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principe fondamental: le luxe du local doit être en harmonie avec la recherche de la cuisine, avec la richesse du service et de la table. Nos pères comprenaient cela bien mieux que nous; les Grecs et les Romains surtout, ces viveurs d'intelligence et d'esprit, chez qui les Lucullus avaient plusieurs salles à manger tout à fait distinctes, suivant les convives qu'ils traitaient, et dont je ne désespère pas voir un jour les lits voluptueux remplacer nos siéges incommodes. Mais patience, déjà nous sommes en voie de progrès: il y a tendance chez la jeunesse d'aujourd'hui à prendre au sérieux les détails intimes de la vie chez soi, et si vous en voulez une preuve convaincante, vous n'avez qu'à jeter les yeux sur la lithographie qui accompagne, ce mois-ci, la livraison du Journal des Chasseurs.

Ce dessin, qui représente l'hallali d'un cerf, est la réduction d'un magnifique panneau en chêne sculpté, de 2 mètres 50 centimètres de largeur sur 2 mètres 30 de hauteur; véritable chef-d'œuvre dont toutes les boiseries du vieux château de Bercy, si chèrement disputées le mois dernier, n'auraient pas offert l'équivalent; admirable composition, digne d'orner les galeries historiques de Fontainebleau, et qu'un riche amateur, M. Hippolyte Lunel, a fait exécuter pour sa salle à manger, par M. A. Lecuire, un homme que je recommande tout spécialement à la haute et bienveillante protection de M. le prince de la Moskowa, premier veneur. Si jamais artiste a mérité de décorer l'élégant hôtel de la Vénerie Impériale, la vaste salle surtout dans laquelle figure cette superbe collection de bois de cerfs qui n'a de rivale. qu'en Allemagne, c'est assurément celui-là. Simple ouvrier en meubles sculptés, genre dans lequel il excelle, M. Lecuire, qui a longtemps travaillé pour toutes nos sommités littéraires, entre autres pour notre ami Jules Janin, dont la séduisante retraite à Passy renferme plus d'une œuvre sortie de chez lui, a compris de lui-même, comme toutes les natures d'élite, qu'il était né pour des travaux d'un ordre plus élevé, pour des compositions d'un autre style. Son ciseau à la main, il a cédé au génie créateur qui inspire tout à coup le véritable artiste, et taillant hardiment en plein de cœur de chêne, il a pour ses premiers essais, que guidait du reste dans la bonne voie une étude consciencieuse des maîtres, enfanté cette large page pleine d'animation et de mouvement, que l'on dirait empruntée à la salle d'apparat d'un vieux manoir féodal, et que M. Hippolyte Lunel, en grand seigneur qu'il est, a confisquée sans marchander à son profit pour en décorer provisoirement ses petits appartemens de la rue Laffitte, le garde-meuble actuel de son futur hôtel.

Ce superbe panneau, dont les personnages, de grandeur demi-nature ont environ 80 centimètres de hauteur, est la reproduction vivante d'une chasse au cerf moyen âge. L'action y est prise sur le fait et rendue dans ses moindres détails, avec une vérité d'exécution qui parle aux yeux comme une toile de Sneyders ou de Desportes. L'animal est sur ses fins : c'est un cerf dix-cors, à l'imposante ramure, que cherchent à porter bas quatre à cinq chiens de tête, les plus mordants de la meute. Il n'est pas encore hallali par terre; mais c'est le dernier effort d'une lutte décisive et suprême. L'un de ses adversaires le tient au jarret, et tandis qu'un imprudent renversé sous lui et à demi étouffé par le poids qui l'écrase, remplit l'air de hurlements de rage, les autres se cramponnent à ses flancs ensanglantés et pantelants. C'est la fanfare en action que vous savez et que je regrette de ne pouvoir vous chanter ici :

De chiens mordant

A pleine dent,

Voyez-vous là-bas cette grappe;
Tandis qu'ici, râle, mourant.

