Page images
PDF
EPUB

Dire, comme le faisaient ces lois, qu'un Notaire ne pouvait pas instrumenter seul, c'était sans doute faire entendre que tout acte qui n'était pas passé devant un Notaire et deux témoins, devait l'être devant deux Notaires, et par conséquent que le Notaire en second dedeux que vait y coopérer de la même manière témoins coopéraient à la passation d'un acte dressé par un seul Notaire, c'est-à-dire, en assistant à la confection de l'acte d'un bout à l'autre; mais ce n'était pas le prescrire textuellement; et de l'absence d'une disposition textuelle sur ce point, les Notaires, toujours entichés de leurs anciennes prétentions condamnées par l'ordonnance de 1498, ne manquèrent pas de conclure qu'un Notaire en second remplissait suffisamment le vœu de ces lois par la seule apposition de sa signature aux actes rédigés par son confrère, et signés tant par celui-ci que par les parties contractantes hors de sa présence.

C'était assurément raisonner fort mal; car Je mode de coopération du Notaire en second à l'acte dans lequel figuraient deux Notaires, ne pouvait pas judicieusement différer du mode de cooperation des témoins à l'acte reçu par un Notaire seul; mais ce n'était pas aller directement contre le texte des lois citées ; et ce raisonnement, tout vicieux qu'il était, parut suffisant pour introduire l'usage dont il s'agit.

Je dis, en second lieu, que cet usage fut reconnu et approuvé par un grand nombre

d'arrêts.

En effet, il prit tellement racine et fit tant de progrès, que les cours souveraines, qui pouvaient et devaient le réprimer avec la même vigueur qu'elles réprimaient l'habitude dans laquelle étaient certains Notaires de faire signer après coup par les témoins, les actes qu'ils recevaient seuls (1), se bornêrent à le régle

menter.

C'est ce qu'attestent les auteurs du Nouveau Dénisart, aux mots Acte notarié, §. 7, no 13: Suivant l'usage constant (disent-ils), il n'est pas nécessaire que les actes passés devant deux >> notaires, aient été faits en présence de tous deux. La présence d'un seul suffit; et l'on se l'on » contente de la signature de l'autre, que » nomme le Notaire en second. Jousse, Traité de l'administration de la justice, part. 5, » tit. 2, no 50, cite un grand nombre de régle>> mens qui autorisent cet usage ».

Nous lisons aussi dans le Traité des droits, priviléges et fonctions des Notaires au Chá

(1) Voyez notamment l'arrêt de réglement du parlement de Paris, du 4 décembre 1703, rapporté au journal d'audiences de cette cour, tome 5, liv. 3, chap. 44.

telet de Paris, publié par le Notaire Langlois en 1738,que « l'art. 14 des statuts et réglemens » de la communauté des Notaires au Châtelet de Paris, homologués au parlement, par ar» rêt du 13 mai 1681, porte que lesdits Notai>> res seront obligés de signer l'un pour l'autre, » les actes et contrats non contraires aux or» donnances et bonnes mœurs, dont ils seront » requis, sans le pouvoir refuser ».

Je dis, en troisième lieu, qu'avant la loi du 25 ventôse an 11, la puissance législative avait reconnu et approuvé cet usage; et en effet, Dénisart, au mot Notaire, no 75, après avoir cité l'art. 14 des statuts des Notaires de Paris, comme dérogeant au principe « qu'un seul No

taire ne peut donner la forme authentique » aux actes qu'il reçoit, et qu'il faut que ces actes soient passes devant deux Notaires, ou devant un Notaire et deux témoins », ajoute: « Les Notaires de Lyon ont été dispensés, par un édit du mois d'octobre 1691, registré le 21 novembre suivant, de prendre, à l'avenir, des témoins pour signer les actes avec eux à la charge de les faire signer en second par un de leurs confrères, comme les Notaires de Paris, sans néanmoins rien innover à l'usage établi par les testamens solennels.

» La déclaration du 4 septembre 1706, enregistrée le 18 du même mois, donnée en interprétation de l'édit du mois de mars précédent, portant création de Notaires-syndics dans les villes et bourgs du royaume, ordonne même que les Notaires syndics ne pourront être repris pour les actes qu'ils auront signés en second, mais seulement pour ceux qu'ils auront passés comme Notaires ».

