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de l'essence même des choses, il résulte qu'il a été dans l'intention du législateur de ne rendre la disposition exceptionnelle des art. 89, 94 et 95 du Code civil strictement obligatoire que pour les Mariages qui seraient contractés entre français ; et de laisser, pour ceux qui le seraient entre des militaires français et des femmes étrangères, le choix libre entre cette disposition et celle de l'art. 170?

§. VIII. 10 Les Mariages contractés avant le Code civil, dans les pays où n'avait pas été publiée l'ordonnance de 1667, peuvent-ils être prouvés par témoins, lorsqu'au moment de leur célébration,il n'en a pas été dressé d'acte, et qu'il n'est pas constaté qu'il n'y avait pas de registres dans le lieu où ils ont été célébrés?

20 Quels étaient, à la même époque et dans les mêmes pays, les pouvoirs des aumôniers des troupes, relativement aux Mariages des militaires?

Voici une espèce assez singulière, dans laquelle ces questions et celles qui sont proposées sous les mots Cassation, §. 40, Copie, §. t. Jugement, §. 20, et Légitimité, §. 5, se sont présentées devant la cour de cassation.

Le 12 mai 1801, Thérèse Bellone, native de Fossano, qui avait épousé à Coni, le 4 octobre 1795, Joseph Degubernatis, sergent-major au régiment de Lombardie, au service du roi de Sardaigne, accouche, à Gênes, d'une fille, qui est présentée au baptême par Thomas Pastoris et la dame Durazzo, épouse d'un ancien doge de la république ligurienne, et baptisée sous le nom d'Elizabeth-Henriette-Françoise, née en légitime Mariage de Henri Pastoris, frère de Thomas, natif de Turin, capitaine au régiment de Lombardie, aide de camp du général de Rochambeau, et de Thrérèse Bellone.

Le 15 septembre suivant, Henri Pastoris se présente, en qualité d'officier français, devant le consul de France à Gênes, et déclare « que »le 12 floréal an 9 (12 mai 1801), il lui est née » de Thérèse Bellone, son épouse, un enfant » femelle à laquelle il donne les prénoms de >>Françoise-Elizabeth-Henriette ».

Le 11 décembre de la même année, prêt à partir pour Saint-Domingue, à la suite du général de Rochambeau, il écrit au sieur Bellone, père de Thérèse, demeurant à Fossano, une lettre par laquelle il le prie de louer pour sa fille, dans son voisinage, un logement où elle puisse demeurer avec la petite Henriette, jus

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qu'au retour du long voyage qu'il va entreprendre.

Le 21 du même mois, il fait un testament par lequel il institue pour son héritière universelle, Françoise - Elisabeth - Henriette, sa fille, qu'il déclare avoir eue de Thérèse Bellone, sa femme; et lègue à Thérèse Bellone elle-même,une pension annuelle de 750 livres, dont elle jouira tout le temps qu'elle restera en viduité.

Le 24 du même mois, il signe une procuration portant pouvoir à son agent d'affaires, de payer annuellement, pendant son absence, à Thérèse Bellone, son épouse, pour son entretien et celui de leur fille Francoise-Elisabeth

Henriette, la somme de 750 livres de Piémont. Le 24 février 1802, il écrit au commandant d'armes de Fossano, une lettre par laquelle il lui recommande Thérèse Bellone, son épouse, sa fille, le sieur Bellone, son beau-père, et le prie de leur accorder son appui en cas de besoin.

Le 15 juillet de la même année, il meurt à Saint-Domingue.

Le 10 et le 20 thermidor an 11, Thérèse Bellone, informée qu'il existe au tribunal de première instance de Turin, un procès entre les frères et sœurs de Henri Pastoris, d'une part, les sieur et dame Mazetti, de l'autre, pour la succession du comte Charles-Hyacinthe Pastoris Saluggia, fait signifier à toutes les parties un exploit par lequel, en sa double qualité de veuve de Henri Patoris et de tutrice légale de Françoise-Elizabeth-Henriette, sa fille, dont elle leur notifie l'acte de naissance, elle déclare se rendre partie intervenante dans ce procès.

