu de refuser sans cause reconnue légitime un grand nombre de fonctions municipales, ou de s'en démettre quand on en avait été revêtu (1).

Si de ces notions primitives, émanées du droit romain, nous arrivons à celles que l'expérience des siècles passés est venue inspirer en France par suite des réflexions faites sur les innombrables événements qui s'y sont succédé, nous sentons bien plus vivement encore toute l'importance que le droit de propriété s'est acquise dans le régime de notre état politique

actuel.

En prenant d'abord ce régime par sa base et ses premiers éléments, qui consistent dans les municipalités, nous voyons que l'organisation civile de ces communes comporte dans chacune d'elles un établissement administratif composé du maire, de ses adjoints, et des conseillers municipaux; que la loi française du 21 mars 1851 ne rattache généralement qu'au droit de propriété le choix de ceux des habitants qui doivent concourir, soit comme électeurs, soit comme éligibles, à la formation de cette administration primaire;

Qu'en conséquence tous les habitants d'une commune ne sont point indistinctement appelés à faire le choix de leurs officiers municipaux, mais seulement une partie prise dans le nombre des principaux propriétaires; que cette partie fractionnaire est déterminée par la loi, proportionnellement à la masse totale de la population, et doit être toujours prise dans le rang des plus gros propriétaires;

Que, pour arriver à l'exécution de ce système, il doit être annuellement formé dans chaque commune, une liste de contribuables âgés de plus de 21 ans, en

(1) Voy. à ce sujet les lois du Digeste de vacatione et excusatione munerum, et la loi 140, au Code théodosien, de decurionib., lib. XII, tit. I.

(2) Voy. la loi française du 21 mars 1831, et principalement les articles 11, 32 et 33 de cette loi.

Que la même somme de 200 francs de contributions est exigée pour être électeur dans les colleges réunis pour les nominations à la législature (3);

Et qu'enfin il faut 500 francs de contributions directes pour être éligible à la chambre des députés (6);

56. Mais passons à des questions d'un détail plus pratique encore touchant l'importance du droit de propriété sur l'exercice de la police de sûreté.

Dans l'intérieur, parcourez les villes, examinez quels sont les lieux où l'on compte le plus sur l'efficacité de la force publique pour la répression des excès et le maintien du bon ordre, et voyez si ce n'est pas toujours là où les officiers des gardes nationales ont été le plus exactement choisis parmi les propriétaires.

Sans doute les troubles qui affligent la société dans les temps de révolution ou de commotions politiques sont souvent formulés et soudoyés par des riches dont l'ambition a été déçue, et dont l'orgueil ne peut supporter aucun principe d'égalilé entre les hommes; mais voyez quels sont les instruments dont ils se servent pour arriver au fait de la révolte? Voyez si les émeutes sont composées de propriétaires!

57. Qui est-ce qui craint de porter du dommage à autrui? C'est le propriétaire, parce qu'il sent très-bien que la réparation du mal viendra s'appesantir sur son patrimoine. Mais pourvu que l'anarchiste prolétaire puisse sauver sa personne, c'est tout ce qu'il lui faut; et c'est ainsi que la pauvreté vient favoriser l'audace pour le crime.

C'est par le secours de la propriété que l'homme qui reçut d'heureuses dispositions de la nature, peut cultiver ses talents avec plus de succès, se dévouer mieux à l'étude des sciences, et devenir capable de rendre d'éminents services à sa patrie; c'est par le secours de la propriété, que le commerçant et l'artiste laborieux peuvent former des établissements de manufactures et des créations industrielles qui sont la source des aisances nationales.

(3) Art. 23 de la loi française du 22 juin 1833.
(4) Art. 4 de la même loi.

(3) Voy. l'article 1 de la loi française du 19 avril 1831:
(6) Art. 59 de la même loi.

38. Le droit de propriété inspire à son maître un Quel est le magistrat qui, tenant d'une main ferme sentiment de sécurité sur son avenir, le rend plus la balance de la justice, saura le mieux résister à l'astranquille et moins turbulent; il l'encourage au tra-cendant du pouvoir pour garder l'équilibre entre le vail pour former ou acquérir quelques propriétés nouvelles, en lui donnant la certitude d'en jouir et d'en disposer à son gré; or les hommes laborieux sont toujours les meilleurs citoyens, comme les plus utiles à la société.

faible et le puissant? Ce n'est pas celui auquel les émoluments de sa place seront absolument nécessaires pour vivre: trop de craintes le rendraient pusillanime vis-à-vis des grands. C'est au contraire celui qui n'a besoin d'autre protection que de celle que peut lui assurer l'indépendance de sa fortune: on doit donc l'aller choisir parmi les propriétaires.

