Page images
PDF
EPUB

— 24-28. |

Et, d'abord, en ce qui touche à la liberté et aux qualités personnelles de l'homme, il est de toute évidence qu'elles ne sont qu'à lui seul, parce que l'auteur de la nature n'en a point ordonné autrement, et que si, dans l'état social, les qualités dont il s'agit reçoivent diverses modifications, ce n'est toujours que pour l'avantage propre des individus, et d'après les inspirations de la loi de nature, qui, appelant les hommes à vivre dans une société plus ou moins parfaite, veut, par voie de conséquence, tout ce qui est nécessaire à l'organisation de cette société.

En second lieu, il est certain que toutes les choses qui sont en dehors de l'homme ont été destinées à son usage par le Créateur: reste donc à savoir si, à l'égard de celles de ces choses qui sont susceptibles d'une appropriation particulière, le partage qui en a été fait cntre les individus est un acte avoué par la raison comme conforme à la loi de notre nature.

La solution de cette question ne peut être mieux éclaircie qu'en la faisant ressortir successivement soit de la constitution propre de l'homme, soit de l'application du droit de propriété aux choses qui en sont l'objet. 24. Si nous envisageons d'abord la question par rapport à la constitution propre de l'homme, nous le voyons naître avec la convoitise du droit de propriété, puisque toujours son instinct naturel le porte à se préférer aux autres dans ses jouissances; mais, pour peu qu'il réfléchisse sur l'application de cette inclination de personnalité, il sent de suite que, même après les années de sa longue enfance, il est absolument incapable de se suffire à lui-même ; que, du moment que la terre ne produit pas spontanément ce qui est nécessaire aux aliments de ses habitants, et du moment encore qu'ils sont dans la nécessité de se construire des abris et de se procurer des vêtements contre l'intempérie des saisons, chaque individu ayant l'usage de la raison, reste nécessairement convaincu que, pour pouvoir subsister, il lui faut le secours des autres hommes; qu'ainsi il se trouve invinciblement lié à la vie sociale avec ses semblables; que, cette vie sociale ne pouvant reposer que sur les services mutuels que tous les individus se rendent l'un à l'autre, le sentiment de personnalité qui porte chacun d'eux à se préférer aux autres doit avoir ses bornes, parce que nul ne peut légitimement prétendre aux services des autres sans fournir réciproquement les siens or les services mutuels qu'on se fournit, soit par des soins et travaux personnels, soit par des échanges de choses nécessaires aux besoins naturels ou aux mouvements de la société, supposent nécessairement la division des propriétés, attendu que personne ne peut toujours, en bonne équité, fournir cette espèce de mise sociale, que par la prestation d'une chose qui soit à lui (1). 25. Et d'ailleurs, comment la société, à laquelle l'auteur de la nature nous a destinés, et dans laquelle nous naissons, pourrait-elle subsister sans la division des propriétés? Tous les hommes pourraient-ils donc vivre en puisant leurs aliments dans la même gamelle? La confection de tous les meubles nécessaires à nos usages, la filature et le tissage de toutes les étoffes qu'il faut pour nous couvrir, la fabrication de tous les instruments aratoires: toutes ces choses, ainsi que tous les travaux d'agriculture, pourraient-ils donc être tumultueusement exécutés par le rassem

diée avec trop d'attention. Il n'est pas non plus sans intérêt de savoir si tout l'édifice social ne repose que sur une base friable, ruineuse, et qu'il serait urgent de remplacer. »>

(1) PORTALIS disait aussi : « L'homme, en naissant, n'apporte que des besoins; il est chargé du soin de sa conservation; il ne saurait exister ni vivre sans consommer : il a donc un droit na

[ocr errors]

blement de tous les hommes qui y sont intéressés? Et quand il serait possible d'exécuter tous ces travaux en commun, ne faudrait-il pas encore en partager les fruits pour attribuer à chacun sa part proportionnellement à son concours dans les travaux dont ils seraient le résultat?

Mais, sous quelque point de vue qu'on envisage cette communion de propriété, pourrait-elle exister un seul jour sans être la cause inévitable de la guerre civile, et d'un déchirement absolu de la société? Et dès lors comment ne serait-elle pas contraire aux desseins du Créateur?

C'est ainsi que, sans s'attacher à autre chose qu'à considérer la constitution propre de l'homme, on en doit déjà tirer cette conséquence, que généralement le droit de propriété exclusive a son fondement dans la loi naturelle.

