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Pendant la nuit, le ministre profite du calme momentané de la ville, pour faire conduire, sous escorte, de la prison Mazas au chemin de fer du Nord, huit représentants, chefs de la résistance et du complot, pour les diriger sur la forteresse de Ham, - Dans le cours de ce voyage, ces représentants ont eu plusieurs fois l'occasion de voir combien l'opinion des villes et des campagnes qu'ils ont traversées leur était peu favorable. Ils étaient reçus au passage par les cris de Vive Napoléon.

Les 150 représentants, arrêtés le 2 à la mairie du 10° arrondissement, ont été transférés, en grande partie, au fort du mont Valérien. On offre à beaucoup d'entre eux la liberté immédiate, qu'ils refusent, par un motif que tout le monde appréciera, et qui prouve combien ils redoutaient d'être forcés de prendre part à une lutte entre la société et l'anarchie. Presque tous sont mis en liberté quatre jours après.

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L'opinion si favorable au Président la veille, dans les quartiers de la Chaussée-d'Antin et des boulevards, prend une couleur hostile, sous l'influence des représentants qui cherche par tous les moyens possibles à exciter la population à la révolte.

La nuit est assez calme. «A demain les affaires sérieuses, » dit le ministre de la guerre, qui prit seulement alors un peu de repos. Il avait dirigé jusque là la partie active de cet immense mouvement, avec une énergie inflexible et une activité qui assuraie n le succès. L'armée avait confiance dans son général, qu'elle voyait le front ceint des lauriers si récents de la Kabylie: elle ne demandait qu'à se mesurer avec les anarchistes, ces Kabyles pa risiens. Elle avait confiance aussi dans son général en chef, brillant soldat de l'Empire, qui avait déjà comprimé à Lyon l'es ter tatives insensées des ennemis de l'ordre et de la société.

XXXIV.

JOURNEE DU 4.

La matinée se passe en préparatifs de la part des insurgés. Des groupes nombreux et hostiles se forment sur les boulevards. Vers midi, de fortes barricades s'élèvent à la Porte-Saint-Denis, et dans les rues Saint-Martin, Saint-Denis, du Petit-Carreau, Rambuteau, Faubourg-Saint-Martin, et le long du canal. Une lutte terrible paraft imminente.

Les émeutiers, qui ne sont pas soutenus par les faubourgs, sen

3.

tent que le jour de la grande bataille est arrivé pour eux, et ils font tous leurs efforts et toutes les tentatives possibles pour entraîner la population avec eux.

Le général en chef Magnan donne des ordres pour qu'un mouvement d'ensemble soit exécuté, par plusieurs brigades à la fois, dans les quartiers Saint-Denis, Saint-Martin et du Temple, où les insurgés se sont établis. Les heureuses dispositions qu'il a commandées réussissent parfaitement.

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«Soyez tranquille, avait-il dit au ministre de la guerre, auquel » il expliquait ses plans: confiez-moi la direction de cette journée, » dont je réponds. A deux heures, vous entendrez gronder mon » canon, et je vous promets qu'avec de pareilles troupes, Paris sera » ce soir débarrassé de ses ennemis. »

« J'y compte et je vous laisse faire, parce que je vous connais !» répondit le ministre.

La brigade Bourgon, qui occupait la première ses positions de combat, ouvre son feu, et balaie le boulevard jusqu'à la Portë Saint-Denis.

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Au moment où elle commence son attaque, le reste de la division Carrelet débouche par la rue de la Paix et les boulevards, et pousse devant elle la brigade Bourgon jusqu'à la rue du Temple, dans laquelle elle s'engage, pour gagner ensuite la rue Rambuteau, en tournant à droite.

La brigade de Cotte entre résolument dans la rue Saint-Denis: un bataillon du 15o léger était lancé dans la rue du Petit-Carreau, déjà barricadée.

