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séparément devant le tribunal civil du département du Calvados; et le premier y a conclu à ce qu'il plût à ce tribunal, en donnant défaut contre le cit. Spiess, qui ne comparaissait pas, sans s'arrêter aux actes par lui signifiés, lesquels seraient déclarés nuls et de nul effet, dire à tort l'arrêt de deniers par lui requis, en donner main-levée avec dépens.

» Ces conclusions lui ont été adjugées par jugement du 26 brumaire an 8. Le cit. Spiess y a formé opposition; mais ne comparaissant pas encore, il en a été débouté par un autre jugement du 12 nivôse suivant.

» Et ce dernier jugement a été, sur la demande du cit. Labérardière, déclaré commun avec lui, par un troisième jugement du même jour 12 nivôse an 8, encore rendu par défaut contre le cit. Spiess."

» Sur l'appel interjeté de ces trois jugemens par le cit. Spiess, les cit. Davrilly et Labérardiêre se sont bornés à conclure à ce qu'il fût dit qu'il avait été bien jugé par le premier tri

bunal.

» Et le tribunal d'appel de Caen l'a effectivement ainsi déclaré par son jugement du 27 germinal an 9, mais il a fait plus : sur les conclusions prises à cet effet d'office par le commissaire du gouvernement, il a déclaré nul l'acte de célébration de Mariage du 1 juin 1788.

» En prononçant ainsi, n'a-t-il pas violé l'art. 2 du tit. 8 de la loi du 24 août 1790, suivant lequel les commissaires du gouvernement exercent leur ministère au civil, non par voie d'action, mais seulement par celle de réquisitions dans les procès dont les juges auront été saisis? Telle est la première question que vous avez à examiner.

» Sans contredit, le commissaire du gouvernement près le tribunal d'appel de Caen pouvait bien requérir qu'en faisant droit sur les demandes formees devant ce tribunal par les parties intéressées, il y fût statué de telle ou de telle manière; mais il ne pouvait pas former lui-même des demandes auxquelles les parties n'avaient pas pensé, ou dont elles avaient cru devoir s'abstenir. Tel est le sens que présente naturellement l'article dont nous venons de transcrire les termes, et le tribunal de cassation l'a constamment entendu dans ce sens. C'est ainsi que, le 5 thermidor an 5, au rapport du cit. Barris, et sur les conclusions du cit. Abrial, il a cassé un jugement du tribunal du district de Bayeux, qui, dans une instance entre les frères Sanguin et Jacques Beaussieu, avait reçu le commissaire national incidemment opposant à un jugement par défaut.

» Or, dans notre espèce, les cit. Davrilly et Labérardière n'avaient point conclu, devant TOME X.

les premiers juges, à l'annullation de l'acte de célébration du 11 juin 1788, ils n'avaient conclu qu'à l'annullation des titres signifiés par le cit. Spiess avant l'introduction de la cause devant les premiers juges; et il est bien constant, il est d'ailleurs prouvé authentiquement par l'exploit de signification du 18 floréal an 7, que, parmi ces titres, ne se trouvait pas celui dont il s'agit.

» D'un autre côté, en cause d'appel, les cit. Davrilly et Labérardière ne concluaient qu'au bien jugé ; le jugement du 27 germinal an 9 le prouve invinciblement.

» C'est donc de son propre chef, c'est donc par des conclusions qui n'appartiennent qu'à lui, que le commissaire du gouvernement a requis l'annullation de l'acte de Mariage du 11 juin 1788; et c'est ce que le jugement attaqué constate lui-même, lorsqu'après avoir retracé les demandes respectives des parties, il ajoute : le commissaire du gouvernement apris de son chef des conclusions d'office.

» Il est vrai que, dans cette partie du jugement, on ne voit pas quelles étaient les conclusions prises d'office par le ministère public.Mais la chose s'éclaircit par le huitième considérant, et par le dispositif.

» Par le huitième considérant, le tribunal d'appel s'efforce d'établir que le ministère public est recevable à attaquer,de son chef, le Ma. riage du cit. Spiess.

» Et par le dispositif, non content d'avoir confirmé le jugement de première instance, qui avait déclaré nuls les actes précédemment signifiés par le cit. Spiess, c'est-à-dire, d'avoir accordé aux cit. Davrilly et Labérardière tout ce qu'ils avaient demandé, il se permet encore d'annuler formellement l'acte de célébration nuptiale du 11 juin 1788, c'est-à-dire, de prononcer ce à quoi n'avait conclu ni le cit. Labérardière, ni le cit. Davrilly, ce à quoi le ministère public n'avait pas pu conclure d'office, et ce à quoi cependant il n'avait été conclu que par le ministère public.