26. Si actuellement nous nous attachons à considérer la nature des choses qui sont l'objet du droit de propriété, et si nous remontons aux causes de ce droit, nous verrons que la même vérité ressortira encore de là avec le même degré d'évidence.

Les choses auxquelles s'applique le droit de propriété sont ou mobilières ou immobilières. Or nous voyons partout que l'acquisition de ce droit ne provient que des œuvres propres de l'homme, dont le travail en fut la cause, et que par conséquent il doit lui être propre, et étranger aux autres.

27. En remontant au berceau du genre humain, et lorsqu'il n'était encore composé que de quelques hommes ou de quelques familles errant sur la terre pour y chercher leurs moyens de subsistance, il est bien certain que le poisson péché dans la mer ou les rivières, ainsi que le gibier pris à la chasse, devaient appartenir en propre, et à l'exclusion de tous autres, à celui qui s'en était emparé, puisque auparavant ce poisson ou ce gibier n'appartenait à personne, et que c'est par son propre fait que ce premier occupant était parvenu à s'en saisir pour le faire servir à sa propre nourriture et à celle de sa famille.

La même vérité s'applique à tous les fruits qui sont le produit spontané du sol, et qui auraient été recueillis par les soins du premier occupant pour servir à ses besoins, parce qu'ici il est également vrai de dire que les objets dont l'homme s'est emparé n'appartenaient encore à personne, et que c'est par son propre fait qu'il se les est appropriés.

Les animaux domestiques, apprivoisés ou subjugués, nourris et entretenus par celui qui s'en était rendu maître, ont dù de même lui appartenir en propre, ainsi que les jeunes bêtes qui en étaient le produit, parce qu'on ne peut toujours voir là que le fruit de l'industrie et des soins du maître.

28. Quant aux autres choses mobilières, comme sont les instruments de chasse ou de pêche, les instruments nécessaires à la culture de la terre, les outils nécessaires à tous les genres de fabrique d'objets destinés au service de l'homme, il est évident que dans tous les temps ils ont du propriétairement appartenir à celui qui les avait d'abord fabriqués ; et que, cédés ensuite à d'autres personnes, soit à titre gratuit, soit contre d'autres choses, ou pour compensation de services réciproques, ils sont devenus la propriété de ceux qui ont succédé au fabricant.

[merged small][ocr errors]

29. Et si nous voulons porter l'application de ces principes sur les œuvres qui ne sont enfantées que par l'esprit et l'imagination de l'homme, la démonstration du droit de propriété n'en sera-t-elle pas plus évidente encore? Comment serait-il possible de soutenir qu'un homme qui a consigné ses propres réflexions sur du papier qui lui appartient, ne fut pas propriétaire de l'ouvrage qu'il a fait? Et lorsqu'il a payé un imprimeur pour le rendre public, comment ne serait-il pas, par l'empire de l'équité et le droit de la nature, propriétaire de sa production?

qu'en s'acquittant envers eux par quelque payement ou par des services réciproques, les avantages de leur coopération ne lui en sont pas moins restés propriétairement acquis (1).

Voilà l'origine primitive de la propriété immobilière de nos maisons; comme l'habitation que nous y avons exercée dès notre enfance est la cause naturelle du sentiment qui nous rattache toujours au lieu qui nous a vus naître.

31. Quant aux autres genres de propriété foncière, le droit nécessairement dù s'en établir lorsque, C'est ainsi qu'il reste démontré, par les principes pris égard à la multiplication des hommes, ils se vidu raisonnement, que la propriété mobilière n'a tou-rent forcés de recourir à l'agriculture pour tirer du jours eu pour cause que l'œuvre ou le fait personnel sein de la terre leurs moyens de subsistance. de celui qui a produit la chose, ou qui s'en est emparé lorsqu'elle n'appartenait encore à personne, et qu'en conséquence elle est nécessairement fondée sur le droit naturel.

30. En ce qui touche à la propriété immobilière, pour peu qu'on réfléchisse sur le progrès naturel des choses, on voit de suite que les mêmes idées nous conduisent à lui décerner aussi son fondement comme placé dans la disposition du droit naturel.