62. Le meilleur administrateur de la fortune pu

La propriété porte l'homme à la conservation de son bien par le désir de le transmettre à ses enfants, ou à ses proches, ou à ses amis; elle est pour ceux qui la reçoivent un sujet de reconnaissance et d'atta-blique n'est ni l'homme borné qui n'a jamais rien su chement envers leurs bienfaiteurs; elle donne aux pères les moyens de procurer une bonne éducation à leurs enfants, et de rendre ceux-ci capables de mieux servir leur patrie; elle devient ainsi l'un des ressorts les plus puissants de l'amour paternel et de la piété filiale; et, tout en satisfaisant les sentiments pieux des pères et des enfants, elle est la cause promotive de la prospérité publique.

acquérir pour lui-même, ni l'homme ruiné pour n'avoir pas su mettre de l'ordre dans ses propres affaires car, comme l'esprit d'ordre se porte partout et vivifie tout, de même celui de dissipation se reproduit partout, et tend toujours à une fin ruincuse : il faut donc encore sous ce point de vue préférer le propriétaire soigneux dans son administration domestique.

59. C'est par le moyen de la propriété que l'homme Quels sont les hommes, qui redoutent le plus une de bien peut soulager les malheureux, et faire renai- secousse politique dans l'Etat? Ce ne sont pas les pautre des sentiments de vertu en des cœurs qui n'éprouvres, qui, n'ayant rien à perdre, ne peuvent voir dans vaient plus que celui du désespoir (1).

C'est dans les tributs levés sur la propriété que le gouvernement trouve le moyen de donner la vie au corps social, d'assurer le repos dans l'intérieur, et de pourvoir à sa défense au dehors.

C'est sous l'égide du droit de propriété que repose la tranquillité de tous les habitants du pays, parce que dans l'état de société, c'est par le droit de propriété que les hommes se trouvent placés en dehors de la conflagration qui serait l'infaillible résultat de la confusion des biens s'ils restaient en commun, et n'étaient pas légalement départis et partagés entre les membres du corps social.

60. Quel est l'homme qui serait capable de goûter jamais un véritable repos s'il pouvait croire que les personnes employées à son service fussent privées des sentiments du respect qu'on doit porter au droit de propriété? Et comment tout homme qui en a d'autres à ses gages, dans sa maison, ne tremblerait-il pas sur le défaut de sa sécurité personnelle lorsque l'expérience nous démontre que souvent celui qui commence par se faire voleur, finit par se rendre assassin, pour étouffer la voix qui pourrait révéler ses vols et en porter plainte contre lui?

61. Les richesses donnent de la considération, parce qu'on a souvent besoin de ceux qui les possèdent; tous les moyens de considération personnelle tendent à rendre l'autorité plus respectable entre les mains de celui qui en est revêtu : il faut donc qu'il soit propriétaire.

Le fonctionnaire public le plus éloigné de la corruption n'est pas celui qui, malheureusement, se trouverait placé entre la voix du devoir et la tentation du besoin, mais bien celui qui a le plus de ressources personnelles il faut donc le chercher dans la classe des propriétaires.

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tous les changements, que des chances favorables à leur cupidité ce sont donc les propriétaires que l'on doit considérer comme les plus attachés au gouvernement de l'État.

63. A la vue de tant et de si puissants motifs de respect qu'on doit à la propriété, peut-on trop mettre de circonspection à toucher aux lois qui subordonnent l'exercice des droits politiques au payement de l'impôt qui est l'indice de la propriété foncière et industrielle? En appelant, dans l'état actuel des choses, toutes les classes de la société à participer, mème médiatement, au gouvernement de l'État, on risquerait d'enlever å la société la plus certaine de ses garanties, ainsi que le démontre une expérience de près d'un demi-siècle. Ce n'est que dans une éducation morale généralement répandue, que l'on pourrait trouver l'équivalent des gages d'ordre et de repos que la propriété seule a présentés jusqu'ici. Malheureusement, combien cette éducation, sans laquelle il ne peut y avoir d'hommes sincèrement attachés à leur pays et à ses institutions, est rare aujourd'hui! Combien faudra-t-il de temps pour qu'elle pénètre dans les masses et qu'elle les régénère !

