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biens en faveur d'un neveu, sous la réserve d'une pension viagère de 700 livres. Quelque temps après, il avait été pourvu d'une commanderie de 500 livres de revenu; et, sous ce prétexte, François de Vissec, tuteur du fils du neveu donataire, avait prétendu ne plus lui devoir la pension de 700 livres qu'il s'était réservée par la donation. La contestation portée devant le sénéchal de Montpellier, Charles de Vissec, père du donataire, condamné au bannissement perpétuel hors du royaume, par arrêt du 28 juillet 1667, était intervenu et avait demandé que François de Vissec fût, en sa qualité de tuteur de son petit-fils, condamné à lui payer une pension alimentaire. Le tuteur avait opposé à celui-ci sa Mort civile, et il en avait inféré, en citant Brodeau sur Louet, lettre S, §. 15, qu'il était incapable d'ester en jugement, sauf à lui, disait-il, d'agir pour alimens par les voies de droit, c'est-à-dire, par le ministère du procureur-général. Le sénéchal de Montpellier ayant, sur l'un et l'autre point, rejeté les prétentions du tuteur, le procès avait été porté par appel au parlement de Toulouse, et distribué à la deuxième chambre des enquêtes.

des

» L'arrêt (dit l'auteur du Supplément au Journal du palais de Toulouse, tome 1, page 288), à l'égard de Jean de Vissec (chevalier de Malthe), démit François (le tuteur) de son appel et confirma la pension de 700 livres; mais quant à Charles de Vissec (Mort civilement), il y eut partage. M. de Charlory, rapporteur, était d'avis de débouter Charles des alimens par fin de non-valoir, comme ne pouvant pas ester en jugement. M. de Resseguier était, au contraire, d'avis de lui donner 550 livres pour alimens. Le partage porté de la deuxième chambre des enquêtes à la troisième, et de celle-ci à la première, fut enfin vidé (le 18 août 1725), à l'avis de M. de Resseguier, compartiteur; de sorte qu'on jugea que le condamné à Mort civile pouvait ester en jugement, du moins pour demander des alimens (1).

» Le deuxième volume du même recueil nous offre, page 92, un autre arrêt de la même cour, qui est peut-être encore plus remarquable, en ce qu'il prouve que l'incapacité des

par

(1) L'arrèt ajoute que ladite somme de 550 livres ser a payée audit Charles de Vissec à la diligence du substitut du procureur général; et l'on voit là combien Serres s'est trompé sur cet arrêt, lorsqu'il l'a cité dans ses Institutions au droit français, comme jugeant que « le condamné à Mort eivile ne >> peut poursuivre le paiement ( d'un legs d'alimens), que par le ministère de M. le procureur général ou de » ses substituts ».

TOME X.

religieux d'ester en jugement, même pour leurs pensions viagères, provenait uniquement de leur incapacité de rien posséder en propre, et qu'elle cessait toutes les fois qu'il s'agissait d'objets étrangers au vœu de pauvreté qui était la source de cette deuxième incapacité. Voici les termes de l'arrêtiste :

» Le 17 juin 1733, audience tournelle, pré-` sident M. de Puget, il fut jugé qu'un religieux avait puporter plainte en action d'injures.

» Le père Joubar, religieux minime de la province du Dauphiné, ayant été en marché, à Toulouse, d'un cheval, avec le sieur de Roche, de la ville du Puy, et ayant promis de le prendre dans huit jours, fut, pour n'en avoir plus voulu, menacé de coups de báton, et grièvement insulté par le dit de Roche. Plainte aux capitouls : décret au corps contre le sieur de Roche. Celui-ci donna requête en relaxe et cassation du décret, sur le fondement que ce religieux étant mort au monde, ne pouvait ester en jugement; et il fut (en effet) relaxé avec dépens. Le syndic de la province des minimes du Dauphiné en releva appel, et soutint que la maxime alléguée ne pouvait avoir lieu que pour le droit civil, c'est-à-dire, pour toutes autres actions que celle d'injures qui était du droit des gens, et conséquemment permise à tout le monde; qu'il en était du religieux, comme du fils de famille, qui, quoiqu'en puissance de père, pouvait agir lui-même par action d'injures, si son père était absent, et s'il n'avait pas fondé procureur (loi 17, D. de injuriis). Sur quoi, la cour, mettant l'appellation et ce dont avait été appelé au néant, condamna le sieur de Roche en 200 livres pour tous dépens, dommages et intérêts envers le père Joubar.