Au moment où les brigades Bourgon et de Cotte pénétraient au centre de la ville, la tête de colonne du général Levasseur, commandant la 3 division, entrait dans la rue Saint-Martin, et prenait ses dispositions pour appuyer la division Carrelet. Le général Levasseur désigne dans ce but le général Dulac, quirenverse les barricades de la rue Rambuteau, avec les braves 51, 19, et 43o de ligne, et le général Marulaz, qui opère par la rue Saint-Denis et les rues transversales. Tous ces quartiers étaient enveloppés dans un réseau de troupes.

Ces trois colonnes, qui se donnent la main par les rues adjacentes, sont conduites avec une grande énergie, et le succès ne se fait pas attendre. Les barricades, attaquées d'abord à coups de canon, ont été enlevées à la baïonnette. Toute la partie de la ville qui s'étend entre la porte Saint-Martin et la pointe Saint-Eustache a été fouillée, les barricades enlevées, détruites et brûlées, les insurgés dispersés et tués. L'engagement commençait à 2 heures et demie, et à 5

heures les troupes étaient revenues à leurs positions sur le boulevard.

Pendant que ceci se passait, le général Canrobert, qui avait pris position à la porte Saint-Martin, enlevait avec son élan habituel les barricades du faubourg Saint-Martin et celles des rues adjacentes, et poussait jusqu'au canal, culbutant partout les insurgés. Là, comme à Zaatcha, il donnait l'exemple du courage.

La brigade Reybell nettoyait en même temps les boulevards, depuis la Madeleine jusqu'au boulevard Poissonnière.-Arrivée sans coup férir à la hauteur du bonlevard Montmartre, elle est accueillie à coups de fusils par des insurgés placés dans une foule de maisons. Elle s'arrête alors, et aidée de tirailleurs d'infanterie et des troupes de la brigade Canrobert, elle fait un feu terrible sur les fenêtres, se fait ouvrir les portes à coups de canons, et débusque promptement les insurgés, après en avoir tué bon nombre.

La brigade Courtigis enlevait aussi avec vigueur les barricades qui avaient été élevées au faubourg Saint-Antoine, et restait maltresse de ce point.

Ce grand mouvement simultané avait écrasé l'ennemi, qui laissait les barricades couvertes de ses cadavres, et désormais la résistance était impossible. De notre côté, nous avions à déplorer la mort du lieutenant-colonel Loubeau, du 72e, et la blessure du colonel Quilico du même régiment. Nos pertes s'élevaient environ à 25 tués, dont un officier, et 184 blessés, dont 17 officiers.

L'armée était admirable d'élan et d'énergie; elle avait bien fait son devoir, et elle était déterminée à vaincre, à tout prix, la criminelle résistance qui tenait le pays en échec.

Les brigades prennent position, à 6 heures, dans les quartiers qu'elles ont enlevés. Aussitôt les rues s'illuminent, les habitants, débarrassés des émeutiers et de la terreur qu'ils inspirent, descendent offrir spontanément aux soldats du café, du vin et de provisions de toute espèce. Les feux de bivouac s'allument dans tous les quartiers occupés, et les régiments trouvent partout un accueil cordial et la plus franche sympathie, notamment dans les quartiers des halles, de Saint-Marceau et du Panthéon. Les derniers coups de fusil sont tirés vers neuf heures du soir rue Montorgueil, où une dernière tentative est résolument anéantie par le colonel de Lourmel avec le 51e de ligne. L'armée entière s'établi gaiement pour la nuit autour des feux de bivouac, heureuse d'avoir noblement fait son devoir, et d'avoir rendu à la France la paix et la prospérité pour le présent et pour l'avenir.

Le combat était terminé! Les anarchistes terrifiés fuyaient dans toutes les directions, et sortaient de Paris transformé momentané

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ment en un vaste camp. Pendant la nuit, des patrouilles d'infanterie et de cavalerie ont achevé de fouiller tous les quartiers où les troupes n'étaient pas établies; elles n'ont pas rencontré de ré

sistance.