Les frères et sœurs de Henri Pastoris contestent les qualités prises par Thérèse Bellone, tant en son nom qu'en celui de sa fille : ils prouvent, par un acte du 4 octobre 1795, qu'il a existé un Mariage entre elle et Joseph Degubernatis; ils soutiennent que, tant qu'elle ne justifiera pas que ce Mariage a été légalement dissous, elle ne pourra pas, même en rapportant un acte de célébration de Mariage entre elle et leur frère, prétendre, pour elle-même, à la qualité de veuve de celui-ci, ni, pour sa fille, à la qualité de son enfant légitime.

Quelque temps après, on apprend que Joseph Degubernatis est mort à Nice, le 2 février 1805. Il paraît qu'il avait précédemment reparu à Turin.

Le 22 juin suivant, Thérèse Bellone fait signifier aux frères et sœurs de Henri Pastoris, un écrit par lequel, en convenant de la nullité du Mariage célébré entre elle et celui-ci en 1801, elle soutient que ce Mariage doit néan

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Et pour établir tout à la fois qu'il a été célébré un Mariage entre elle et Henri Pastoris, et qu'il l'a été de bonne foi, elle articule et offre de prouver 10 que la nouvelle de la mort de Joseph Degubernatis s'étant répandue en thermidor an 7, elle a été, dès-lors, reconnue et s'est elle-même considérée comme veuve ; 2o que, dans cette confiance, elle a contracté, le 22 fructidor suivant (8 septembre 1799), dans la région de la Pietra, territoire ligurien, un nouveau Mariage avec Henri Pastoris; 30 que ce Mariage a été célébré avec la plus grande solennité, dans le logement qu'occupait alors Henri Pastoris, en présence d'un aumônier de la ci-devant armée piémontaise, et de plusieurs témoins; 4o qu'elle ignore s'il en a été dressé un acte, mais que, dès-lors, elle a été publiquement traitée comme l'épouse de Henri Pastoris.

Les héritiers Pastoris soutiennent que la preuve offerte par Thérèse Bellone, est inadmissible.

»

Le 1er avril 1806, jugement du tribunal de première instance de Turin, qui, « sans s'arrê» ter aux instances et déductions de la dame » Bellone, desquelles il la déboute, renvoie les » défendeurs, frères et sœurs Pastoris, de la » demande formée par ladite dame, tant en qualité propre qu'au nom de la mineure » Henriette Pastoris, sa fille, sauf à celle-ci >> tout droit pour les alimens convenables, ainsi >> qu'ils seront réglés par un autre jugement; » et lui accorde, en attendant, à ce titre, la provision de 500 francs à se faire payer par » les défendeurs, dans le délai de quinze jours » après la signification du présent ».

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Thérèse-Bellone appelle de ce jugement, ajoute dix-neuf faits à ceux qu'elle a déjà articulés en première instance, insiste sur la demande en permission de faire preuve des uns et des autres; et cependant, attendu le nouveau Mariage qu'elle vient de contracter avec le sieur Ferrero, conclud à ce qu'il soit nommé à sa fille un tuteur ad hoc.

Le 9 mai 1807, arrêt de la cour d'appel de Turin, première section, qui pose ainsi les questions à juger :

« 1o La preuve testimoniale pour constater le Mariage dont il s'agit, contracté avant le Code civil, est-elle admissible?

» 2o Donnée la preuve de ce Mariage en la forme articulée, et des autres faits soutenus par la dame Bellóne, au procès d'appel, Henriette, sa fille, peut-elle s'aider des dispositions

des lois relatives aux Mariages nuls, mais con tractés de bonne foi » ?

Sur ces questions, la cour d'appel de Turin considère

Que les lois antérieures au Code civil, autorisaient la preuve testimoniale des Mariages, même lorsque, ni l'inexistence, ni la perte des registres publics n'étaient articulées et constatées; que ces registres, suivant la décision du sénat de Turin, du 13 septembre 1764, dans l'affaire du comte de Thésor, n'avaient été établis par le concile de Trente, que ad majorem et faciliorem rei gestæ probationem ; que cependant la preuve testimoniale des Mariages non constatés par les registres publics, ne pouvait être admise qu'à l'aide d'un commencement de preuve tiré d'ailleurs ; que cela résulte de la loi 29, D. de probationibus, et de la loi 2, C. de testibus;

Que le Mariage dont il s'agit, trouve de puissans commencemens de preuve dans l'acte de baptême de Henriette Pastoris, dans la signature apposée à cet acte par Thomas Pastoris, l'un des défendeurs, dans le testament de Henri Pastoris, et plus encore dans la déclaration de naissance que celui-ci avait précédemment faite devant le consul de France, à Gênes ;