» Nous disions tout-à-l'heure que Brodeau était cité dans l'affaire de Jean et Charles de Ruffec, comme enseignant que la Mort civile emporte l'incapacité d'ester en jugement. En effet, voici comme il s'exprime à l'endroit cité : Celui qui est banni à perpétuité du royaume est incapable d'agir et d'ester en jugement; NON IDEM de celui qui n'est banni que pour un temps. Mais sur quoi fonde-t-il la première de ces deux propositions? Sur rien. Il se borne à renvoyer à la lettre B, §. 17, où il est dit: Jugé en l'audience (du parlement de Paris), le lundi 16 septembre 1607, que celui qui n'est banni que du ressort du parlement de Paris, peut agir.

» A la vérité, il est ajouté au même endroit : NON IDEM de celui qui est banni du royaume. >> Mais l'auteur ne justific par aucune raison, 34

par aucune autorité, cette addition qui est d'ailleurs beaucoup trop générale, puisque, prise à la lettre, elle s'appliquerait au banni à temps comme au banni à perpétuité.

» Combien est plus raisonnable, plus judicieuse, plus fondée en principes, la doctrine que professe, sur cette matière, l'auteur de la Procédure civile du Châtelet (Pigeau), tome 1, page 64: Il faut ( dit-il) que celui qui veut intenter une action, soit capable des effets du droit d'où elle procède; autrement, l'action ne pouvant lui appartenir, il ne peut l'exercer. Ainsi, pour en intenter une qui dérive du droit naturel, l'existence suffit: pour en intenter une du droit des gens, il faut étre capable des effets du droit des gens ; et pour en intenter une du droit civil, il faut étre citoyen.

» Ce peu de mots renferme toute la théorie des incapacités d'ester en jugement.

des

» Il en résulte clairement que le religieux qui ne participe plus au droit des gens, quant à la faculté de posséder des biens et de contracter, mais qui participe encore au droit naturel, ne peut plus agir en justice pour intérêts pécuniaires, mais qu'il peut encore, comme l'a jugé formellement l'arrêt du parlement de Toulouse, du 17 juin 1733, poursuivre la réparation des outrages qu'il a reçus dans sa personne.

» Il en résulte aussi que le condamné au bannissement perpétuel qui ne participe plus au droit civil, mais qui participe encore au droit naturel et au droit des gens, ne peut plus exercer, soit une action en retrait lignager, soit une action en délaissement d'hérédité, soit une action en délivrance de legs; mais qu'il peut encore agir en réparation d'injures, ou en exécution d'une transaction commerciale qu'il a faite.

» Il en résulte par conséquent que le sieur de Brivazac, tout Mort civilement qu'il était en germinal an 7, par l'effet de son inscription sur la liste des émigrés, a pu néanmoins poursuivre, à cette époque, la rescision de la vente qu'il avait faite en frimaire an 3, et qu'il n'avait pu faire que parcequ'alors, comme en l'an 7, il était, nonobstant sa Mort civile, capable de tous les effets du droit des gens.

» Et vainement chercherait-on ici à établir une différence entre le Mort civilement par émigration et le Mort civilement par toute autre cause. Vainement dirait-on que les lois défendant de rien payer à l'émigré, lui ôtaient, par cela seul, toute action contre ses débiteurs; que sa présence sur le territoire francais étant considérée comme un crime, il était,

par cela seul, impossible qu'il se présentât en personne devant nos tribunaux; et que toute correspondance entre lui et les républicoles étant interdite, il ne pouvait, par cela seul, comparaître en justice par le ministère d'aucun fondé de pouvoir.

>> D'une part, la défense de rien payer aux émigrés, n'avait été prononcée que dans l'intérêt du fisc ; et cela est si vrai que, par l'arrêt déjà cité, du 15 ventôse an 12, vous avez jugé qu'une quittance délivrée par un émigré pendant son émigration, était obligatoire de lui au créancier qu'il avait libéré. D'un autre côté, la défense faite aux émigrés, de rentrer sur le territoire français, la défense faite aux républicoles de correspondre avec les émigrés, n'étaient prononcées que dans l'intérêt de la sûreté publique. Il n'appartient donc à aucun particulier de se prévaloir de l'une ou de l'autre de ces défenses, pour en tirer, dans son intérêt privé, une exception contre une demande formée à sa charge par un prétendu émigré que le fisc laisse en possession de ses biens, et dont la haute police souffre la présence sur le territoire français.