En remontant au principe des choses, nous voyons d'abord que l'homme occupé à se construire une cabane ou une maison sur un fonds qui n'appartenait encore à nul autre, a dù se trouver, par cette occupation permanente, seul propriétaire de son habitation, puisque le sol n'en était à personne autre que lui, et que la construction ne fut autre chose que le fruit de son propre travail; et peu importe qu'il ait été aidé par d'autres dans l'œuvre de sa bâtisse, parce

(1) HENNEQUIN combat en ces termes la théorie qui faisait reposer la propriété sur un prétendu contrat social : « Ajoutons que la propriété, cette loi bienfaisante et civilisatrice, est sortie de l'appropriation, et non pas de l'impossible convention qui, suivant plusieurs publicistes, serait intervenue entre les premiers habitants du globe (a). Si ces écrivains ont voulu parler d'une convention expresse, cette sorte de congrès suppose un état social avancé. Admettre une pareille hypothèse, c'est vouloir que les hommes aient été avant la propriété ce qu'ils ne pouvaient devenir que par elle. S'ils n'ont voulu s'appuyer que sur une convention tacite,| ils sont tombés dans une autre erreur. Les hommes restés spectateurs oisifs des travaux de l'agriculteur n'ont point consenti à l'appropriation; ils en ont subi la nécessaire influence (b.)

(2) HENNEQUIN, t. Ier p. 174, dit dans le même sens : «<< Ce n'est pas chez les peuples nomades qu'il faut contempler dans son origine et dans ses progrès le droit de propriété. Emportés dans des courses lointaines à la poursuite de leur proie ou à la suite de leurs troupeaux, ces peuples ne se forment que des idées imparfaites des relations que la propriété peut établir entre les hommes (c); c'est au sein des populations sédentaires et laborieuses que le droit privatif se manifeste sous des formes saisissables et progressives: c'est aussi là qu'il faut l'étudier.

« Si l'on considère, en effet, les efforts longs et pénibles de l'agriculteur, on voit la propriété se révéler dans toute sa justice et par cela même dans toute sa puissance.

Qui pourrait dire, avee conviction, qu'il est juste de récolter où l'on n'a pas semé ? Quel sceptique oserait soutenir que ceux qui n'ont contribué en rien à la production ont autant de droit aux produits que les créateurs eux-mêmes? Non, un sentiment instinc

(a) a Puffendorf, Droit de la nature et des gens, liv., IV chap. 4, § 4. Proprietas rerum immediatè, ex conventione hominum tacita aut expressa profluxit. (Grotius, Droit de la guerre et de la paix, liv. II, chap. 2.) (b) Le système du contrat intervenu entre les premiers habitants du globe est solidement réfuté par Barbeyrac, traducteur et commentateur de Puffendorf, et par Locke dans son livre intitulé du Gouvernement civil.

(c) Les sauvages chasseurs ou pasteurs, no cultivant pas la terre, ou y jetant passagèrement quelques grains de maïs, n'ayant pour demeure que de misérables cabanes qu'ils sont toujours prêts à abandonner, s'occupent

Il est évident, en effet, que, nonobstant l'état de communion ou de communauté négative dans lequel les hommes vécurent d'abord, les fruits d'une parcelle quelconque de terre vide, cultivée par l'un, durent lui appartenir exclusivement à tous autres, puisqu'ils étaient le produit de ses travaux et de son industrie personnels.

Il n'est pas moins incontestable encore que l'œuvre longue et pénible d'un défrichement opéré sur une portion de terre brute et embarrassée, à dù faire sortir de l'indivision générale le terrain défriché et en rendre propriétaire exclusif celui qui, par ses travaux, était parvenu à en faire un champ fertile ici l'on a dû appliquer, par droit de premier occupant, l'investiture de la propriété foncière, comme quand il s'agit de la saisine d'un objet mobilier qui n'appartenait encore à personne (1).

[ocr errors]

Voudrait-on prétendre que nos propriétés foncières

tif, que les premiers habitants du globe n'ont pas dû méconnaître, assurait aux familles agricoles les fruits de leur lente et patiente industrie, comme au chasseur le gibier tombé sous ses coups. Ce cri de la conscience humaine, la réflexion le confirme et le ratifie. « C'est sous la condition qu'ils sauraient la rendre fertile et l'approprier à leurs besoins, que Dieu a donné la terre aux enfauts des hommes. Celui qui laboure, sème, cultive une certaine étendue de terrain, en est le seul et véritable donataire dans les termes de la donation même, vérité clairement expliquée par LOCKEdans son ouvrage du Gonvernement civil.

