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« De quoi s'agit-il? Je viens faire une perquisition chez vous; mais soyez tranquille, on ne vous fera pas de mal; on n'en veut pas à vos jours. » Cette dernière assurance semblait nécessaire, car M. Thiers était atterré.

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<< Mais que prétendez-vous faire? Savez-vous que je suis représentant? Oui, mais je ne puis discuter avec vous sur ce point; je dois exécuter les ordres que j'ai. Mais ce que vous faites là peut vous faire porter votre tête sur l'échafaud! - Rien ne m'arrêtera dans l'accomplissement de mes devoirs. Mais c'est un coup d'Etat que vous faites là? Je ne puis répondre à vos interpellations; veuillez vous lever, je vous prie. Savez-vous si je suis seul dans le même cas? En est-il de même pour mes collègues? - Monsieur, je l'ignore.,

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M. Thiers se leva et s'habilla lentement, refusant les services des agents. Tout à coup il dit au commissaire : « Mais, monsieur, si je vous brûlais la cervelle ?-Je vous crois incapable d'un pareil acte, monsieur Thiers; mais en tout cas, j'ai pris mes mesures, et je saurai bien vous en empêcher. Mais, connaissez-vous la loi? Savez-vous que vous violez la Constitution?-Je n'ai pas mission. de discuter avec vous, et d'ailleurs vous possédez des connaissances trop supérieures aux miennes. Je ne puis qu'exécuter les ordres qui me sont donnés, comme j'eusse exécuté les vôtres, quand vous étiez ministre de l'intérieur.

Une perquisition faite dans le cabinet de M. Thiers n'amena la découverte d'aucune correspondance politique. Sur l'étonnement qu'en témoignait le commissaire, M. Thiers répondit qu'il adressait depuis longtemps sa correspondance politique en Angleterre, et qu'on ne trouverait rien chez lui.

Prie de descendre et de partir, M. Thiers se troubla, parut craintif et plein d'hésitation dans ses mouvements. On lui laissa croire qu'il était conduit auprès du préfet de police. La direction que prit la voiture augmenta ses appréhensions, et il s'efforça, en route, par toute sorte de raisonnements captieux et comminatoires, de détourner les agents de l'accomplissement de leurs devoirs.

Arrivé à la prison Mazas, M. Thiers demanda s'il pourrait avoir son café au lait, comme à son habitude. On le combla d'attentions. Son courage, il faut bien le dire, l'abandonna tout à fait en prison, et il ne s'éleva pas au-dessus de la fermeté de Monsieur Greppo.

Dispensé, par une haute volonté, du transfèrement à Ham, M. Thiers fut provisoirement ramené chez lui. Par une décision

nouvelle, M. Thiers dut être conduit sur la rive droite du Rhin, au pont de Kelh.

L'officier de paix Veindenbach alla prendre M. Thiers chez lui, le 8 décembre, à six heures du soir. M. Mignet et un autre ami accompagnèrent M. Thiers jusqu'à l'embarcadère du chemin de fer de Strasbourg, et M. Grangier de la Marinière l'accompagna jusqu'à

Kell.

Au moment de partir, et pendant les premiers instants de la route, M. Thiers versa d'abondantes larmes. Larmes justes, nobles et fécondes, si elles coulaient comme l'expiation de tant de doctrines révolutionnaires et de tant d'actes anarchiques; larmes amères, si elles n'étaient que le dépit d'une ambition jalouse et insatiable, tombée d'une hauteur inespérée, sans dignité et sans éclat.

Arrivé à Kell, M. Grangier de la Marinière apporta à l'officier de paix Vindenbach une lettre de protestation, et une lettre de remercîment pour les égards dont M. Thiers avait été l'objet. M. Thiers annonçait qu'il se rendait à Francfort, et de là à Dresde, où il devait rencontrer un ancien ami, avec lequel il se distrairait en faisant de la peinture.

XVII.

En même temps que les représentants, étaient arrêtés dans feurs lits et sans la moindre difficulté les chefs les plus dangereux des sociétés secrètes et des barricades. Ce genre d'arrestations se poursuit sans relâche, et a déjà donné de grands résultats. Le public ne connaît guère les noms de ces audacieux et infatigables ennemis de la société ; et nous ne citerons ici que ceux qui passent pour les plus célèbres, dans le monde de l'émeute.

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Bonvallet (Théodore-Jacques).

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Choquin (Etienne-Simon-Nico- Noguez (Antoine Denis).

las).

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Lucas (Louis Julien).

Lassere (Jean-Isidore).
Cahaigue.

Magen (Hippolyte).

Polino (Antoine-Charles).

Curnel.

XVIII.

Quoique essentiellement délicate de sa nature, la mission confiée à l'armée ne pouvait laisser aucun doute ni au Président de la république, ni au ministre de la guerre.

En effet, que lui demandait Louis-Napoléon Bonaparte? Un trône? Nullement. Le triomphe de tel ou de tel parti politique? Nullement.