>> Nous ne devons pourtant pas dissimuler que Richer, dans son Traité de la Mort civile, page 251, soutient, en modifiant l'opinion de Brodeau, que le Mort civilement ne peut, même pour les objets qui ne dépendent que du droit naturel ou du droit des gens, agir en justice qu'assisté d'un curateur créé à sa Mort civile.

› Mais cette assertion,qui est aujourd'hui une loi pour nous, d'après l'art. 25 du Code civil, qu'était-elle en germinal an 7, c'est-à-dire, au temps où le sieur de Brivazac a intenté son action rescisoire ? Rien autre chose qu'un système condamné par les lois romaines, par la jurisprudence des parlemens d'Aix, de Dijon et de Toulouse, par celle du grand conseil, et qu'on pouvait tout au plus regarder comme accueilli par le parlement de Bordeaux.

» Et ce système, sur quoi Richer l'appuiet-il? Sur cette seule raison: Les juges ne sont établis que pour maintenir les lois de l'État, et les faire exécuter. Les lois de l'État sont les lois civiles; elles ne sont point faites pour ceux qui sont dans les liens de la Mort civile, puisqu'elles les ont bannis de la société. Ils ne peuvent donc en implorer l'assistance.

» Mais 10 cette raison devrait conduire Richer bien au-delà du point auquel il s'arrête pourtant lui-même : elle devrait lui faire dénier toute action aux Morts civilement, soit qu'ils se présentassent seuls, soit qu'ils se fissent accompagner de curateurs.

20 Les lois civiles autorisent, en termes exprès, les Morts civilement à faire tous les actes, tous les contrats, qui ne dépendent que du droit des gens; elles sont donc, quant à ces actes, quant à ces contrats, faites pour les Morts civilement comme pour les citoyens; les Morts civilement peuvent donc, comme les citoyens, implorer l'assistance de ces lois.

» Et c'est précisément ainsi que raisonne Prost de Royer, dans la nouvelle édition du Dictionnaire des arrêts de Brillon, au mot Assignation, no 37: Puisque les lois (dit-il) considèrent les condamnés, Morts civilement, comme capables de commercer, elles les considèrent donc comme capables d'ester en jugement, pour fait de leur commerce. Mais la capacité de commercer entraîne aussi celle d'acquérir et d'aliéner; les condamnés commerçans sont donc capables d'agir en justice, pour se maintenir dans la possession et dans la propriété de ce qu'ils ont acquis. Les lois leur permettent encore de recevoir des pensions alimentaires, soit par testament, soit par donation entre-vifs; elles leur permettent donc d'agir en justice, pour réclamer les arrérages de leur pension, s'il leur en est dú, ou pour réclamer la pension même, si on la leur conteste. Sans cette faculté d'ester en jugement, il est évident que celle de commer

cer, d'acquérir, d'aliéner, et de recevoir, que les lois accordent au condamné Mort civilement serait illusoire. Nous croyons méme que, si le condamné n'avait aucun commerce, aucune pension viagère, aucun moyen de subsistance, il pourrait faire assigner ses enfans, pour obtenir d'eux des alimens: il le pourrait en vertu de la piété filiale, qui est un des effets du droit des gens, et que la privation de l'être civil ne lui óte pas. Cette privation n'ayant pu également lui faire perdre les actions du droit naturel qui tendent à la conservation de la vie et de l'honneur, nous croyons aussi qu'il pourrait ester en jugement en matière criminelle.