Lorsque Dieu, dit-il, a donné en commun la terre au genre humain, il a commandé en même temps à l'homme de travailler, ⚫ et les besoins de sa condition le lui prescrivaient assez; le Créaateur et la raison lui ordonnent de labourer la terre, d'y semer, d'y planter des arbres, de la cultiver pour la conservation, pour l'avantage de la vie, et lui apprennent que cette portion du sol dont il prend soin devient par son travail son héritage particulier, tellement que celui qui, se conformant à la volonté «< du Créateur, a labouré, semé, cultivé, un certain nombre d'ar<< pents, a véritablement acquis un droit de propriété, auquel nul << autre ne peut prétendre, et que nul autre ne peut lui ravir sans injustice (d), »

[ocr errors]

« Une famille ne saurait avoir un meilleur titre à la propriété du terrain qu'elle occupe, que d'avoir mis ce terrain en culture, que d'en avoir étudié les exigences et centuplé la valeur. C'est au même titre que les nations sont propriétaires de leurs territoires. La propriété du sol est donc née de la propriété des fruits; la propriété foncière s'est fondée sur la double base du travail, de la constance, et de son sein s'est élancée la propriété industrielle.

très-peu de la propriété privée, tandis qu'ils attachent une grande importance à la propriété nationale. Chaque tribu sait dans quelle étendue de plaine, de montagnes, de lacs et de forêts, elle a le droit exclusif de se livrer à la chasse et à la pêche. C'est même habituellement là le sujet des guerres d'extermination que se font les peuplades voisines. (Robin, Voyage dans la Louisiane, t. II, chape 51, p. 307, 308. Lahontan, Voyage dans l'Amérique septentrionale, t. II, p. 175.)

(d) Locke, Traité du gouvernement civil, chap. 47. « La nature, dit Mably, n'avait pas placó de bornes aux champs; non sans doute, mais elle n'y avait pas non plus placó la charrue, »>

actuelles ne remontent pas à une si haute antiquité, et qu'on ne doit les rattacher qu'à des partages qui en auraient été faits par les populations qui, dans la suite des siècles, se sont agglomérées sur les diverses parties du globe pour s'entr'aider dans leurs travaux, et se protéger mutuellement? On arrivera toujours au même résultat, attendu que le partage n'aura toujours eu lieu que pour obéir à la loi de la nécessité, et qu'on ne pourra jamais admettre une supposition dans laquelle les opérations agricoles de l'un n'aient pas du et ne doivent pas lui profiter plus qu'aux autres. Et qui est-ce qui serait assez aveugle pour ne pas voir que le système contraire entrainerait les hommes dans un état de confusion tel que les travaux nourriciers de la société seraient nécessairement abandonnés de toute part, et que le genre humain succomberait

nécessairement sous le poids de l'anarchie, de la misère, et d'une famine générale?

32. Viendrait-on dire que les envahissements de la conquête, et les partages des terres qui en ont été la suite, n'ont jamais été que contraires à la loi naturelle; que, par exemple, la rapine, qui, dans le moyen âge, vint enfanter la féodalité, passera toujours aux yeux de l'équité pour un vol d'autant plus abominable qu'il étendit ses effets même sur la liberté personnelle des colons qu'elle venait dépouiller de leurs terres? Mais quelle autre conséquence doit-on tirer de là, sinon que ce vol sacrilege fut, de la part des brigands qui le commirent, la plus coupable infraction contre les droits de la nature? 32 2o (1).

33. Cependant, quoique le droit de propriété ait

« A peine l'agriculture a-t-elle fait sentir son heureuse influence, en préparant, en assurant à l'espèce humaine des chances de que les arts sont inventés.

« Le volcan ou l'incendie ont livré le secret de la fusion des métaux: : la métallurgie commence, le fer a donné les moyens de faconner le bois. Le laboureur possède des instruments plus puissants et plus commodes, toutes les industries s'éveillent, toutes accourent se ranger autour de l'agriculteur pour le seconder, pour entrer en partage de ses travaux et de ses produits.

« C'est alors que se fait sentir le besoin de placer le droit de chacun sous la protection de tous : et c'est à bon droit que les anciens donnaient à Cérès le nom de législatrice: car c'est à sa voix que l'autorité publique s'est levée au milieu des hommes. Les tribunaux sont ouverts, le mot de revendication est prononcé, et l'expropriation de l'ignorance et de l'oisiveté, au profit du travail et de l'industrie, est consommée sans retour. Puisant dans les garanties mêmes dont les lois l'ont environnée un nouveau véhicule, la propriété développe avec énergie toutes les facultés dont le Créateur a doué son plus bel ouvrage : de toutes parts se multiplient les prodiges.