Que, s'il est prouvé que ce Mariage a été contracté, le 22 fructidor an 7, dans la région de la Pietra, devant l'un des aumôniers de l'armée, en présence de plusieurs témoins, dans le logement occupé par Henri Pastoris, impossible, d'après les lois canoniques, de ne pas le regarder comme valablement contracté, 1o Parceque, parmi les pouvoirs accor

il sera

dés par le souverain pontife,au grand aumônier du roi de Sardaigne, et communiqués par celuici, le 25 janvier 1763, capellanis exercituum tempore belli, sont compris nommément celui d'administrer Ecclesiæ sacramenta, e a etiam quæ nonnisi per parochialium eccelesiarum rectores ministrari consueverunt, præter confirmutionem et ordinem, et celui de remplir réliquas functiones et munera parochialia; que l'exception relative aux Mariages, exprimée à la fin des mêmes pouvoirs, verset quod si eodem tempore, a pu être envisagée comme non applicable à Thérèse Bellone, qui ne se trouvait dans la région de la Pietra, qu'accidentellement et par suite de positions militaires qui pouvaient changer d'un moment à l'autre ;

20 Parceque l'aumônier qui a célébré le Mariage, doit, par cela seul, qu'il l'a célébré, être présumé avoir eu qualité pour le faire,et que c'est un point de droit consacré par la décision déjà citée, du 13 septembre 1764;

30 Parceque les fonctions de cet aumônier, auprès des corps militaires piémontais,

ont pu ne pas cesser à l'instant même de la fusion de ces corps dans l'armée française; 4o parcequ'il est certain que le défaut de publications de bans n'emporte pas la nullité du Mariage; 5o parceque, suivant la doctrine de tous les canonistes et notamment de Barbosa, sur le concile de Trente, sess. 24, de reforma tione, chap. 34 et 35, le Mariage peut être célébré intrà privatos parietes;

Qu'à l'égard de la bonne foi avec laquelle Thérèse Bellone soutient qn'elle et Henri Pastoris ont contracté ce Mariage, la preuve en résultera nécessairement des différentes circonstances qu'elle articule, si ces circonstances sont vérifiées; que cette preuve ne sera pas détruite par le défaut de publications de bans, parceque, quel que soit à cet égard l'avis des commentateurs, il n'y a aucune loi qui établisse

faute de publications de bans, la mauvaise que, foi sera censée avoir présidé à tous les Mariages nuls par l'effet d'empêchemens ignorés des parties contractantes au moment de leur célébration.

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Et par ces considérations, « la cour dit avoir » été mal jugé par le jugement dont est appel; » émendant, déclare qu'à la preuve par témoins » de la vérité du Mariage dont il s'agit, n'est » point obstacle le défaut de représentation de » l'acte de mariage; admet à la preuve les faits » déduits par l'appelante dans l'écriture du 31 » juillet passé....; commet M. Passano, un des » membres de la cour, pour être devant lui procédé à l'enquête dans les délais et formes » portés par l'ordonnance de 1667, sauf aux » intimés la preuve contraire; ordonne que la » dame Thérèse Bellone, en contredit des inti» més, si bon leur semble, pardevant la cour, à huis-clos, à la troisième audience après la » signification du présent arrêt, répondra per⚫sonnellement aux interrogatoires déduits par » les intimés dans l'écriture du 15 octobre » échu, exclusivement aux 4 et 5e que la cour >> rejette; accorde à la mineure Henriette, la » somme de 3,000 francs à titre de provision...; » nomme le sieur......... tuteur ad hoc de ladite mineure, pour la défendre dans la contesta» tion dont il s'agit....».

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En exécution de cet arrêt, Thérèse Bellone répond, le 22 juin 1807, aux faits et articles sur lesquels les héritiers Pastoris avaient demandé qu'elle fût interrogée. Le résultat de ses réponses est qu'avant que Joseph Degubernatis l'eût quittée, elle avait constamment joui de son estime; qu'il avait lui-même, en apprenant son Mariage avec Henri Pastoris, plaint l'erreur dans laquelle un faux bruit l'avait entraînée; et qu'elle n'avait été informée de son TOME X.

existence qu'en prairial an 10, après le départ de Henri Pastoris pour l'Amérique.