Ce fut même à raison de l'approbation que le législateur avait donnée par ces lois à l'usage dont il s'agit, et parcequ'il ne pouvait pas s'en dissimuler les graves inconvéniens, qu'il voulut au moins, par l'art. 48 de l'ordonnance de 1735, empêcher, comme l'avait déjà fait l'art. 289 de la coutume de Paris, que cet usage ne fût appliqué aux testamens par acte public, et qu'à cette fin, il déclara coupables de faux et passibles de la peine de mort, les Notaires qui auraient signé les testamens, codi cilles et autres actes de dernière volonté, ou les actes de suscription des testamens mystiques, sans avoir vu le testateur et sans avoir entendu prononcer ses dispositions, et les lui avoir vu présenter lors de laditte suscription.

Mais qu'est devenu cet usage, lorsqu'à paru la loi du 25 ventôse an 11 ? Bien certainement il a dû cesser dès ce moment même.

Il a dû cesser, parceque, se trouvant en op

position diametrale avec l'art. 9 de cette loi qui veut que tous les actes notariés soient reçus ou par deux Notaires, ou par un Notaire assisté de deux témoins, il n'a plus été possible de l'étayer du prétexte qui en avait amené l'introduction.

Il a dû cesser surtout, parceque cette loi déclare expressément, art. 69, que toutes lois précédentes qui concernent le notariat, sont abrogées en ce qu'elles ont de contraire à la présente; parcequ'elle abroge formellement, par là, les déclarations de 1691 et 1706 qui l'avaient reconnu et autorisé; parcequ'abroger des actes législatifs qui reconnaissent et approuvent un usage abusif, c'est nécessairement frapper cet usage lui-même de réproba

tion.

Il est donc évident qu'on ne peut plus, à l'appui du prétendu usage dans lequel sont aujourd'hui les Notaires de signer en second, hors la présence des parties, les actes dressés par leurs confrères, se prévaloir de l'usage qui s'était établi à cet égard avant la loi du 25 ventôse an II.

Mais dès que ce prétendu usage se trouve ainsi isolé et réduit à lui-même, quelle déférence peut-il mériter de la part des tribunaux? Que l'usage puisse abroger la loi, lorsqu'il est général, lorsqu'il n'offense, ni la raison, ni l'ordre public, ni les bonnes mœurs, et surtout lorsqu'il est d'ailleurs confirmé par une longue suite de jugemens, j'en conviens, et c'est ce que j'ai moi-même établi à l'article Opposition aux jugemens par défaut,

§. 7.

Mais on doit convenir aussi, il est même universellement reconnu, comme je l'ai prouvé dans le Répertoire de jurisprudence, au mot Usage, §. 2, que la loi doit toujours l'emporter sur un usage qui, quelque général, quelqu'invétéré qu'il soit, se trouve contraire, soit à la raison, soit aux bonnes mœurs, soit à l'ordre public.

Or, en supposant que l'usage dont il s'agit, ne blesse niles bonnes mœurs ni l'ordre public,quoiqu'il ouvre manifestement la porte à des faux de toute espèce, à des suppositions frauduleuses de personnes et de conventions, il est du moins impossible de ne pas reconnaître qu'il blesse souverainement la raison et qu'il est marqué au coin de l'absurdité la plus choquante.

Quoi de plus déraisonnable, quoi de plus absurde qu'une routine d'après laquelle un Notaire serait censé avoir reçu un acte conjoin. tement avec son confrère, c'est-à-dire, avoir coopéré avec celui-ci à son entière confection, quoiqu'il n'eût fait que le signer après coup et TOME X.

[ocr errors][ocr errors]

en l'absence des parties; d'après laquelle le faux qu'il commettrait par là, prendrait le caractère d'une vérité constante et irréfragable; d'après laquelle on tiendrait pour licite de sa part, ce qui constituerait un crime et un crime punissable des travaux forcés à perpétuité, de la part des témoins instrumentaires bien moins à portée que lui de connaître leurs devoirs, et par conséquent bien plus excusables que lui de les avoir violés; d'après laquelle enfin un Notaire qui aurait seul rédigé un acte, qui l'aurait seul vu signer par les parties contractantes, ou aurait seul reçu leurs déclarations de ne savoir ou de ne pouvoir pas le signer, ferait foi de l'exactitude de sa rédaction, de la vérité des signatures qui y sont apposées, ou de la réalité de déclarations propres à en tenir lieu?