Morgan, dont un sang noir s'échappe...

Sur la droite, tandis que d'un taillis voisin s'élance à travers la 'feuillée toute une mente avide de curée, se dessine, au second plan, un varlet en costume du temps de du Fouilloux, l'épieu d'une main et embouchant de l'autre cette espèce de huchet qui a précédé la trompe, instrument dont on ne s'est servi en chasse qu'au commencement du règne de Louis XIII. Le mouvement de l'hommequi descend en courant sur un plan incliné et rapide est plein de vérité. Il ne court pas, il vole. On voit qu'il a hâte d'arriver sur le théâtre de l'action et d'y prendre lui-même une part active. A gauche, au contraire, par une opposition heureuse, se dessine au pied d'un chêne séculaire, un autre personnage qui, le corps penché en arrière, retient d'un bras vigoureux un couple de limiers trop ardents tout prêt à se lancer sur la bête. Les tours crénelées d'un vieux mauoir gothique qu'on entrevoit dans le lointain, dominent la vallée où se passe la scène et complètent harmonieusement par un effet de perspective merveilleux ce tableau saisissant dont je voudrais pouvoir vous rendre toute la hardiesse d'exécution, toute la finesse de travail, depuis le feuillage des chênes au tronc rugueux jusqu'aux tiges élancées des fougères.

On nous a dit qu'une fois sa salle à manger décorée de ce panneau qui en encadre tout un côté latéral, M. Hippolyte Lunel avait compris à première vue, qu'il manquait un pendant au tableau, et qu'il avait commandé à Lecuire de se remettre immédiatement à l'œuvre pour lui exécuter dans les mêmes proportions une chasse au sanglier, digne en tous points de son œuvre première: la scène se passerait à la même époque, afin de reproduire dans ce nouveau tableau les mêmes costumes que dans l'autre, le pourpoint moyen âge à larges manches, la toque en velours ornée d'une plume flottante, les souliers à la poulaine et la culotte collante en peau de daim, une tenue, entre nous soit dit, un peu plus poétique que celle des valets de chiens de nos jours. Le sujet du groupe principal serait encore pris cette fois dans une simple strophe de fanfare :

C'est là-bas, sous la sombre futaie,
Que, couvert d'écume et de sang,
Notre ennemi qu'aucun bruit n'eftraie,
En brave, couibat au premier rang.
Entendez-vous ce choc? quelle bataille!
De sa défense aiguisée à ses grès,

Le monstre frappe, et d'estoc et de taille;
Malheur aux chiens qui le serrent trop près.

Si le fait est exact, nous ne pouvons que féliciter doublement et le jeune Mécènes, qui fait un si noble emploi d'une fortune dont il fut le propre auteur, et l'artiste qui, par son talent hors ligne, a su mériter un tel patronage. Nous sommes convaincu à l'avance que M. Lecuire saura rester à la hauteur de son premier chef-d'œuvre, et quand il aura terminé sa tâche laborieuse, alors recommencera la nôtre, qui est d'encourager l'homme d'élite et d'avenir qui veut se faire un nom dans la carrière. des arts. Tandis que nous reprendrons la plume, notre ami Laroche, auquel nous devons ce premier dessin, qu'il n'a pas même cru devoir signer, avec sa modestie ordinaire, reprendra en même temps son crayon, afin que le Journal des Chasseurs ait aussi, lui, un pendant à ajouter à sa nombreuse galerie

cynégétique. Nos abonnés sont tous des gens de goût, qui aiment comme nous à protéger le talent, et qui ne seront pas les derniers à applaudir si la seconde édition vaut la première.

LEON BERTRAND.

NOUVELLES ET FAITS DIVERS.