Le 6 juillet suivant, arrêt qui déclare les héritiers Pastoris non-recevables dans la demande qu'ils avaient formée à ce que Thérèse Bellone fût tenue de déclarer et justifier le nom de l'aumônier devant lequel son Mariage avec Henri Pastoris avait été célébré.

Les choses dans cet état, le parties procèdent respectivement à leurs enquêtes, et y font entendre un grand nombre de témoins.

L'affaire reportée de nouveau à la deuxième section de la cour d'appel de Turin, le ministère public conclud à ce que le Mariage contracté entre Henri Pastoris et Thérèse Bellone, soit déclaré nul et abusif, pour tout effet que de droit à l'égard de celle-ci; que les sieurs et demoiselles Pastoris soient déboutés de leurs instances; et que Françoise-ElisabethHenriette Pastoris soit déclarée fille légitime de son père et de sa mère.

Par arrêt du 11 juin 1808,

« Considérant qu'en l'état des enquêtes respectives des parties, l'on ne peut plus douter de la vérité des faits suivans, savoir,

» 1o Que le sicur Henri Pastoris et la dame Bellone ont réellement contracté, le 8 septembre 1799, leur Mariage à la Pietra, près de Borgo Fornaro, territoire ligurien;

» 20 Que ce Mariage a été célébré d'après les formes ecclésiastiques, en présence de l'un des aumôniers qui administraient les saints sacremens à l'armée;

» 3° Que ce Mariage, dont le projet avait été connu quelques jours auparavant, par les compagnons d'armes et par l'état-major de l'armée, se rendit bientôt public; et la dame Bellone fut, dès-lors, reconnue, soit par Henri défendeurs, et par la famille Bellone, soit enfin Pastoris, soit par Thomas Pastoris, l'un des

dans les sociétés et à l'armée, comme épouse légitime de Henri Pastoris;

« Considérant que de ces faits posés comme incontestables, il s'ensuit évidemment

des

» 10 Que le commencement de preuve que Henriette tirait de son acte de naissance, lettres écrites par son père, du traitement reçu dans sa famille, et du testament paternel du 21 décembre 1801, pour établirsa qualité de fille légitime, et la quasi-possession de cette même qualité, a acquis, en l'état, un entier degré de force, puisque, si l'existence en vie du premier mari, jointe au défaut de preuve du Mariage putatif, pouvait vicier radicalement le titre de sa possession d'état, les preuves fournies de l'existence et de la réalité de ce Mariage, et de l'opinion commune, relativement à ses effets, en a dû légitimer la source;

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» 2o Que le titre de cette possession d'état de légitimité une fois établi, la preuve des vices dont on veut que ce même titre soit infecté, doit être, quant à l'intérêt de la mineure Henriette, entièrement à la charge des défendeurs, puisque qui dolo dicit factum aliquid, licet in exceptione, docere dolum admissum debet (loi 18, §. 1 D. de probationibus et præsumptionibus);

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» Comment est-ce, en effet, que l'on voudra prétendre qu'un enfant qui a pour preuve de sa légitimité, un Mariage entre son père et sa mère, un acte de naissance qui s'y rapporte, des actes réitérés de reconnaissance de ses parens et du public, enfin les dernières volontés de son père défunt qui y mettent le sceau,soit cncore chargé de prouver, pour réclamer la continuation dans la même possession, que le Mariage est légal dans toutes ses formes, et qu'il n'est infecté d'aucun vice?

» Considérant que, d'après ce que dessus, l'inspection doit se porter nécessairement à voir 10 si les défendeurs ont opposé audit Mariage des vices valables à éluder sa force, relativement à la possession d'état réclamée par Henriette; 20 si ces vices sont pleinement constatés ;

» Considérant, en ce qui concerne la première de ces inspections, que les vices opposés par les défendeurs audit Mariage, se réduisent essentiellement aux suivans, savoir:

» 10 Qu'il n'a jamais pu exister de Mariage en bonne foi entre le sieur Pastoris et la dame Bellone, attendu qu'avant de le contracter, ils s'étaient souillés d'adultère;

» 2o Que ce Mariage contracté du vivant du premier époux de la dame Bellone, est précipité et contraire aux dispositions de lois à ce relatives;