Il est bien douloureux d'avoir à dire que, malgré les proclamations du ministre de la guerre, au sujet des attroupements, quelques curieux inoffensifs ont été victimes de leur présence sur les boulevards. Là, comme en février 1848, les émeutiers ont cherché, avec une perfidie atroce, en tirant des coups de fusil auprès des groupes, à faire tomber des habitants des quartiers riches sous les coups de la troupe, afin d'entraîner malgré elle la population, par esprit de vengeance. Mais les victimes sont heureusement trèspeu nombreuses.

XXXVI

JOURNÉE DU 5%

Des essais de barricades avaient été tentés, pendant la nuit, dans les quartiers qui n'avaient pas été visités par les troupes. Ainsi on signalait encore, le 5 au matin, quelques barricades rue Rochechouart et dans le quartier de la Croix-Rouge.

Le général en chef, d'accord avec le ministre, ordonne, pour terminer la défaite des anarchistes, un grand mouvement de troupes sur la barrière Rochechouart et sur la Croix-Rouge. Mais les colonnes ne rencontrent plus d'ennemis, parce qu'ils fuient à l'approche de la troupe. Les barricades, qui n'étaient plus défendues, sont toutes démolies.

Le général Carrelet pénètre avec la gendarmerie mobile jusqu'à Ménilmontant, où il rencontre les gardes nationales de Belleville et de Ménilmontant, leur maire en tête, et il est reçu par eux avec acclamation. Le général Canrobert pénètre également jusqu'à ce point par le faubourg Poissonnière, sans rencontrer aucune ré

sistance.

Toutes les brigades parcourent Paris dans tous les sens, et ne reçoivent sur leur passage que des marques de sympathie. La confiance et la satisfaction des habitants éclatent sur leurs visages; les boutiques se rouvrent; les fonds publics montent.

Une partie des brigades s'établit encore au bivouac, et reçoit la même hospitalité que la veille. La division de cavalerie de réserve rentre à Versailles.

Les anarchistes qui s'étaient enfuis de Paris essaient encore une tentative à La Chapelle-Saint-Denis, où ils élèvent des barricades; mais ils en sont promptement chassés par deux compagnies du 28°, qui leur tuent quelques hommes et ramènent trente-trois prisonniers.

La nuit est calme; on n'a plus à signaler aucune tentative de désordre.

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Le ministre remercie l'armée dans une proclamation, et la féli-, cite, au nom du pays, en termes qui vont droit au cœur du soldat.

<< Soldats !

» Vous avez accompli aujourd'hui un grand acte de votre vie militaire. Vous avez préservé le pays de l'anarchie, du pillage, et sauvé la République. Vous vous êtes montrés ce que vous serez toujours, braves, dévoués, infatigables. La France vous admire et vous remercie. Le président de la République n'oubliera jamais votre dévouement.

» La victoire ne pouvait être douteuse; le vrai peuple, les honnêtes gens, sont avec vous.

» Dans toutes les garnisons de la France, vos compagnons d'armes sont fiers de vous, et suivraient au besoin votre exemple. »

XXXVII,

JOURNÉE DU 6.

Paris a repris sa physonomie habituelle, La circulation, un ins.ant interrompue, est rétablie, les boutiques se rouvrent, les voitures circulent, les affaires renaissent, les habitants respirent, et se félicitent d'avoir échappé au danger qui les menaçait.

Les troupes rentrent dans leurs casernes; on se borne à occuper les points les plus importants, en plaçant des postes dans des maisons sur les boulevards et aux angles des rues Rambuteau, SaintMartin, Saint-Denis, Beaubourg, etc.

La confiance est entièrement rétablie. L'anéantissement de anarchistes, les nouvelles excellentes des provinces, l'élan, l'éner gie et l'union de nos troupes et de leurs officiers, les sympathies unanimes acquises au chef de l'Etat, tout cela forme un faisceau de forces qui donne une foi assurée dans l'avenir. Les mauvais jours sont passés. On se félicite partout dans Paris. Les fonds publics montent de 4 francs dans la journée !

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