Dans notre numéro du 28 février nous avons sous ce titre : l'Affût au Carnage, inséré une lettre fort intéressante de M. Bertaux Renout, cultivateur à Wardes, près Gournay (Seine-Inférieure), par laquelle cet infatigable destructeur de loups (il a atteint le chiffre énorme de cinquante-cinq à cinquante-six loups tués sur place) nous rendait compte de l'ingénieuse méthode dont il usa dans ses affûts nocturnes.

Nous apprenons avec une vive satisfaction qu'un encouragement des plus flatteurs déceraé publiquement par l'autorité administrative, vient de récompenser M. Bertaux de la persévérance et du zèle dont il ne cesse de faire preuve depuis longues années pour protéger les populations et les bestiaux contre les déprédations de ces animaux carnassiers.

Au dernier concours de Neufchâtel, présidé par M. le sous-préfet, une médaille en argent lui a été accordée au nom de la Société d'agriculture, pour les services rendus par lui à la contrée, en raison de ses nombreuses destructions de loups.

Nous consignons fidèlement chaque année, dans nos Échos de la Vénerie et des Chasses, le rapport des laisser-courre plus ou moins brillants effectués dans la saison par nos premiers équipages et nous avons regretté plus d'une fois que l'absence des documents nécessaires ne nous permit pas de donner à ce compte rendu une extension plus complète. C'est une lacune fâcheuse dans un journal comme le nôtre, que de n'y pas voir à côté des chasses de la Vénerie Impériale, de Railye-Bourgogne, de Chantilly, de l'équipage de Grosbois (1), celles de M. le marquis de l'Aigle, de MM. de Puységur, de Chézelles, D'Osmond et autres maîtres qui soutiennent si dignement en France l'honneur de la Vénerie.

En attendant, il est de notre devoir, en dehors de ces glorieux bulletins auxquels tout le monde n'a pas l'ambition de prétendre, de signaler aussi à l'occasion les succès fort honorables qu'obtiennent dans la saison quelques équipages plus modestes mais non moins favorisés de saint Hubert.

Nous citerons d'abord la meute de M. le marquis de Gasville, ce vété

(4) M. le prince de Wagram nous a promis de nous faire parvenir avant peu la relation des chasses qui n'ont pas figuré, par oubli, dans notre compte rendu annuel.

ran toujours jeune des veneurs orléanais, qui a porté bas dix-neuf cerfs en vingt-deux chasses.

Puis, l'équipage de la Société Forez-Champagne, composé de chiens anglais et bâtards qui, sous la conduite de M. le comte d'Ambrugeac, son digne président, a détruit trente sangliers dont quinze pris sans avoir été tirés.

Et enfin les excellents chiens de M. Falatieu, lieutenant de louveterie, qui, depuis le mois de septembre dernier jusqu'à la clôture, lui ont fait tuer une louve et vingt-deux sangliers du poids de cinquante à cent kilos, parmi lesquels figuraient cinq ou six laies chargées, toutes prêtes à mettre bas.

Dans les derniers jours de juillet, vers minuit, M. Chambolle, boulanger, et un jeune homme de dix-sept ans, nommé Deschamps, domestique, habitant tous les deux la commune de Vitry-aux-Loges (Loiret), se trouvait à l'affût aux sangliers sur le territoire des Chaillots. Les deux chasseurs s'étaient placés à distance l'un de l'autre. Le malheur voulut que le jeune Deschamps quittât son poste; M. Chambolle, voyant quelque chose remuer dans une direction où il ne supposait pas que dût se trouver son compagnon, fit feu, et atteignit Deschamps, qui fut tué sur le coup.

Rien ne saurait peindre le désespoir de M. Chambolle, à la suite de cet affreux accideut. Un habitant de Vitry, M. Bouilly, qui avait été témoin du malheur, n'eut que le temps de lui arracher des mains l'arme qu'il voulait tourner contre lui-même.