>> On ne pouvait pas, suivant le cit. Spiess, violer plus ouvertement l'art. 2 du tit. 8 de la loi du 24 août 1790. Mais ce n'est pas là le seul vice que le cit. Spiess trouve dans cette partie du jugement.

» De ce qu'en première instance, les cit. Davrilly et Labérardière n'avaient pas demandé la nullité de l'acte de Mariage du 11 juin 1788, et de ce que le tribunal civil du Calvados, en ne leur adjugeant, comme il le devait, que leurs demandes, n'avait pas déclaré cet acte nul, il s'ensuit nécessairement deux choses, suivant le cit. Spiess:

» La première, que la nullité de l'acte de

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Mariage du 11 juin 1788, ne pouvait plus être demandée par les cit. Labérardière et Davrilly devant le tribunal d'appel;

La seconde, que le tribunal d'appel ne pouvait pas prononcer cette nullité, quand même elle leur eût été demandée directement par ceux-ci; car, aux termes de l'art. 7 de la loi du 3 brumaire an 2, il ne peut être formé en cause d'appel aucune nouvelle demande, et les juges ne peuvent prononcer que sur les demandes formées en première instance.

» Et remarquez, dit le cit. Spiess, qu'ici le tribunal d'appel n'a pas pu douter qu'il ne contrevint à cette loi, en déclarant nul mon Mariage. Les premiers juges n'avaient fait, dans leur jugement, qu'adopter littéralement les conclusions des cit. Davrilly et Labérardière; et par-là, si les cit. Davrilly et Labérardière eussent conclu à l'annullation du Mariage, le Mariage eût été nécessairement compris dans l'annullation des actes que j'avais signifiés. Cependant le tribunal d'appel a trouvé que les premiers juges n'avaient pas annulé le Mariage; et c'est parceque le Mariage n'avait pas été annulé par eux, qu'il a cru devoir l'annuler lui-même. Donc le tribunal d'appel a lui-même jugé que les cit. Davrilly et Labérardière n'avaient pas conclu devant les premiers juges à l'annullation du mariage; donc, s'écrie le cit. Spiess, il a lui-même jugé qu'en déclarant le Mariage nul, il prononçait sur une demande nouvelle; donc il a lui-même jugé qu'il contrevenaît à la loi du 3 brumaire an 2; donc si cette loi a souffert une violation scandaleuse, c'est par le jugement que je vous dénonce. Tel est, dans toute sa force, le premier moyen de cassation du cit. Spiess.

» A notre égard, nous ne pouvons pas nous dissimuler que le tribunal d'appel de Caen n'ait eu l'intention de faire ce que lui défendaient, et l'art. 2 du tit. 8 de la loi du 24 août 1790, et l'art. 7 de la loi du 3 brumaire an 2. Tout annonce, dans son jugement, qu'il a considéré les réquisitions du ministère public', comme une demande additionnelle aux deman. des des cit. Davrilly et Labérardière. Tout y annonce par conséquent qu'en statuant sur ces réquisitions, il a cru statuer sur une demande dont il ne pouvait pas s'occuper, et parcequ'elle n'avait pas été présentée aux premiers été présentée aux premiers juges, et parcequ'elle ne l'avait pas été par les parties privées qu'elle intéressait.

» Mais il ne s'agit pas ici de savoir ce qu'a voulu faire le tribunal d'appel, il s'agit de savoir ce qu'il a fait réellement. Si tout en croyant agir contre la loi, il a réellement agi selon son vou; si, tout en croyant ne statuer que sur les conclusions du ministère public, il

a réellement statué sur les conclusions des eit.

Davrilly et Labérardière, nous pourrons bien blâmer son intention, mais nous serons forcés de maintenir son ouvrage.

»

Or, dans cette cause, quel était, devant les premiers juges, le rôle des cit. Dayrilly et Laberardière? Ils étaient défendeurs.

» Et que disaient-ils pour leur défense? Ils disaient que le cit. Spiess avait été, par sa qualité de religieux profès, incapable de contracter le mariage du 11 juin 1788.