« La vie physique de l'homme s'améliore : les champs s'enferment dans des clôtures, les villes s'élèvent: le commerce apprend à mettre les produits du sol et de l'industrie à la portée des besoins qui les réclament. Les beaux-arts, qui sont aussi un besoin du cœur, viennent adoucir les mœurs ; l'homme apprend à connaître ces joies de l'esprit, ces joies de la pensée, qui ne peuvent être surpassées que par celles de la conscience: la terre embellie se couvre des plus riantes parures, et il semble que le génie de l'homme achève l'œuvre de la création. Tout se meut, tout s'agite, et, au milieu de ces artisans, de ces peintres, de ces écrivains, de ces commerçants, qui, dans les positions si diverses que la Providence leur a données, concourent à la prospérité sociale, on croit voir la Propriété, divinité bienfaisante, qui, des couronnes à la main, encourage toutes les industries, les récompense au moment même du travail et montre à tous dans l'avenir, quelques jours avant le tombeau, un repos plein d'indépendance, de contentement et de dignité.

« Ce tableau des bienfaits de la civilisation renferme la réfutation d'une objection d'autant plus grave, qu'elle semble attaquer la propriété dans son équité même. C'est, a-t-on dit, aux premières générations seulement que s'est offerte l'occasion d'acquérir par appropriation : et s'il y a là le principe d'un droit, les générations venues plus tard se sont trouvées déshéritées, sans qu'il soit possible de les accuser d'inertie. C'est cependant ainsi que la terre, qui fut dans l'origine le patrimoine de tous, est devenue le partage exclusif de quelques-uns. Considérons d'une manière plus intime encore les résultats du travail, et nous aurons répondu.

« Une terre productive, couverte d'une végétation puissante: un peuple agricole rendant chaque jour le sol plus docile à ses lois: la subsistance des 99 centièmes du genre humain assurée: des habitations, des vêtements: ces machines merveilleuses et puissantes que sait créer l'industrie et qui la secondent si bien: enfin, cette masse précieuse de valeurs manufacturées, fortune mobilière des nations: voilà ce que le travail a produit sous l'influence du droit de propriété. Si donc les premières générations se sont emparées du sol, ne l'ont-elles pas soldé richement à l'avenir

[ocr errors]
[ocr errors][ocr errors][merged small]

prospérité que le patrimoine originaire ne présentait pas, et qu'un travail persévérant pouvait seul en obtenir? »

CHAVOT, t. ler, p. 218, dit sur la question : « Le travail a son origine dans l'existence de nos besoins, son but dans leur satisfaction. Considéré dans la durée de ses effets, il tend nécessairement à la perpétuité; car nos besoins se perpétuant avec notre existence, nous devons chercher à perpétuer nos ressources.

« Justice dans l'origine, justice dans le but, justice dans la perpétuité : tels sont les caractères que l'on doit reconnaître dans l'acte d'appropriation des objets ; en un mot, dans la propriété, » (1) Réponse à diverses objections contre le droit de propriété : systèmes de Platon, Thomas Morus, Campanella, Rousseau. << Ce sera compléter l'apologie du droit de propriété, dit HENNE-QUIN, t. Jer, p. 183, que de montrer cette doctrine si profondément rationnelle, se fortifiant dans le cours des âges des efforts mêmes tentés pour la modifier ou l'abolir.

<< Le tort de Platon, qui se présente le premier dans l'ordre des temps, c'est qu'il met en oubli la liberté morale de l'homme, c'est qu'entre ses mains une créature sensible et responsable joue le rôle de la pierre entre celles du statuaire ou de l'architecte. Le chef du Portique, tantôt en immolant l'individualisme, tantôt en imposant à son peuple des vertus presque divines, s'est doublement placé en dehors de l'humanité. Si la république de Platon pouvait occuper dans la mémoire des hommes une autre place que celle d'un roman sublime, se serait dans les pages spirituelles et incisives d'Aristote qu'il faudrait en chercher la critique; lutte remarquable, où se trouvent en présence la société comme il est possible de la rêver, et la société comme il faut la voir pour la conduire et l'améliorer! Entraînés par la séduisante image de la république platonicienne, Thomas Morus, Campanella, ont proposé l'abolition du droit de propriété dans des écrits trop évidemment empreints d'idéalisme, pour que, dans un ouvrage sérieux, il soit possible de s'en occuper. Il faut dire seulement que ceux-là consacrent une institution, qui éprouvent pour la combattre le besoin de se jeter dans un monde imaginaire.