Que cette routine fût tolérée dans l'ancienne jurisprudence, il le fallait bien, puisque le législateur l'avait ainsi voulu, et qu'il n'était pas au pouvoir des tribunaux de déclarer qu'il avait eu tort de le vouloir. Mais aujourd'hui que le législateur a expressément révoqué, par l'art. 69 de la loi du 25 ventôse an 11, l'approbation dont il avait eu précédemment la faiblesse de la revêtir, quel prétexte les tribunaux peuvent-ils encore avoir pour la tolérer, alors que la loi 2, C. quæ sit longa consuetudo, déclare si positivement que l'usage ne peut jamais prescrire contre la raison : Consuetudinis ususque longævi non vilis auctoritas est, verùm non usque adeò sui valitura momento, ut rationem vincat....? Et comment peuvent-ils ne pas sentir que c'est pour eux un devoir sacré de la réprimer par tous les moyens qui sont à leur disposition?

Inutile de dire avec l'arrêt de la cour royale de Rennes, du 29 juin 1824, que cette routine prend au moins le caractère d'une erreur commune, et qu'elle doit, tant qu'elle subsistera, garantir la validité des actes faits sous son influence, suivant la maxime ERROR

COMMUNIS FACIT JUS.

[ocr errors]

Que signifie cette maxime? Rien autre chose si ce n'est, comme le disent les auteurs du Nouveau Dénisart, au mot Erreur, §. 4, que lorsqu'un fait faux a été long-temps regardé » comme vrai par un grand nombre de person» nes; lorsqu'il avait tellement les apparences » de la vérité, qu'il était presque impossible » de n'y être point trompé, personne ne doit » souffrir de l'erreur dans laquelle il a été en» traîné; il est conforme à l'équité de déclarer » valables les actes qui ont eu l'erreur pour » base, quoique, suivant la rigueur du droit, » on pût les déclarer nuls » : et encore est-il à remarquer que la maxime error communis

46

facit jus n'est admise dans ce cas, qu'avec des distinctions et sous les conditions expliquées dans le Répertoire de jurisprudence, aux mots Témoin instrumentaire, §. 2, no, 3-260. Mais appliquer cette maxime à une erreur de droit, telle que serait celle qui ferait considérer comme reçu par deux Notaires, l'acte que le Notaire en second n'aurait signé qu'après coup et sans voir les parties contractantes, c'est ce qui est au-dessus du pouvoir des tribunaux. Il n'y a alors que le législateur qui puisse, par son autorité suprême, couvrir les nullités qu'une pareille erreur a fait commettre; témoins, entr'autres, les déclarations du roi, des 6 mars 1751 et 16 mai 1763, la loi du

8-10 septembre 1791 et celle du 4 septembre 1807, rapportées dans le Répertoire de jurisprudence, au mot Testament, sect. 2, §. 2, art. 4, no 1, et art. 6, no 2; Signature, §. 3, art. 2, no 4, et Inscription hypothécaire, §. 5, no I I.

Plus inutile encore de dire, avec le même arrêt, que, depuis la publication de la loi du 25 ventôse an 11, aucune menace, ni même aucun témoignage d'improbation publique de la part du gouvernement ou de ses agens, ne sont venus avertir les Notaires des dangers auxquels ils s'exposent, eux et leurs parties, en s'écartant ainsi des dispositions de la

loi.

D'abord, rien à conclure ici du silence des agens du gouvernement sur l'abus contre lequel s'élèvent tous les bons esprits : les agens du gouvernement ne pourraient pas légitimer cet abus par leur acquiescement exprès ; et à plus forte raison ne le peuvent-ils pas par leur

silence.

Ensuite, quand on supposerait que le gouvernement connaît cet abus, quelle conséquence pourrait-on tirer de ce qu'il n'a pris jusqu'à présent aucune mesure administrative pour le faire cesser? On ne pourrait raisonnablement en tirer qu'une seule : c'est que le gouvernement se repose du soin de réprimer cet abus, et sur le zèle de ses agens, et sur l'intérêt privé des parties, et sur les devoirs des magistrats.

Enfin, il ne faut pas oublier que deux conditions sont essentiellement requises pour qu'une loi puisse être abrogée par un usage général: la première, que cet usage soit, d'après sa publicité, présumé connu et tacitement toléré par le gouvernement; la seconde, qu'il ne blesse pas la raison, et qu'il n'offre rien d'absurde, rien de contraire à l'essence des choses. Que la première de ces conditions se rencontre ici, soit; *mais du moins la seconde manque absolument ; et dès-là, nulle possibilité que l'usage ait

seul abrogé les dispositions des art. 9 et 68 de la loi du 25 ventôse an 11.