» 3o Qu'en tout cas, ce Mariage est clandestin, contracté évidemment en mauvaise foi, incapable par conséquent, d'après les principes, d'opérer aucun effet vis-à-vis de la loi, d'établir la légitimité de l'enfant qui en fut le fruit;

et

» Considérant, à l'égard du premier de ces vices, que, quelle que fût la disposition du droit romain, dont nous avons le texte dans la loi 3, D. de his quibus ut indignis, et dans le chap. 12 de la novelle 13, de l'empereur Justinien, cette jurisprudence à été entièrement changée par les dispositions du droit canon uniquement suivies dans ces matières, à l'époque dudit Mariage, dans nos contrées, et d'après lequel la nullité du Mariage entre les coupables d'adultère, n'est prononcée que dans le cas qu'une promesse de Mariage ait eu lieu entre eux da vivant de l'époux offensé par l'adultère, ou qu'il

y ait eu des machinations, pour en procurer la mort (chap. 1, 3, 6 et 7 du tit. 7, liv. 4, des Décrétales).

>> Or, si l'Église, en dérogeant, à cet égard, à la rigueur des anciennes lois, n'a point cru voir, dans le seul adultère antérieur, un motif suffisant pour établir ce dol qui jadis avait fait proscrire ces sortes de Mariages, comment estce qu'il nous sera permis de déduire de ce même fait, ce dol qui ne peut point se supposer, et ce dans l'espèce où il s'agit de l'intérêt de l'enfant qui a pour lui la présomption de légitimité, et où il n'existe aucune ombre de preuve des faits posés en exception dans la loi ecclésiastique ?

» Mais au surplus, ce serait encore en vain que les sieurs Pastoris voudraient se servir de ce moyen pour y baser un commencement de la mauvaise foi qui a accompagné, d'après leur système, le Mariage en question, puisque le fait même de l'adultère, duquel ils ont accusé Henri Pastoris et la dame Bellone, est bien loin d'être pleinement justifié.... ;

>> Considérant que les défendeurs n'ont pas mieux établi, aux yeux de la loi, la réalité du second des vices, savoir, de la précipitation inexcusable avec laquelle le Mariage eut lieu; » En effet, en ce qui concerne les dispositions des lois, quoique, d'après le chap. 11 de la novelle 117 de l'empereur Justinien, le Mariage contracté par la femme d'un militaire, sans que la mort du premier mari fût assurée avec le serment par le dépositaire des rôles, et avant l'année à compter de la même époque, fût déclaré nul, et les mariés fussent déclarés coupables d'adultère; ces dispositions cependant, auxquelles le chap. 19, liv. 4, tit. 1, des Décrétales a apporté quelque limitation, puisqu'il n'y est exigé qu'un avis certain ( certum nuncium) de la mort du premier mari, et aucun délai de rigueur entre cette nouvelle et le Mariage ne se trouve fixé, ces dispositions, disons-nous, ont encore été modifiées, par rapport aux femmes des militaires et en temps de guerre, par la réponse du pape Léon à Nicétas, évêque d'Aquilée ( can. 1, caus. 34, quest. 1.), duquel il résulte 10 que, dans les circonstances extraordinaires d'une guerre acharnée, où la confusion et le désordre règnent de toutes parts, l'Eglise, en mère indulgente, a cru devoir se départir de la rigueur des lois relatives aux Mariages, et a voulu pardonner une précipitation à laquelle l'erreur et des circonstances impérieuses avaient donné lieu; 2o qu'ensuite de ce principe, elle a cru excu sables les femmes quae (per bellicam cladem et per gravissimos hostilitatis incursus ) viros proprios, aut interemptos putarint, aut

nunquam à dominatione crederent liberandos, et ad alium conjugium, sollicitudine cogente, transierint ; 3o et enfin, que, bien loin de reconnaître comme coupables d'adultère les seconds maris, et conséquemment comme illégitimes les fruits de ces Mariages, l'Eglise a déclaré ouvertement le contraire: nec tamen culpabilis judicetur, et tanquam alieni juris pervasor qui personam ejus mariti, qui jam non esse existimabatur, assumpsit. L'Église n'a donc point, dans toutes les circonstances, considéré la précipitation comme un indice de mauvaise foi suffisant à rendre illégitimes les enfans à naître d'un Mariage putatif. Elle a su compatir à l'erreur fondée, à l'empire des circonstances, à la nécessité qui souvent suffit pour rendre excusable, dans de certains cas, ce qui ne le serait point dans les cas ordinaires. Rigoureuse à exiger la preuve de l'erreur de la part du second mari, elle a, du reste, jeté un voile sur la conduite peut être précipitée, dont la femme, sollicitudine cogente, se serait rendue coupable dans ces cas extraordinaires;