64. L'orgueil qu'inspire la fortune légitimement acquise; cette voix unanime qui, signalant le vol sous le nom de BASSESSE, le proscrit comme le plus déshonorant des crimes; cette opinion générale qui flétrit partout le voleur, et le place au-dessous des coupables d'autres classes: tous ces sentiments sur lesquels repose l'honneur parmi les hommes, ne sont point les enfants de l'erreur, parce que l'erreur ne saurait être universelle. La fortune ne doit s'acquérir que par le travail, comme elle ne se conserve que par l'économie et la frugalité; et c'est ainsi que la propriété est au moins l'indice probable de la verlu.

La propriété offre ses moyens à l'industrie, elle en

(1) HENNEQUIN dit dans le même sens : « C'est aussi du sein de la richesse sociale que s'élèvent ces vastes asiles où viennent se reposer toutes les lassitudes et s'apaiser toutes les douleurs. L'homme, sous la loi de la propriété dénoncée si souvent comme une coupable usurpation, se trouve placé dans une condition de beaucoup préférable au triste usufruit que lui promettait la communauté négative; et la dernière de ses chances, son malheur, si les hasards de la naissance ne le placent pas dans une condition fortunée, c'est de rester entre la possibilité de vivre, l'espérance propriété, par C. Comte, tome Ier, chap. 9, 10 et 11.

Animée d'une tendresse toute maternelle pour l'enfance abandonnée, pour la vieillesse nécessiteuse, indulgente sur le seuil de ses hôpitaux, la société protége l'homme sans moralité, dans ses moins excusables excès; et l'on peut dire avec assurance qu'au sein des forêts de l'Amérique du Nord, l'indigent de nos cités eût vécu plus douloureusement et fùt mort plus vite (a). »

(a) Voyez, sur la formation de la propriété foncière, le Traité de la

« A tout considérer, dit Bentham, la protection des lois peut contribuer de s'enrichir et la certitude de trouver des secours, lorsque des au bonheur de la chaumière comme à la sécurité du palais. » Traité de lé causes indépendantes de sa volonté viennent enchaîner ses bras. | gislation çivile et pénale, tomo Ier, chap. 9, page 200, ødit. de 1830.

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service et l'utilité de leur maître. Le propriétaire de fonds peut sans cesse en augmenter la valeur par des améliorations, ne fût-ce que par des clôtures qui, joignant l'utile à l'agréable, ne manquent pas d'en assurer mieux la possession, et d'en augmenter considérablement le produit.

C'est sur les propriétés foncières que les habitants de la terre se construisent les maisons qui servent à les abriter et à goûter les douceurs du repos.

De tout quoi il résulte que nos héritages fonciers comportent un prix d'affection qui ne se rattache pas à de simples meubles.

On doit donc regarder comme une vérité incontestable qu'à moins de circonstances extraordinaires, un fonds de terre est, entre les mains de son maitre, une propriété plus précieuse que la valeur pécuniaire par laquelle il peut être représenté : Nam aliàs interest legatarii fundum potiùs habere quàm centum (L. 54, D. de legatis. 2, lib. XXXI, tit. I.)

Passons dans une autre contrée où la masse des habitants soit généralement composée de propriétaires: le vagabond n'y sera qu'un être odieux, et le voleur n'y trouvera pas d'asile. Comme ennemis du travailla et du droit de propriété, partout ils seront dénoncés et arrêtés, plutôt que protégés par les habitants propriétaires.

67. Pour établir en peu de mots la supériorité de propriété foncière, il nous suffirait de dire qu'elle est généralement la mère nourricière du genre humain; mais il est encore d'autres attributs qui s'y rattachent, et qui concourent à démontrer cette supériorité de la manière la plus éclatante.

La propriété foncière n'est pas seulement la mère nourricière du genre humain : elle est encore le fondement de la tranquillité possible entre les hommes dans l'état social auquel ils sont appelés par la na

ture.