» Et c'est, continue Prost de Royer, ce qu'a jugé formellement un arrêt du parlement d'Aix, du 18 février 1713, rapporté dans le recueil de Bonnet, page 272:

» Le nommé Toscan est condamné aux galères perpétuelles. Étant dans celle du port de Marseille, une femme l'insulte et l'outrage. Il porte sa plainte devant le lieutenant (de la sénéchaussée); la procédure s'instruit: demande de la femme en nullité des poursuites, sur le motif que la Mort civile de Toscan l'avait rendu sans action: sentence qui condamne la femme à une amende, tant envers le roi qu'envers Toscan et aux dépens. Appel

de la femme en la cour..... L'arrêt réforme la sentence, quant au chef qui condamnait la femme à une amende envers Toscan; mais il la confirme pour tous les autres chefs. Il fut donc jugé que le Mort civilement était recevable à se plaindre des offenses qui lui étaient faites.....

» Ici l'auteur rappelle l'opinion de Richer : Richer pense (dit-il) qu'un homme Mort civilement ne peut paraître en justice, qu'assisté d'un curateur créé à sa Mort civile ; et que ce n'est qu'avec ce curateur que la procédure peut être faite en règle : il ajoute que cette assistance lui est nécessaire, tant en demandant qu'en défendant, pour les actions civiles; et en demandant seulement pour les actions criminelles. Cependant il ne paraît pas que, dans l'espèce de l'arrêt que nous venons de rapporter, il eút été donné de curateur à Toscan, quoiqu'il fut demandeur: il faut, à cet égard, suivre l'usage des tribu

naux.

>>Remarquez, Messieurs, ces derniers termes il faut, à cet égard, suivre l'usage des tribunaux. Il en résulte clairement que, dans l'opinion de Prost de Royer, c'est l'usage seul qui doit décider cette question; et que, de quelque manière que cette question soit jugée par un tribunal, on ne peut jamais dire que ce tribunal ait violé une loi quelconque.

>>> Cette proposition était parfaitement exacte, à l'époque où Prost de Royer l'écrivait, au moins pour les pays qu'on appelait alors coutumiers, et même pour ceux des pays de droit écrit, tels peut-être que la Guyenne, où l'usage avait dérogé aux lois romaines que nous avons eu l'honneur de vous retracer.

» Et c'est par là que nous allons répondre à une autorité bien plus imposante que les opinions de Brodeau et de Richer, à un arrêt de la section civile du 23 novembre 1808, dont voici l'espèce :

» Le 11 ventôse an 6, la dame de Faillens, inscrite sur la liste des émigrés, mais résidant et ayant toujours résidé en France, jouissant de tous ses biens, à défaut de séquestre, et exerçant librement tous ses droits, fait assigner devant le tribunal civil du département de la Nièvre, le commissaire du gouvernement près l'administration du même département, comme représentant le sieur de Rémigny, son frère, émigré; et à l'aide de moyens de fait qui n'avaient aucune ombre de fondement, mais sur lesquels elle espérait qu'il n'y aurait pas de contradiction, elle conclut à la nullité du testament de son père, décédé le 14 janvier 1787.

» Le 14 fructidor an 7, jugement qui déclare

en effet le testament nul, et ordonne le partage de la succession ab intestat.

» Le 12 vendémiaire an 8, la dame de Faillens fait signifier ce jugement au commissaire du gouvernement près l'administration départementale. Point d'appel de la part de celui-ci, pendant les trois mois.

» En l'an 9, la dame de Faillens apprend qu'elle est inscrite sur la liste des émigrés; elle sollicite son élimination, et l'obtient le 22 fructidor de la même année.

Le 22 brumaire an 10, le sieur de Remigny, son frère, est également éliminé.

D

Le 25 floréal suivant, la dame de Faillens, voulant réparer une nullité de forme qu'elle avait remarquée dans l'exploit de la signification qu'elle avait faite le 12 vendémiaire an 8, du jugement du 14 fructidor an 7, fait de nouveau signifier ce jugement au domicile de son frère.

guait pas même avoir réclamé, dans le délai, contre ces inscriptions ; qu'au contraire, elle n'avait été éliminée que le 22 fructidor an g, postérieurement à la loi du 12 ventóse an 8; » Qu'ainsi, la cour d'appel de Bourges s'est conformée à l'art. 1 de la loi du 28 mars 1793 et à la loi du 12 ventóse an 8, en décidant que la demanderesse a été en état de Mort civile, pendant toute la procédure qui a eu lieu dans les années 6 et 7, devant le tribunal de Ne

vers;

» Qu'il est encore de principe, qu'un indivi du frappé de Mort civile, est incapable d'exer cer les actes qui ont leur fondement dans le droit civil, tels que les assignations, les demandes en justice et les significations ; surtout lorsqu'on prétend exercer de pareils actes en qualité d'héritier, et que l'on réclame une succession;

⚫ Que la nullité de ces actes, résultant de l'état de Mort civile pour cause d'émigra

» Celui-ci interjette aussitôt appel de ce jugement, et demande qu'il soit déclaré nul, ainsition, n'a pas seulement été établie dans les que toutes les procédures dont il a été précédé, attendu que la dame de Faillens n'a pas pu agir en justice, pendant qu'elle était en état de Mort civile.