>> Ils concluaient donc implicitement à la nullité de ce mariage; et ces conclusions implicites devaient avoir pour eux le même effet que des conclusions expresses. Car, vous l'avez déclaré vous-mêmes, par votre jugement du 8 nivòse dernier, dans l'affaire des héritiers Bérulle (1), aucune loi n'exige des conclusions expresses de la part des défendeurs, pour la validité de leur défense; il résulte, au contraire, des art. 1 du tit, 2, 5 du tit 5, 4 du tit, 14 de l'ordonnance de 1667, et 1 de la loi du 3 brumaire an 2, qu'il suffit au défendeur de proposer ses moyens de défense, pour qu'il puisse être renvoyé absous (2).

» D'un autre côté, les jugemens rendus én première instance, avaient expressément pris pour base de leur décision, l'incapacité du cit. Spiess à l'époque de son prétendu Mariage du 11 juin 1788. Ils avaient donc considéré ce Mariage comme nul; ils n'avait donc annulé la donation du 9 du même mois, que parcequ'ils avaient jugé qu'elle n'avait pas été suivie d'un Mariage légal.

› D'après cela, qu'a fait le commissaire du gouvernement près le tribunal d'appel, en requérant l'annullation de ce mariage? Il n'a tait que répéter en termes exprès, les conclusions qu'avaient prises, en termes équipollens, les cit. Davrilly et Labérardière.

» Et qu'a fait le tribunal d'appel en adoptant les réquisitions du commissaire du gouvernement? Il n'a fait que déclarer en termes exprès, ce que les premiers juges avaient déclaré en termes équipollens.

» Il n'y a donc eu, à cet égard, ni excès de pouvoir, de la part du commissaire du gouvernement, ni, de la part du tribunal d'appel, contravention à l'art. 7 de la loi du 3 brumaire

(1) V. l'article Requête civile, §. 6.

(2) Aussi le défendeur originaire peut-il, en cause d'appel, former toutes les nouvelles demandes qu'il juge propres à écarter l'action principale. V. le plaidoyer et l'arrêt du 22 mars 1810, rapportés aux mots Contrat pignoratif, §.2, no 2, et ce qui est dit au mot Appel, S. 14, art. 1, no 16-3o 4o 5o etc.

an 2 ; et par-là tombe le premier moyen de castion du cit. Spiess.

» Il en est un second qui tient encore à la forme: c'est celui qui résulte de ce que le ju gement du 27 germinal an 9 ne condamne pas le cit. Spiess à l'amende de fol appel. Ce moyen est tranchant, sans doute; mais il appartient tout entier à notre ministère, et le cit. Spiess n'est pas recevable à vous le proposer.

» Au fond, le cit. Spiess soutient d'abord, que le tribunal d'appel de Caen a mal jugé, en accueillant les réclamations de parens collatéraux contre un mariage qui avait subsisté paisiblement jusqu'à la mort de leur parente.

>> Oui certainement, le tribunal d'appel a mal jugé, ou du moins il a jugé contre la jurisprudence universelle des anciens tribunaux. Nous pourrions citer plus de cinquante arrêts qui ont déclaré des collatéraux purement et simplement non-recevables à alléguer même des moyens de nullité absolue contre des Mariages; mais pour ménager vos momens, nous nous restreindrons au plus récent de tous, à celui qui a été rendu au parlement de Paris, le 31 décembre 1779, sur les conclusions de M. l'avocat-général Séguier.

>> Louis Esparcieux, religieux profés dans l'ordre des Cupucins, avait déserté son couvent, s'était réfugié à Genève, et y avait épousé, en 1733, Marguerite-Philibert Tournier. De ce Mariage naquit une fille, qui fut nomméc Lucrèce Esparcieux. En 1735, Louis Esparcieux vint à mourir; et en 1736, sa veuve s'établit à Lyon, où, dans la suite, elle maria sa fille à Gabriel Bouchard. Devenue majeure, la dame Bouchard découvrit que son père avait fait, en 1725, avant sa profession religieuse, une donation de tous ses biens. Elle attaqua cette donation, et demanda qu'elle fût déclarée ré voquée par survenance d'enfant. Cottier et Pécollet, héritiers des donataires, lui opposèrent les vœux sollennels de son père et sa prétendue qualité de bâtarde. Pour repousser cette exception, la dame Bouchard interjeta appel comme d'abus de la profession monastique de son père; et de leur côté, ses adversaires interjetèrent appel comme d'abus du Mariage de celui-ci. La cause plaidée pendant plusieurs audiences,voici quel fut le prononcé de l'arrêt: Faisant droit sur l'appel comme d'abus interjeté par Lucrèce Esparcieux des prétendus actes de prise d'ha bit et de profession de son père dans l'ordre des Capucins, déclare ladite Esparcieux nonrecevable dans son appel, et la condamne à l'amende de 12 livres; faisant droit sur l'appel comme d'abus, interjeté par Cottieret Pécollet du Mariage de Louis Esparcieux, leur

cousin, avec Marguerite-Philibert Tournier, les déclare pareillement non-recevables, et les condamne à l'amende de 12 livres,