Louis-Napoléon Bonaparte demandait à l'armée de protéger la liberté de la France entière contre les entreprises des factions, et de maintenir l'ordre dans les rues, jusqu'à ce que dix millions. d'électeurs, soleunellement consultés, eussent fait connaître leur volonté par un vote.

Une mission si simple, si noble, si loyale, confiée à une armée admirable de discipline et de patriotisme, ne pouvait être qu'ar→ demment acceptée et ponctuellement remplie.

C'est à trois heures et demie du matin seulement, trois heu res avant le moment fixé pour l'exécution, que M. le général Magnan, commandant en ehe de l'armée de Paris, tut mandé auprès du ministre de la guerre, et reçut de lui, en même temps, l'explication des mesures à prendre, et les ordres nécessaires pour les exécuter. M. le général Magnan avait déji reçu la confidence: de cette éventualité; la nécessité de la mesure lui était démontrée, et il avait demandé à n'être prévenu qu'au moment de monter à cheval. Il y a un tel bon sens et une telle discipline dans l'armée de Paris, que chaque régiment était à son poste à la micute indiquée.

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M. le colonel Espinasse, commandant le 42 de ligne, de la brigade Ripert, fut chargé d'investir et d'occuper le palais de

l'assemblée législative. L'Assemblée était gardée ce jour-là par un bataillon du 42e, sous les ordres supérieurs du lieutenant-colonel Niel, du 44o de ligne, qui exerçait son commandement au nom de l'Assemblée. Le colonel Espinasse, officier d'une rare intelligence et d'une mâle résolution, est une des plus brillantes réputations de l'armée, et s'est distingué d'une manière particulière au siége de Rome, et tout récemment dans la Kabylie, dans plusieurs combats opiniâtres où il commandait l'arrière-garde.

XIX.

A 6 heures et un quart, le colonel Espinasse arrivait à la grille de l'Assemblée, donnant sur la place de Bourgogne, se la faisait ouvrir, et envoyait chercher le chef de bataillon, pendant que ses troupes envahissaient les cours. Le chef de bataillon fut régulièrement relevé par son chef hiérarchique, et le bataillon de garde ramené à la caserne. En même temps que le 42e de ligne, entraient dans l'enceinte législative trois commissaires de police, accompagnés de dix agents chacun, et chargés d'arrêter les ques

teurs.

L'Assemblée fut environnée et occupée, sans la moindre difficulté, à six heures et demie. M. de Persigny, confident de toutes ces mesures, et dont l'abnégation égale le dévouement, avait assisté à cette délicate et importante opération, et alla en rendre compte à l'Elysée.

Pour terminer ici ce qui concerne le palais de l'Assemblée, nous devons dire qu'une consigne, mal donnée ou mal comprise, permit à environ soixante représentants d'y pénétrer individuellement, par une petite porte située dans la rue de Bourgogne, en face de la rue de Lille. Ces députés se réunirent dans la salle des conférences, et y devinrent un peu bruyants. Sur l'avis de leur présence, parvenu au ministère de l'intérieur, l'ordre fut donné de les faire sortir immédiatement. Le commandant Saucerotte, de la garde municipale, chargé de l'exécution de cet ordre, la fit précéder d'un petit discours plein d'esprit. M. le président Dupin, appelé par ses collègues, leur fit aussi son discours en ces termes: a Messieurs, la Constitution est violée; nous avons pour nous le droit, mais nous ne sommes pas les plus forts. Je vous engage à vous retirer; j'ai bien l'honneur de vous saluer, »

Comme ces paroles ne paraissaient pas décisives sur la réunien, le commandant déclara qu'il allait faire entrer ses soldats ; et aussitôt les représentants se retirèrent.

XX.

Toutes ces mesures avaient été exécutées avec une telle promptitude, avec un tel ensemble, avec une telle précision et un tel calme, que Paris, stupéfait, se réveilla, le 2 décembre, sous le poids immense et irrésistible d'un fait accompli par la sagesse et par le courage de quelques-uns, dans l'intérêt et pour le salut de

tous.

Il n'y avait qu'un cri : C'est bien joué !

La première et universelle impression fut favorable, parce que le Président se montrait à la fois très-habile, très-résolu et très-fort.

Personne ne songeait plus à la Constitution, qu'on s'était habitué à mépriser; personne ne s'informait et ne s'occupait des représentants, qu'on s'était habitué à dédaigner; l'acte énergique du Président était généralement accepté, avec cette seule réserve: - Réussira-t-il ?

XXI.

Après la première surprise, la population courut aux nouvelles, el se porta aux affiches, que de nombreux agents appliquaten

encore sur les murs.

On lut d'abord le décret suivant, qui annonçait et qui résumait le grand acte du 2 décembre :

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE.

DÉCRÈTE :

Art. 1er. L'Assemblée nationale est dissoute.

Art. 2. Le suffrage universel est rétabli. La loi du 31 mai est abrogée.

Art. 3. Le peuple français est convoqué dans ses comices, à partir du 14 décembre jusqu'au 21 décembre suivant.

Art. 4. L'état de siége est décrété dans l'étendue de la 1 division militaire.

Art. 5. Le conseil d'Etat est dissous.

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