R

C'est en suivant une route opposée à celle où s'étaient égarés le fils d'Ariston, le chancelier de Henri VIII et le moine aventureux de la Calabre, que le citoyen de Genève s'est déclaré le champion de la communauté primitive. Rousseau sait bien que la propriété est une loi civilisatrice; et c'est parce qu'il ne veut pas de la vie sociale, c'est parce qu'il regrette l'indépendance des forêts qu'il s'écrie : Les fruits sont à tous, et la terre n'est à personne. La question telle que l'a posée le Discours sur l'inégalité des conditions, c'est celle de la prééminence de l'homme sauvage sur l'homme civilisé; or, cette question si souvent résolue est-il done permis de l'agiter encore? Ne connaît-on pas aujourd'hui l'incontestable supériorité de l'homme de la civilisation sur celui de la nature, non-seulement sous le rapport intellectuel et moral, ce que Rousseau ne conteste pas, mais même sous celui des forces physiques? Des expériences décisives ont mis ce point hors de toute contestation (a). Ces rapprochements sont épuisés; il n'est plus (a) Voir t. Ier, p. 472 à 475, Voyages de découvertes aur terres australes; par le colonel Perron. - Dunoyer, de l'Industrie et de la Morale considórées dans leurs rapports aveo la liberté, chap. 4, p. 119 et suiv.

son fondement primordial dans la loi naturelle, il faut bien observer que c'est de la loi civile que la propriété emprunte ses caractères, et que c'est cette Joi qui règle généralement la manière de disposer de nos biens en les transmettant de l'un à l'autre mais en cela la loi civile, qui a aussi son fondement dans le droit naturel, ne fait qu'accorder une sanction positive à la disponibilité de nos biens, et la régler de la manière la plus conforme au maintien de la paix publique; et c'est par le secours de la loi civile que les possessions féodales avaient pu être enfin comprises au rang des propriétés légitimes (1).

qu'il comporte la violation du droit de propriété, qui est fondé sur l'une et l'autre de ces lois : Furtum est contrectatio rei fraudulenta, lucri faciendi gratiâ, vel ipsius rei, vel etiam usús ejus possessionisve: quod lege naturali prohibitum est admittere. (L. 1, § 5, D. de furtis, lib. XLVII, tit. II.)

37. La seconde, que tout projet de nivellement des fortunes ne pourrait être qu'un rêve extravagant et coupable de la part de ceux qui l'auraient conçu, comme étant formellement contraire au droit naturel.

Si, en effet, nous interrogeons les œuvres de la nature, nous n'y voyons partout que des variétés à l'infini, et nous n'y trouvons aucune égalité entre les différents êtres.

34. Et, en effet, le possessoire, qui est le plus grand de tous les pouvoirs sociaux; le possessoiré qui, quand il a cessé d'être combattu, devient la source de toutes les légitimités; le possessoire qui Sans étendre, à cet égard, nos considérations plus cufante la prescription, qu'on a justement appelée la loin qu'à ce qui touche aux hommes, nous voyons patronne du genre humain; le possessoire, ce protec-partout que les uns sont naturellement plus forts, et teur commun de tous les propriétaires, est venu, dans les autres plus faibles; qu'il y a beaucoup d'intellila suite des temps, couvrir de sa haute puissance les gence dans les uns, tandis que les autres sont plus vices de la conquête : en sorte que, suivant la maxime bornés; que l'esprit de l'un est fertile en inventions Alienare videtur qui patitur usucapi, les propriétés et découvertes, tandis que l'autre sait à peine mettre ont été, par la soumission et le consentement tacite en usage les choses connues; que l'un est laborieux, des anciens propriétaires, confirmées entre les mains et l'autre paresseux; que l'un est économe, et dirigé des nouveaux possesseurs, parce qu'ainsi l'exige tou- par un esprit d'ordre, tandis que l'autre n'est qu'un jours l'ordre public, qui est aussi dans le droit na- dissipateur. Or on a pu voir, par ce qui précède dans turel, comme fondé sur les décrets de la Providence, ce chapitre, que les diverses qualités qui, dans qui veut le règne de la paix parmi les hommes. l'homme, se rapportent à ses forces, à son intelligence industrielle, à son amour du travail, à son esprit d'ordre et de conservation, doivent être considérées comme autant de causes efficientes ou productives du droit de propriété : donc ce droit ne peut être le même ou égal dans tous, puisque partout nous ne voyons qu'inégalité dans leurs titres, et que néanmoins les effets doivent toujours être correspondants et d'accord avec leurs causes.