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Ainsi, l'arrêt jugea que Louis Esparcieux s'était valablement engagé dans l'ordre des Capucins, et cependant repoussa par fin de non-recevoir les attaques dirigées par ses parens collatéraux contre le Mariage qu'il avait contracté à Genève.

» Cet exemple indique assez de quelle manière, dans notre espèce, aurait dû prononcer le tribunal d'appel de Caen. Mais nous n'avons pas à examiner s'il s'est conformé à la jurisprudence universellement reçue, ou s'il s'en est écarté; quelque étrange, quelque extraordinaire que nous paraisse son jugement, envisage sous ce rapport, nous ne pouvons, sous ce rapport, que vous en proposer le maintien.

» Mais a-t-on pu, en l'an 9, onze ans après l'abolition solennelle des voeux monastiques, déclarer nul en France, un Mariage précédemment contracté par un ci-devant religieux, dans un pays où l'on ne connaissait ni la profession religieuse, ni aucun de ses effets civils?

» C'est ici la grande question de la cause, et elle se divise en deux branches.

» Premièrement, le Mariage contracté en Suisse par le cit. Spiess, doit-il être jugé d'après les lois helvétiques ?

» Il le devrait sans doute, si le cit. Spiess eût acquis en Suisse, non seulement un domicile véritable et proprement dit, mais encore la qualité d'Helvétien; car, dans cette hypothese, les lois helvétiques auraient seules régi sa personnes, et c'est bien constamment de la loi qui régit la personne, que dépend la capacité d'état. Mais le cit. Spiess prouve lui-même, par les pièces qu'il a mises sous vos yeux, qu'il n'a même jamais eu de domicile en Suisse, qu'il n'y a fait qu'une résidence passagère, que son intention a toujours été de revenir en France, quand il le pourrait, sans compromettre sa sûreté personnelle.

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>> Ce n'est donc pas par les lois helvétiques, c'est uniquement par les lois françaises, que doit être jugée la question de savoir si le cit. Spiess était ou non, en 1788, capable de contracter un Mariage légitime.

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pouvaient ni tester ni succéder ni recueillir de donation excédant leurs alimens. Mais ce n'était point par suite de la mort civile dont jamais aucune loi ne les a frappés, ce n'était que par exception à la capacité générale d'état qui est inhérente à la qualité d'homme vivant en société.

>> Dans le droit romain, tel qu'il était en vigueur immédiatement avant Justinien, les religieux étaient habiles, non seulement à succéder, mais encore à tester. L'ordonnance des empereurs Valentinien et Marcius, de l'an 455, qui forme la loi 13, C. de sacrosanctis ecclesiis, leur permettait de disposer de leur biens, sive testamento, sive codicillo, sive substitutione, seu legato aut fideicommisso.

» Justinien, par la loi 56, §. 1, C. de episcopis et clericis, les maintint expressément dans le droit de succéder; mais par le chap. 5 de la 5e novelle, il leur ôta celui de disposer par testament; et il en donna cette raison, que, par leurs vœux, ils ne consacraient pas moins leurs biens que leurs personnes à Dieu et au monastère où ils faisaient profession.

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Par-là, les religieux profès se trouvèrent privés d'un des plus beaux droits de la vie civile, mais ils furent si peu rangés, pour cela, dans la classe des hommes inorts civilement, qu'ils conservèrent leur habileté à succéder. C'est la remarque de Cujas, dans ses observations sur la novelle 5: Monachismus, dit-il, non est capitis minutio, quia monachi jus legitimarum herediatum habent.

» Cette jurisprudence s'est maintenue long. temps en France. Jean Faber, qui écrivait en 1340, en parle comme d'un droit certain et actuel: Sic ergò nota (dit-il, sur la loi 56, de episcopis et clericis, au Code), quod religiosi succedunt et ecclesia nomine eorum recipit; item dividunt cùm fratribus suis.