Y a-t-il plus de justesse dans le motif qui a déterminé la cour de cassation à confirmer, par royale de Rennes, du 29 juin 1824 ? Il est péson arrêt du 14 juillet 1825, celui de la cour nible de le dire, et pourtant il faut avoir le courage de le dire franchement, parceque les erreurs de la cour suprême, lorsqu'il lui en échappe, s'en faut beaucoup. Ce motif est que la jurispru sont les plus dangereuses de toutes: non, et il dence qui, en cette matière, était reçue dans tous les tribunaux du royaume, long-temps avant les lois nouvelles sur le notariat, s'est,

depuis la publication de ces lois, constamgénéralité et de publicité. Mais où sont les arrêts qui, avant celui de la cour royale de Rende la loi du 25 ventôse an 11, avaient établi nes, du 29 juin 1824, et depuis la publication cette prétendue jurisprudence? Il est impossible d'en citer un seul et s'il en existe quelques-uns, on ne peut du moins pas dire, puisqu'ils sont inconnus, qu'ils aient formé une jurisprudence générale et publique; sans compter que, quand même la jurisprudence qu'ils rait un véritable caractère de généralité et de sont gratuitement supposés avoir formée, aupublicité, elle ne suffirait pas encore pour en couvrir la profonde déraison et l'abus manifes te, ut rationem vincat.

ment maintenue avec le même caractère de

Et cependant c'est en reconnaissant que cette prétendue jurisprudence ne date que de l'arrêt de la cour royale de Rennes, du 29 juin 1824, c'est même en avouant avec franchise qu'elle est en contravention manifeste à la loi, d'un dangereux exemple et sujette à de graves inconvéniens, que la cour royale de Bordeaux en a fait l'application en 1826, à une espèce qu'elle avait à juger; mais ce qu'il y a de bien plus étrange, c'est qu'elle l'a faite sans nécessité, par pure surérogation, et quoique la question qui nous occupe ici, formât dans la cause un véritable hors-d'œuvre.

Dans le fait, il avait été passé, le 9 novembre 1825, entre la veuve Laurens et le sieur Langlade, un acte qui, par son préambule, était signalé comme reçu par Me Darrieux, Notaire, et Me Dubois, son confrère.

Quelque temps après, la veuve Laurens, qui n'avait pas signé cet acte,mais seulement déclaré ne pouvoir pas le signer, en a demandé l'annullation, en alléguant que le Notaire Dubois n'y avait pas été présent, et n'y avait apposé sa sig. nature qu'après coup; mais elle s'est bornée à cette allégation, et elle n'a pas pris, pour la faire accueillir, la voie de l'inscription de faux.

C'en était assurément assez pour faire rejeter sa demande. Aussi en a-t-elle été déboutée par le premier juge.

Elle en a appelé à la cour royale de Bordeaux; et là il est intervenu, le 17 juin 1826, un arrêt ainsi conçu :

« Attendu que l'acte du 9 novembre 1825, passé devant Darrieux, aîné, et Dubois, son collègue, Notaires à Bordeaux, n'a pas été attaqué par la voie de l'inscription de faux, en sorte qu'il fait pleine foi de ce qu'il contient; que rien ne prouve que le Notaire Dubois n'ait pas été présent à la rédaction et à la lecturc de cet acte;

» Qu'en supposant qu'il n'y fût pas présent, d'après les dispositions de l'art. 9 de la loi du 25 ventôse an II, les actes doivent être reçus par deux Notaires, ou par un Notaire assisté de deux témoins; et dans l'art. 68 de cette loi, il est dit que l'oubli de cette formalité rend l'acte nul; d'où il résulte que la présence du seul Notaire rédacteur de l'acte, qui n'est signé par le second Notaire qu'ultérieurement et hors la présence des parties, est une contravention manifeste à la loi qui prononce expressément la peine de nullité de cet acte; que c'est sans doute un dangereux exemple, et un grave inconvénient de concourir à rendre illusoire, par le fait des Notaires, une dispo sition pénale établie par le législateur dans l'intérêt des citoyens, afin de donner à leurs conventions une garantie encore plus étendue et plus authentique; mais que cette contravention est tolérée et pratiquée depuis 25 ans que cette loi existe, sans que le législateur, qui en a eu parfaite connaissance, ait voulu y apporter remède; que bien peu de contractans s'en sont plaints, puisque, dans les recueils de jurisprudence, on ne trouve que l'arrêt de la cour de Rennes, du 29 juin 1824, et celui de la cour de cassation, du 14 juillet 1825, qui, ni l'un ni l'autre, n'ont eu aucun égard à cette nullité prétendue d'un acte, sur ce que la mention de la présence du second Notaire était un faux ou une nullité substantielle;