Le 9 juillet 1807, arrêt de la cour d'appel de Bourges, qui, accueillant ce système, déclare le tout nul, et renvoie les parties à se pourvoir sur le fond, par les voies de droit.

>> Recours en cassation de la part de la dame de Faillens: elle soutient, entre autres choses, 1o que cet arrêt lui a faussement appliqué les lois qui réduisent les émigrés à l'état de Mort civile, attendu que jamais elle n'a quitté le territoire français; 2• qu'eût-elle été réellement en état de Mort civile, à l'époque où avait été rendu le jugement du 14 fructidor an 7, elle n'en aurait pas moins été capable de poursuivre ses droits en justice contre tout autre que la nation; que la nation seule aurait pu exciper contre elle de sa prétendue incapacité; et que, loin d'en exciper contre elle devant le tribunal civil de la Nièvre, l'agent de la nation avait procédé avec elle comme avec une partie ayant toutes les qualités requises pour ester en jugement.

» Sur ces moyens, Messieurs, vous avez, par arrêt du 3 mai 1808, admis la requête de la dame de Faillens.

» Mais l'affaire portée à la section civile, arrêt y est intervenu, le 23 novembre suivant, par lequel,

Allendu qu'il était constant en fait, dans l'espèce,que la demanderesse avait éte inscrite sur la liste des emigres du département de la Nièvre, en l'an 2, et portée sur la liste générale arrêtée le 15 thermidor an 3; qu'elle n'allé

intérêts du fisc, mais est de droit public, et peut être opposée en tout état de cause, méme en appel, par les particuliers qui y ont intérét....;

» La cour rejette le pourvoi....

» Vous voyez, Messieurs, que, dans cette espèce, la question n'était pas précisément, comme dans celle-ci, de savoir si la dame de Faillens avait pu ester en jugement pendant sa Mort civile; que la dame de Faillens, qui avait tant d'intérêt de soutenir que la Mort civile ne rend pas celui qui en est frappé, incapable d'ester en jugement, ne le soutenait cependant pas; qu'elle cherchait seulement à éluder l'application que la cour d'appel de Bourges lui avait faite de ce prétendu principe; que la section civile, trouvant les deux parties d'accord sur ce prétendu principe,l'a regardé comme constant, et ne s'est plus occupée que de l'application qui en avait été faite par la cour d'appel de Bourges à la dame de Faillens ; et que, ne trou. vant, dans cette application, aucune loi violée, elle a rejeté la demande en cassation sur laquelle il s'agissait de statuer.

» Et c'est déjà plus qu'il n'en faut pour que cet arrêt ne puisse pas faire autorité dans notre espèce, surtont si nous considérons qu'il a dù être singulièrement influencé par le fait bien reconnu que le jugement du 14 fructidor an 7 n'avait été rendu que par collusion.

» Mais il y a plus. Quand même le prétendu principe de l'incapacité du Mort civilement d'a gir en justice, aurait été contesté par la dame de Faillens,l'arrêt de la cour d'appel de Bourges aurait encore dû être maintenu par la section civile; pourquoi? Parce qu'à l'époque où avaient

été faites les procédures, où avait été rendu le jugement que la cour d'appel de Bourges avait déclaré nul, ce prétendu principe n'était con. damné que par les lois romaines, c'est-à-dire, par des lois qui n'avaient jamais eu d'autorité législative dans le département de la Nièvre; parcequ'en basant son arrêt sur ce prétendu principe, la cour d'appel de Bourges n'avait violé aucune loi existante; parceque trouvant, sur la capacité ou l'incapacité des Morts civilement d'agir en justice, la jurisprudence du parlement de Paris muette, et celle des parlemens de Toulouse, de Dijon et d'Aix en opposition avec celle du parlement de Bordeaux, elle avait pu s'en tenir à la jurisprudence du parlement de Bordeaux, de préférence à celle des parle

mens de Toulouse, d'Aix et de Dijon.