» Mornac, sur l'authentique ingressi, qui n'est que l'extrait du chap. 5 de la 5o novelle, assure qu'elle était observée en France du temps de Jean Faber : Reperio morem ætate sud similem in nostrá Gallia.

» Chasseneuz, sur la coutume de Bourgogne, titre des successions, §. 14, dit qu'au temps de la rédaction de cette coutume, l'incapacité des religieux de succéder, n'était pas encore bien reconnue dans toute la France: Et adverte quod tempore quo ha consuetudines fuerunt in scriptis redactæ, nondùm constabat de generali consuetudine Franciæ, quæ habet quod religiosi non succedunt.

» Effectivement ce ne fut, comme le prouve le père Thomassin, dans sa Discipline ecclesiastique, tome 3, part. 4, liv. 3, chap. 18, qu'à mesure que l'on procéda, pour la première fois à la rédaction de nos coutumes, que l'on abolit

dans chacune le droit de succéder qui jusqu'alors avait toujours été exercé par les religieux.

» Mais, par cette raison même, les pays coutumiers furent d'abord les seuls dans lesquels les religieux cessèrent d'être appelés aux successions; religiosi non succedunt in patria consuetudinaria, dit Jean Ducocq (Joannes Galli), dans sa quest. 122; ce qui suppose manifestement qu'alors les religieux succédaient encore dans les pays de droit écrit.

» Ils y succédaient même encore dans le seizième siècle; mais en mai 1522, sur les remontrances du syndic des États du ci-devant Dauphiné, François Ier donna à Châteaubriant un édit qui assimila, sur cette matière, la jurisprudence des pays de droit écrit à celles des pays coutumiers.

>> Et comme, à cette époque, la ci-devant Franche-Comté n'était pas encore réunie à la France, les religieux continuèrent d'y succéder à l'instar des autres citoyens, jusqu'à ce que Philippe II, roi d'Espagne, par l'art. 1333 de son ordonnance du 17 avril 1581, restreignit leur droit de succession, quant aux immeubles, à un simple usufruit.

» Il ne fut point question des meubles dans cette ordonnance; et les religieux francscomtois continuèrent en conséquence d'y succéder; ils y succédaient même encore dans le dix-huitième siècle, ainsi qu'à l'usufruit des immeubles, comme l'ont jugé trois arrêts rendus, l'un au grand conseil de Malines, le 5 mai 1716, l'autre au parlement de Metz, le 21 janvier 1718, et le troisième au parlement de Paris, le 21 février 1721.

» Tant il est vrai que, de tous les droits attachés à la vie civile, les religieux profès avaient conservé ceux que des lois expresses ne leur avaient pas ôtés; preuve incontestable qu'ils n'étaient pas morts civilement, puisque s'ils l'eussent été, il n'eût point fallu de loi spéciale pour les priver notamment du droit de succéder.

» C'est la remarque du savant et judicieux Stockmans, dans son recueil d'arrêts du conseil de Brabant, §. 4 : après avoir rapporté un arrêt de sa compagnie, qui, à défaut de loi expressément prohibitive, avait jugé qu'un reli→ gieux profès pouvait être témoin dans un testament, il établit, pour justifier cette décision, que les moines ne sont réputés morts civilement que par rapport aux actes dont ils sont déclarés incapables par des lois formelles : Quod enim dicitur monachos comparari servis et haberi pro mortuis, intelligitur quoad illos juris effectus circà quos id ità speciatim jure constitutum est...; nam per omnia non habentur pro mortuis.

» Ce principe posé, il est clair que, si, avant

1789, il n'existait pas en France de lois civiles d'après lesquelles les religieux profès fussent incapables de se marier, nous ne pouvons pas - aujourd'hui regarder comme nuls les Mariages que des religieux profès ont pu contracter avant 1789. Or, ces lois où sont-elles?

Nous trouvons dans le Code de Justinien, titre de episcopis et clericis, loi 5, une ordonnance de l'empereur Jovinien, de l'an 377, qui défend, sous peine de mort, même la simple tentative d'enlèvement d'une religieuse, pour l'épouser Si quis, non dicam rapere, sed attentare tantùm jugendi causá matrimonii, sacratissimas virgines ausus fuerit, capitali pœná feriatur. Mais ni cette loi ni aucune autre du droit romain ne va jusqu'à annuler le Mariage qui, de fait, a été contracté au mépris de vœux solennels précédemment émis.