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On lit dans le Courrier du Bas-Rhin : Le 3 juillet, un vigneron • d'Acy, faisant usage dans un champ de blé d'un rouleau de bois, un le■ vraut se trouva pris dans cet instrument aratoire; le vigneron s'en em⚫ para en présence de plusieurs témoins, puis, réfléchissant dit-il, qu'il • venait de commettre un délit, il jeta le gibier dans un champ. Mais le tri«bunal a jugé que le fait de chasse existait, et une amende de 50 francs a ◄ été prononcée. Inutile de dire que ce levraut est un véritable canard.

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Nous avons parlé dernièrement des animaux curieux à divers titres qui sont destinés à prendre place dans le jardin zoologique du bois de Boulogne, et parmi lesquels figurent plusieurs zébus ou bœufs à bosse du Soudan et du Sénégal, ainsi que des pacas de la Guyane et un acouchi. Cette collection vient de s'augmenter de plusieurs individus amenés de l'Amérique du Sud, et notamment d'un tapir et d'une biche cariacou, espèce trèsrare dans les ménageries. L'activité imprimée aux travaux du nouveau jardin du Bois de Boulogne permet de fixer à un mois environ la date de son

ouverture.

Afin de faciliter la prompte délivrance des permis de chasse dont les demandes sont généralement fort nombreuses à des ouvertures de chasse, le ministre de l'intérieur vient de décider que ces titres pourront être à l'avenir délivrés par les sous-préfets aux habitants de leur arrondissement qui

en auront fait la demande en la forme régulière et lorsque les impétrants ne se trouveront pas d'ailleurs dans l'un des cas prévus par la loi où le permis de chasse peut être refusé.

NECROLOGIE.

On annonce la mort de M. le comte Eugène Lehon, décédé à Paris, le 6 août dernier, très-peu de jours après la vente de son équipage au Tattersall.

Lieutenant de louveterie de l'arrondissement d'Evreux, M. Lehon avait affermé aux adjudicataires du droit de chasse dans Villers-Cotterets, MM. de Ruzé et Fournier, la chasse à courre de cette magnifique forêt; mais il n'a jamais usé de cette sous-location qu'il avait cédée depuis aux messieurs de Chézelles, et il se contentait de chasser dans la forêt de Senonches.

La mort de M. le comte Eugène Lehon, qui a succombé prématurément aux suites d'une affection de poitrine, est une véritable perte non-seulement pour le monde dans lequel il tenait un rang distingué, mais encore pour les arts, qu'instruit de bonne heure à une excellente école, celle de madame la comtesse Lehon sa mère, l'une des femmes vraiment supérieures de notre époque, il avait su cultiver et protéger à la fois avec le double tact de l'artiste et du gentilhomme.

ERRATA.

Plusieurs fautes de typographie se sont glissées dans l'article bibliographique sur les Souvenirs de Chasse et Pêche qu'a publié M. Léonce de Curel (livraison du 31 juillet dernier).

A la page 211, ligne 17, au lieu de : « D'ailleurs il parle des siens et des autres, etc. » Lisez : « Il parle de ses exploits et de ceux des autres. » A la page 213, ligne 23, au lieu de Son nom vient de son cri, creu, creu, etc. » Lisez : « Son nom vient de son cri, crée, crée, etc. » Même page, ligne 24, au lieu de : « Les Romains l'appelait Creu, etc. ▸ Lisez Les Romains l'appelaient Crex, etc. »

Dans l'insertion qui figure aux nouvelles et faits divers de notre livraison du 31 juillet, et qui, en prévision de l'ouverture prochaine, recommande à nos abonnés l'emploi d'une nouvelle douille brevetée, s'est glissée une erreur qu'il importe de rectifier; l'orthographe du nom de l'inventeur n'est pas exacte; c'est M. J. Chaleyer et non pas J. Chalayer qu'il faut lire. (voir l'annonce aux tablettes de Saint-Hubert du 15 août.)

L'un des Directeurs, Rédacteur en chef : LEOn Bertrand.

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