» Si la cour d'appel de Bourges eût, dans cette affaire, prononcé en faveur de la dame de Faillens, si elle eût jugé que la dame de Faillens avait pu ester en jugement pendant sa Mort civile, son arrêt aurait-il pu être cassé de ce chef? Non certainement, et vous auriez rejeté le recours du sieur de Remigny, encore qu'il se fût agi de droits successifs; car ces droits successifs n'étaient pas échus à la dame de Faillens pendant sa Mort civile, ils lui étaient échus dès 1787, quatre ou cinq ans avant son inscription sur la liste des émigrés.

Ces droits successifs étaient donc entrés dans la propriété de la dame de Faillens pendant qu'elle jouissait de son état. Ils étaient donc, à son égard, sous l'empire du droit des gens, protecteurs des propriétés même acquises par le droit civil. La dame de Faillens avait donc eu qualité, quoique Morte civilement, pour défendre ces droits successifs, comme elle l'aurait eue pour défendre toute autre propriété qui lui serait advenue précédemment.

>> Et à combien plus forte raison ne devonsnous pas dire ici, qu'en jugeant que le sieur de Brivazac a eu qualité pour demander, pendant son inscription sur la liste des émigrés, la rescision d'une vente qu'il avait faite dans le même état, la cour d'appel de Bordeaux n'a, par l'arrêt qui vous est dénoncé, contrevenu à

aucune loi?

» Et en effet, disait M. l'avocat-général de Labriffe, dans son plaidoyer du 7 septembre 1768, d'où dérive la faculté d'ester et d'actionner en jugement? N'est-ce pas de celle de contracter à laquelle elle est nécessairement attachée ?

»Or, le sieur de Brivazac avait eu, nonobstant son inscription sur la liste des émigrés, la capacité de vendre le domaine de la Sale. Il a donc eu aussi et nécessairement la capacité d'actionner

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» Comme si les lois romaines ne nous dinairement introduit cette action, par la simple saient pas elles mêmes, que le préteur a origiæquitatem secutus ! Comme s'il n'était pas de impulsion de l'équité naturelle, naturalem droit naturel, qu'une convention n'est pas obligatoire, alors qu'elle est l'effet de l'erreur, du dol ou de la violence, alors par conséquent qu'elle renferme une lésion énorme au préjudice de l'une des parties, puisqu'une pareille lésion n'est jamais que l'effet, ou de la violence, ou du dol, ou de l'erreur ! Comme si les lois civiles avaient fait autre chose, à cet égard, que déterminer le degré auquel la lésion doit s'élever pour autoriser la rescision d'un contrat !

»C'est assez, c'est peut être trop nous étendre sur le premier moyen de cassation du sieur Gauthier. Un mot sur le deuxième, et nous finissons.

»La cour d'appel de Bordeaux, dit le sieur Gauthier, en admettant le sieur de Brivazac à demander seul, pour le tout, la rescision d'un contrat de vente dans lequel son frère était intervenu comme co-propriétaire et co-vendeur, a violé les lois romaines et les articles du Code civil qui ne permettaient de l'admettre à exercer cette action que pour la moitié du domaine de la Sale.

>> Mais,bien loin de violer ces lois, la cour d'ap

il

pel de Bordeaux les a expressément reconnues : Si le sieur de Brivazac,a-t-elle dit,n'avait été propriétaire que de la moitié du domaine, n'aurait pu exercer son action que pour la part qu'il y avait.

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» Qu'a donc fait la cour d'appel de Bordeaux? Elle a jugé que le sieur de Brivazac était, au moment de la vente qu'il avait faite du domaine de la Sale, propriétaire de la totalité de ce domaine ; qu'il l'était notoirement ; qu'il l'était au vu et su de la dame de Saint-Sirgues; et qu'il n'avait fait intervenir son frère dans le contrat, que pour d'autant mieux tranquilliser la dame de Saint-Sirgues, en lui procurant une double garantie.

» La cour d'appel de Bordeaux n'a donc jugé,

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