>> Et il est à remarquer que le célèbre évêque d'Hyppone, Saint-Augustin, dans son livre de bono viduitatis, chap. 10, regarde comme valides les Mariages des religieux profès, quoiqu'ils soient, dit-il, prohibés par les lois de l'Église; faisant allusion au décret du concile de Calcédoine de 451, qui défend aux moines de se marier, sans cependant déclarer nuls les Mariages qu'ils pourraient contracter.

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» Et remarquez encore que cette décision de Saint-Augustin a été insérée dans le corps du droit canonique, et qu'elle se trouve dans le décret de Gratien.

» Nous savons bien que,depuis, les papes ont, par différentes décrétales, placé la profession monastique et la prêtrise au nombre des empê chemens dirimans du Mariage.

» Nous savons aussi que leur doctrine a été confirmée par le neuvième canon de la session 24 du concile de Trente.

» Mais ce canon, ces décrétales, ne sont pas des lois pour nous; la puissance civile aurait pu seule, en France, leur en imprimer le caractère; et jamais elle ne l'a fait.

» Pothier, dans son Traité du contrat de Mariage, no 108, dit que l'empêchement résultant des vœux solennels, est de discipline ecclésiastique, et qu'il n'a pas toujours été dirimant.

» D'Héricourt qui, dans ses lois ecclésiastiques, titre des empêchemens dirimans du Mariage, établit en maxime, que les Mariages des moines et des prêtres sont nuls, ne cite, à l'appui de son assertion, aucune ordonnance, aucun édit, aucune déclaration; il ne la fonde que sur une décrétale d'Alexandre III,sur une autre de Boniface VIII, et sur le canon du concile de Trente. C'est bien convenir implicitement qu'aucune de nos lois civiles ne prononce la

nullité de ces sortes de Mariages; et en effet, il n'en existe pas une seule dans laquelle on remarque une pareille disposition.

» Le tribunal d'appel de Caen en cite cependant une dans le jugement attaqué, et il la cite sous la dénomination d'ordonnance de Charles IX, de l'an 1564, sans en désigner ni le mois ni le jour.

» C'est déjà une assez bonne preuve qu'il la cite sans l'avoir lue, et par conséquent une raison de nous tenir en garde contre les inductions qu'il en tire.

Pressés par cette considération, nous avons feuilleté tous les recueils des anciennes ordonnances; et après beaucoup de recherches, nous avons trouvé une déclaration du 4 août 1564, enregistrée au parlement de Paris, le 17 du même mois, dans laquelle il est effectivement parlé des prêtres et des moines mariés.

Cette déclaration a été donnée au château de Roussillon, en interprétation de l'édit de pacification de décembre 1563, et voici ce qu'elle porte, art. 7: Voulons et ordonnons que les prêtres, moines, religieux profès qui, durant les troubles, ou depuis, auront laissé leur profession et se sont mariés, soient contraints, et ce par prison, de laisser leurs femmes et retourner en leurs couvens et première vocation, ou se retirer hors notre royaume dans tel temps qu'il sera arbitré par nos juges, que ne voulons néanmoins étre plus long que deux mois: autrement, punis extraordinairement des peines de galères perpétuelles, ou autres, selon l'exigence des cas; et les religieuses professes qui, semblablement durant ou depuis lesdits troubles, auront laissé leur profession et se sont mariées, seront aussi contraintes de laisser leurs maris, et retourner en leurs monastères ou vider notredit royaume dans le même temps que dessus, sur peine de prison entre quatre murailles.

» Cette déclaration prouve sans doute que notre ancien gouvernement avait maintenu la défense que les lois romaines avaient faites aux moines et aux religieuses de se marier.

» Mais conclure de là que les Mariages contractés de fait par des moines ou des religieuses, étaient nuls, c'est faire dire à la déclaration de Charles IX ce qu'elle ne dit pas; c'est raisonner comme personne n'eût osé le faire à l'égard des Mariages contractés par des militaires, sans la permission du gouvernement; c'est vouloir, contre la notoriété universelle, que la défense faite à ceux-ci par les anciennes ordonnances, de se marier sans cette permission, emportait la nullité des Mariages qu'ils avaient ainsi contractés; c'est, en un mot, confondre les empéchemens prohibitifs avec les empé

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