C'est ainsi que, nonobstant le vice origine! des propriétés féodales, elles sont, par la suite des temps et la force des choses, devenues légitimes en tant qu'elles s'appliquaient à des fonds de terre sans s'étendre à des droits de seigneurie sur la personne même des colons: et c'est pourquoi, au retour de la liberté, nos assemblées législatives, tout en frappant d'une abolition absolue les charges imposées à l'imprescriptible liberté des personnes, se sont néanmoins abstenues de prononcer la confiscation ou la restitution des fonds de terre précédemment possédés en fief.

35. Ainsi, soit que l'on considère les hommes comme destinés par leur constitution naturelle à vivre dans l'état social, et qu'on réfléchisse un instant sur l'incompatibilité de cet état avec l'indivision générale des biens; soit que l'on considère les individus par rapport à leurs œuvres propres et personnelles touchant les choses mobilières; soit qu'on les envisage tous collectivement par rapport aux travaux nourriciers de l'agriculture: tout nous démontre également que le droit de proprieté se rapporte à un principe aussi ancien que le monde; et que ce principe fut, dès l'instant de la création, décrété par les lois de la suprême Providence.

38. La troisième, enfin, c'est qu'à supposer qu'il fùt possible, pour un moment, d'établir ce nivellement sur toutes les fortunes, il cesserait d'exister dès le lendemain, puisqu'il n'y aurait nulle part ni les mêmes moyens, ni le même esprit de conservation; un pareil nivellement, s'il pouvait être opéré par l'empire de la force, conduirait bientôt la société à sa dissolution par le découragement de tous ceux qui concourent à sa prospérité.

CHAPITRE VI.

moraux, civils et politiques.

Et de tout cela résultent trois conséquences principa- De l'importance du droit le propriété dans ses rapports les qui nous restent à signaler plus explicitement en terminant ce chapitre :

36. La première, que le vol est un crime condamné 59. Importance du droit de propriété quant à la prospérité autant par la loi naturelle que par la loi civile, puis

permis de rallumer les bûchers ni de s'armer du scalpel. Tout est dit sur ces hommes qui se jouent de tout, qui se passent de tout, mais aussi qui souffrent et qui meurent de tout. »>

« Dans le même sens PORTALIS avait déjà dit dans son exposé de motifs, sur le titre de la propriété : « Ceux-là connaissent bien mal le cœur humain, qui regardent la division des patrimoines comme la source des querelles, des inégalités et des injustices qui ont affligé l'humanité. On fait honneur à l'homme qui crre dans les bois et sans propriété, de vivre dégagé de toutes les ambitions qui tourmentent nos petites âmes. N'imaginons pas pour cela qu'il soit sage et modéré : il n'est qu'indolent. Il a peu de désirs, parce qu'il a peu de connaissances. Il ne prévoit rien, et c'est son insensibilité même sur l'avenir qui le rend plus terrible quand il est vivement

publique.

secoué par l'impulsion et la présence du besoin. Il veut alors obtenir par la force ce qu'il a dédaigné de se procurer par le travail : il devient injuste et cruel.

(1) C'est ce qui fait dire à HENNEQUIN: « La propriété, fille du travail, ne jouit du présent et de l'avenir que sous l'égide des lois. Son origine vient du droit naturel; sa puissance, du droit civil; et c'est de la combinaison de ces deux idées, travail et protection, que sont sorties les législations positives.

[ocr errors]

Dans le même sens, CHAVOT, t. Ier, no 196, où nous lisons: « La propriété est un fait primitif, nous le voyons; mais gardons-nous d'affirmer qu'elle ne doit rien à l'état social; elle lui doit la protection dont elle jouit.

D

40. Seul exemple de dérogation au principe qui fait respec

ter ce droit.

41. Jugement porté par les diverses nations sur le caractère du droit de propriété.

42. Loi de Moïse. Lois romaines.

43. Portée de la loi des Douze Tables.

44. Texte de cette loi.

45. Suite du texte.

46. Suite.

47. Cession de biens introduite à Rome.

48. Ailleurs aussi les intérêts du créancier l'emportaient sur la liberté du débiteur.

49. Maintien de la contrainte par corps dans les lois modernes. Transition. Importance du droit de propriété dans les États modernes.

50. Influence de la propriété sur l'ordre moral. Propriété signe de moralité présumée.

51. Moralité des propriétaires comparée à celle des prolétaires. 52. Résumé de la statistique dans les procès politiques. 53. Exemple dans les événements de 1834 en Suisse. 54. La propriété conduit à l'instruction.