65. Ne pourrions-nous pas citer l'état actuel de la France en preuve de ces assertions? Malgré tous les genres de désordre qui y ont régné pendant les longues années de notre révolution, la police y est aujourd'hui portée au plus haut degré d'activité : rien n'échappe à ses recherches; l'homme qu'elle a une fois signalé est bientôt arrêté, sur quelque point de l'empire qu'il se trouve. Sans doute tous ses succès dépendent pour beaucoup de la perfection actuelle de son organisation; mais, n'en doutons pas, ils proviennent aussi en grande partie de ce que le gouvernement de la France, en alienant par petits lots les biens immenses que possédait autrefois le clergé, en vendant de même d'autres biens nationaux, et en supprimant les substitutions, pour établir l'égalité dans les parta-relles individuelles, à quel extrême de maux ne nous ges, est parvenu à diviser les grandes fortunes, à rendre propriétaire la masse des habitants, et à les intéresser plus généralement au maintien du bon ordre, et à la répression des délits portant atteinte à la propriété.

Concluons donc qu'en général la probité, la moralité, l'industrie, les lumières, l'esprit d'ordre, l'amour de la tranquillité publique, l'amour du travail, se rattachent également à la propriété.

66. Mais c'est surtout la propriété foncière qui, dans l'ordre civil comme dans l'ordre politique, l'emporte éminemment sur les autres genres de ri

chesses.

A l'exception de certains animaux, toutes les propriétés mobilières sont improductives de fruits les meubles ordinaires n'ont qu'une existence fugitive, ils sont sujets à devenir la proie des voleurs et des incendies; ceux qui consistent en bestiaux sont mortels et de courte durée; les autres s'altèrent et se détruisent par l'usage qu'on en fait; souvent encore les plus précieux subissent la chance du caprice des modes.

Quant aux capitaux, leur placement à intérêt et leur utilité sont inévitablement subordonnés aux chances d'insolvabilité et de faillite des débiteurs, dont la division des successions ne manque jamais d'altérer à la longue les ressources avec lesquelles ils auraient pu s'acquitter: en sorte que les hypothèques les plus solides en apparence ne sont que trop souvent des causes d'illusion pour le créancier.

Au contraire, les propriétés immobilières ont une existence permanente et assurée; elles sont naturellement productives; elles restent toujours là pour le

Pour se convaincre de cette vérité, il suffit d'observer ce qui se passe journellement entre les propriétaires de fonds voisins les uns des autres : il n'est pas rare de les voir occupés de querelles qu'ils se font sur les délimitations de leurs héritages; mais si ce point, assurément bien minime en lui-même, fait néanmoins naître un genre de désordre affligeant pour la paix publique, quoiqu'il ne s'agisse encore là que de quetrouverions-nous pas livrés dans la supposition où toutes les terres seraient indistinctement le patrimoine commun des hommes? Comment un pareil état de conflagration universelle pourrait - il exister? L'homme, qui s'occupe de l'agriculture, et qui doit nécessairement s'en occuper pour se procurer sa subsistance, ne tomberait-il pas dans le désespoir en songeant que tout autre individu plus fort que lui pourrait impunément venir s'emparer du fonds qu'il aurait défriché et rendu productif par ses longs travaux? Et comment l'agriculture, qui est la mère nourricière des habitants de la terre, pourrait-elle exister dans un pareil état de choses, où la propriété foncière n'aurait pas un règne ferme et puissant, et ne serait pas généralement respectée? Un tel état de choses ne serait-il pas d'autant plus contraire aux décrets de la Providence, qu'il entraînerait jusqu'à l'extinction de la plus grande partie du genre humain, par la famine générale et la conflagration des combats dont il serait la cause?

Il est donc évidemment démontré, soit par les principes du raisonnement, soit par l'expérience que nous avons sous les yeux, que la propriété foncière se trouve être, par le respect qui lui est dù, l'une des causes les plus puissantes de la tranquillité publique.

Mais elle est aussi l'un des plus grands obstacles du vice, parce qu'en attachant les hommes au sol, elle les soustrait à la pratique du vagabondage, qui serait la cause des plus grands désordres qui puissent amiger l'espèce humaine.

68. Ce n'est pas tout encore car nous devons ajouter, sans crainte de nous tromper, que c'est à

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