» Considérant, en point de fait, que, dans l'espèce, si l'on réfléchit à la position vraiment facheuse dans laquelle la dame Bellone s'est trouvée, lorsque, privée de son mari qu'elle crut mort, dépouillée de tout, sans secours dans un pays étranger, au milieu d'un camp désolé par une défaite, et dans l'impossibilité de rejoindre sa patrie, l'on ne peut au moins disconvenir qu'en acceptant l'offre à elle faite de sa main, par Henri Pastoris, elle ne soit excusable aux yeux de la loi, puisque c'est vraiment sollicitudine cogente, qu'elle embrassa le seul parti de salut qui lui fùt offert ;

Mais en supposant même qu'elle fût coupable, comment fera-t-on retomber cette faute sur Henri Pastoris qui, libre de tout lien, persuadé de la mort de son ami, compatissant à la détresse de la veuve, et voulant la tirer de cet abîme de désolation, vint à son secours par le seul moyen honnête et exempt de toute tache, qui était en son pouvoir ? Comment, plus sévères que l'Église, pourrions-nous le juger coupable de précipitation et tanquam alieni juris pervasor? Comment encore pourrions-nous ne pas tirer de cette offre et de cette démarche irréprochable et délicate de Henri Pastoris, un argument valable, soit à exclure l'adultère et le commerce coupable qu'on a supposé avoir existé préalablement entre lui et la dame Bellone, soit à établir la bonne foi avec laquelle il se porta à contracter le lien que l'on attaque après sa mort, avec aussi peu d'égard pour son souvenir et pour sa volonté bien connue?

» En effet, Henri Pastoris, homme d'honneur, aurait-il offert sa main à Thérèse Bel

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lone, si la conduite débordée de celle-ci, si ses mœurs reprochables, l'eussent forcé de la mésestimer, s'il eût pu en jouir comme d'une concubine? Et s'il eût douté que son ami Joseph Degubernatis ait été en vie, s'il eût cru trahir l'amitié, et s'exposer à passer bientôt, aux yeux de ses compagnons d'armes et de ses concitoyens, tanquam alieni juris pervasor, se serait-il hâté de faire un pas qui devait le plonger lui et ses enfans dans des malheurs inévitables?

» Enfin, si la conduite du père, aux yeux de la loi et de l'Église, n'est point condamnable, si Henri Pastoris fut, pendant sa vie, hors de la sanction pénale pour une précipitation aussi excusable, avec quel droit voudrait-on l'attaquer, après sa mort, dans un enfant chéri qu'il reconnut légitime, dont il se fit gloire de son vivant, et qu'il institua son héritier dans ses dernières volontés ?

» Considérant, en ce qui concerne le troisième vice, et le plus essentiel que l'on oppose audit Mariage, que, pour bien en connaître la force aux yeux de la loi, il faut distinguer le vice de clandestinité, de celui du défaut de dénonciations et de la mauvaise foi dont ledit Mariage putatif est attaqué;

» La cour a déjà reconnu, en point de droit, dans son arrêt précédent, que, si ce Mariage a eu lieu pardevant un aumônier des troupes piemontaises, et en présence de témoins, le vice de clandestinité s'évanouit, puisque la clandestinité n'est plus là où se trouvent l'Église et des témoins; et que l'Eglise était dúment représentée aux armées par les ministres nommés ad hoc et spécialement autorisés. Nous avons de même déjà observé, en point de fait, que, d'après le dire de trois témoins présens et de quatorze témoins de relatu, ce Mariage a effectivement eu lieu en présence d'un aumônier et de quatorze ou quinze témoins, et qu'il fut célébré intrà privatos lares, il est vrai, mais dans le lieu où était l'armée, et où il était permis à tous les compagnons d'armes de Henri Pastoris, de se rendre.

» Tout vice de clandestinité, tout soupçon de mystère, toute inculpation aux mariés Pastoris d'avoir voulu se soustraire aux yeux de l'Eglise et du public, doit donc être éloignée de ce Mariage.

» Et si cette culpabilité ne peut pas être opposée à ses parens, comment est-ce qu'on voudra l'opposer à Henriette, qui, après la mort de son père, après les calamités de la guerre, après le laps de presque sept années, a surpassé l'attente publique en fournissant des preuves aussi coucluantes que le sont celles qu'elle a produites, sur un fait qui s'est passé

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