55. Fonctions publiques devraient appartenir aux propriétaires. Influence de la propriété dans l'organisation municipale et provinciale.

56. Son influence pour le maintien du bon ordre. 57. Amour de l'ordre chez le propriétaire. 58. La propriété éveille l'amour du travail. Excite les sentiments pieux des pères et des enfants.

59. Permet la charité. Assure la tranquillité publique. 60. Le respect de la propriété est la condition de la sécurité

des maîtres.

61. La propriété est une garantie contre la corruption du fonctionnaire.

rationnel; actuellement, faisant quelques pas de plus, nous allons entrer dans l'ordre positif, en nous occupant d'abord à démontrer toute l'importance du droit de propriété par rapport à l'ordre civil et politique.

Et, d'abord, en ce qui touche généralement à la prospérité publique sous tous les rapports, il est incontestable que, plus le droit de propriété est respecté chez un peuple, plus cette nation se concilie l'estime et l'amitié des autres; et qu'en acquérant leur confiance, elle étend et multiplie aussi les causes de son bien-être et de sa prospérité : comme tout particulier reconnu pour honnête homme ne manque pas de jouir du crédit dù à sa probité, et réussit d'autant mieux dans ses négociations et ses entreprises.

40. Ce principe de doctrine est tellement rationnel, que nous ne trouvons dans toute l'antiquité qu'un seul exemple par lequel on ait voulu y déroger: c'est celui qu'on doit à Lycurgue, qui, donnant ses lois aux Lacédémoniens, avait, dans cette contrée de la Grèce, permis aux enfants le maraudage ou vol secret, comme un simple tour d'adresse; de sorte que ceuxtiés, tandis que le même acte clandestinement commis là seuls qui étaient pris sur le fait devaient être chân'était sujet à aucune recherche ni à aucune punition d'où résulte la conséquence que ce n'est pas le vol, mais seulement la maladresse du voleur, qui devait être réprimée (1).

Lycurgue, en portant un pareil règlement, avait agi dans la vue de rendre les citoyens de sa république plus adroits; mais son système doctrinal ne tendait-il pas à une fin toute contraire à leur bonheur? En les privant de toute sécurité sur la possession et la jouissance de leurs effets mobiliers, ne donnait-il pas naissance à des causes multipliées de troubles continuels dans le pays? Ce système ne tendait-il pas à conduire

62. Les propriétaires sont les plus attachés au gouverne la jeunesse dans les voies du vice et de la fourberie, ment de l'État.

63. Conséquences quant aux droits politiques.

qui devaient la rendre odieuse et suspecte à tous les habitants des autres contrées? Et comment les autres

61. Importance de la division des propriétés sous le rapport nations auraient-elles pu traiter en toute confiance politique.

65. État actuel de la France sous ce rapport.

66. Prédominance de la propriété foncière.

avec un peuple dont elles savaient que l'escobarderie était un des éléments de son éducation? C'est là, n'en doutons pas, la cause primitive du reproche flétrissant

67. Elle est le fondement de la tranquillité entre les hommes adressé aux Grecs par Virgile, lorsqu'il a dit : Timeo

[blocks in formation]

Danaos et dona ferentes. C'est de là aussi qu'est provenu l'adage si commun par lequel on continue de qualifier un homme fourbe en disant, comme l'illustre Napoléon disait d'Alexandre, empereur de Russie: Il est faux comme un Grec. Et pourquoi ne dirionsnous pas encore aujourd'hui que l'esprit de piraterie qui règne si généralement dans les îles de l'Archipel, provient toujours de la même source, tant le vice trouve de facilité à se propager!

41. Mais si, faisant abstraction de ce cas tout particulier, où l'on trouve qu'une aveugle législation fut elle-même la protectrice de l'immoralité qu'elle aurait dù proscrire, nous passons aux considérations qui résultent du jugement porté par les diverses nations sur la nécessité de reconnaître et protéger efficacement le droit de propriété dans tous ceux qui en sont revêtus, nous y trouvons un argument d'autant plus irrésistible, qu'il n'est pas possible de supposer que le genre humain fut généralement tombé dans l'erreur sur un point de doctrine aussi expérimental, et qu'il ait persévéré dans un tel aveuglement durant les siècles qui se sont écoulés jusqu'à nous.

42. Et d'abord il est bien constant que le vol fut

(1) Voy. dans TERRASSON, part. 2, § 3, 12 loi; et dans l'Histoire ancienne des Égyptiens, des Carthaginois, et des Grecs, par ROLLIN, t. II, p. 542.

« PreviousContinue »