» Qu'il n'est pas exact de dire que l'arrêt de la cour de cassation s'est borné à juger que l'absence du Notaire en second, lors de la confection de l'acte, ne constituait pas nécessairement un moyen de faux;

» Attendu que cette cour qui avait sous les yeux l'arrêt de la cour de Rennes, dénoncé par le pourvoi, ajoute que la cour de Rennes s'était conformée à une jurisprudence qui, depuis la publication de la loi du 25 ventóse an II, s'est constamment maintenue avec le même caractère de généralité et de publicité;

» Que déclarer nul le contrat passé le 9 novembre 1825, entre la veuve Laurens et Lan

glade, ce serait s'écarter de la jurisprudence proclamée par la cour de cassation, porter le trouble dans presque toutes les familles, en suggérant à des contractans de mauvaise foi le désir, et en leur fournissant les moyens, de faire anéantir des conventions librement et justement souscrites;

» La cour met l'appel au néant.... (1) ».

Pourquoi la cour royale de Bordeaux ne s'estelle pas bornée, dans cette espèce, à motiver son arrêt sur la circonstance si décisive, que la veuve Laurens n'avait pas pris la voie de l'ins cription de faux contre l'acte du 9 novembre 1825? On ne peut en donner qu'une seule rai son: c'est qu'elle a voulu renforcer, par un nouvel arrêt, la jurisprudence qui, de son aveu, n'avait été que commencée par ceux de la cour royale de Rennes, du 29 juin 1824, et de la cour de cassation, du 14 juillet 1825.

Mais les autres cours royales imiteront-elles cet exemple? Consentiront-elles avec la même facilité, à se rendre complices (que l'on me permette de trancher le mot ) d'un abus leuse de la loi ? Ce qui permet d'espérer que aussi choquant, d'une violation aussi scandanon, c'est que déjà et dans l'intervalle de l'arà celui de la cour royale de Bordeaux que je rêt de la cour de cassation du 14 juillet 1825, viens de rappeler, la cour royale de Toulouse en a rendu un diamétralement contraire à l'un et à l'autre. Il y a plus, c'est que son arrêt a été confirmé par la cour de cassation elle-même, trop supérieure aux petites faiblesses de l'amour propre, pour ne pas rétracter franche ment ses propres erreurs ; voici l'espèce :

Le 11 juillet 1823, le sieur Augé, par un testament passé à Toulouse, devant le Notaire Capelle, en présence de quatre témoins, lè. gue à Marie Martin, sa maison, avec tout ce qui en dépend, et le mobilier qu'elle renferme.

Le 19 août suivant, acte pardevant Mes Dondet - Ollier et Capelle, Notaires royaux à la résidence de Toulouse, par lequel le sieur Augé révoque tous les testamens qu'il peut avoir faits précédemment.

Après sa mort, arrivée le 18 avril 1824, Marie Martin se fait expédier par le Notaire Capelle, une expédition du testament du 11 juillet 1823, et cite les héritiers en délivrance de son legs.

Ceux-ci lui opposent l'acte révocatoire du 19 août de la même année.

Marie Martin répond que cet acte est nul,

(1) Journal des audiences de la cour de cassation, année 1826, partie 2, page 221.

parceque le Notaire Capelle, qui y figure en second, ne l'a signé qu'après coup et en l'absence du sieur Augé; elle déclare en outre s'inscrire en faux contre cet acte, et elle en soutient la fausseté par six moyens dont elle offre la preuve.

Jugement qui rejette cinq de ces moyens, et joint au fond le quatrième qu'elle fait résulter de la non-présence du Notaire Capelle à l'entière confection de l'acte du 19 août 1823.

En conséquence, les parties plaident au fond, et les héritiers Augé reconnaissent franchement que le quatrième moyen de faux de Marie Martin est bien fondé en fait, mais soutiennent qu'il ne l'est point en droit, parceque, soit d'après le texte de l'art 9 de la loi du 25 ventôse an 11, soit d'après l'usage qui en aurait au be. soin abrogé la disposition en ce qui concerne les actes reçus par deux Notaires, la non-présence du Notaire Capelle à la rédaction de l'acte dont il s'agit, ne peut pas opérer une nullité.

Jugement définitif qui, en donnant acte à Marie Martin de l'aveu fait par les héritiers Augé, de la non-présence du Notaire Capelle à la rédaction de l'acte du 19 août 1823, déclare le moyen de faux tiré par Marie Martin de cette circonstance, non pertinent; en conséquence, déclare valable l'acte de révocation du testament, du 11 juillet 1823, et déboute Marie Martin de sa demande en délivrance de legs.

Mais sur l'appel de Marie Martin, arrêt du 28 novembre 1825, sur les conclusions conformes de M. l'avocat-général Chabret, par lequel,

« Attendu...., en ce qui touche le moyen joint au fond, qu'il est pertinent et admissible; mais que, demeurant l'aveu fait par les parties de Guiraud ( les héritiers Augé) qu'elles reconnaissent la non-présence du Notaire en second à l'acte de révocation, il n'y a plus lieu qu'à s'occuper si le fait convenu constitue ou non un moyen de nullité;

» Attendu, en ce qui touche la nullité de l'acte de révocation, que l'art. 9 de la loi de ventôse an II, combiné avec l'art. 68, veut, à peine de nullité, que les actes soient reçus par deux Notaires, ou par un Notaire assisté de deux témoins; que le mot recevoir suppose nécessairement la présence de deux Notaires à la rédaction d'un contrat; que cette disposition est trop claire et trop précise, pour qu'elle puisse être l'objet du plus léger doute ou d'incertitude fondée; que c'est, d'ailleurs, d'après le même esprit que toute la loi a été rédigée,

ainsi que cela résulte notamment des art.8,

10 et 11;

» Attendu que l'usage de passer les actes en l'absence du Notaire en second, s'il existe, est en opposition formelle avec la disposition de la loi ; que, dès-lors, ce n'est qu'un abus qui doit être réprimé, ainsi que l'enseigue la cour de cassation, dans son arrêt rendu au sujet de l'huissier Gebory (1);

» Attendu, d'ailleurs, que l'usage invoqué n'a aucun des caractères voulus par les principes du droit pour abroger la loi ; qu'il devrait constituer un long usage, remonter tout au moins à l'époque fixée pour la prescription de long cours, ce qui ne peut avoir lieu à l'égard d'une loi qui n'a que 22 ans d'existence; d'un autre côté, cet usage naurait pour base que l'inexécution donnée à la loi par les Notaires; or, déclarer qu'une loi est abrogée par cela qu'elle aurait été enfreinte par ceux qui auraient dû l'exécuter fidèlement, ce serait boule. verser tous les principes, rendre inutiles toutes les mesures législatives, et renverser les bases de l'ordre social; que cet usage, en lui supposant même une existence légale, pouvait d'auqu'il est constant que, pour les actes de cette tant moins être invoqué dans la cause actuelle, nature, les Notaires de Toulouse les reçoivent toujours assistés de deux témoins, et n'appel lent pas de second Notaire;

» Attendu que l'exécution de la loi doit être encore plus rigoureuse, lorsqu'il s'agit d'actes de dernière volonté ; que de tous les temps on a redoublé de précautions pour que la volonté de l'homme ne fût point altérée ; que, comme nous l'enseignent Pothier et les autres auteurs, l'absence du Notaire en second n'a jamais été tolérée dans les actes de dernière volonté. Vainement vient on prétendre qu'un acte de révocation ne doit pas être rangé dans cette dernière classe ; comme un testament, il est sujet à la volonté ambulatoire de l'homme, n'est enregistré qu'après le décès, et n'a d'effet qu'après le décès; replaçant l'hérédité sur la tête des héritiers naturels, il constitue, à leur égard, une véritable institution; cette vérité, développée par MM. Grenier et Toullier, a été sanctionnée par un arrêt de la cour de cassation, du 17 mai 1824 (2);

» Attendu que l'art. 1035 du Code civil, en n'assujétissant les actes de révocation qu'aux formalités de simples actes, renouvelle les dispositions de la loi de ventôse, en se servant

(1) Get arrêt est rapporté par M. Sirey, tome 11, page 68. (2) V. Le recueil de M. Sirey, tome 24, page 314.

« PreviousContinue »