Page images
PDF
EPUB

l'air de mille parfums délicats. Un eri d'admiration et de bonheur accueillit sa majesté le Coq de bruyère.

« Il n'est pas de roi qui ait une physionomie plus grandiose que celui-là ; il décore une table à lui seul. C'est un plat hors ligne, et dont je vous conseille d'user dans les grands jours de votre existence.

<< Il vous en restera au moins un souvenir impérissable, et vos convives n'oublieront jamais le rare et splendide rôti qu'ils auront mangé chez vous. C'est un excellent moyen de donner de la mémoire aux gens. On perd de vue un bienfait, un bonheur, une femme aimée, jamais un dîner où l'on a servi du coq de bruyère.

[ocr errors]

<< Mais ce n'est pas tout de tuer un coq de bruyère, il faut encore savoir le préparer de façon à ne pas le déshonorer. Quel crime pour un cordonbleu d'avoir compromis un rôti de cette espèce ! C'est mériter l'exclusion de toute office respectable, l'exil, la mort même, si nous ne vivions dans un siècle d'humanité et de progrès.

« Et pourtant bien peu de cuisinières sont à la hauteur d'une pareille tâche. C'est à la maîtresse du logis, qui a su s'inspirer dans les classiques de l'art, à commander le feu dans une aussi grande occasion.

« Ne vous révoltez pas, femmes aimables, spirituelles, élégantes, contre cette besogne que vous croyez aujourd'hui indigne de vos blanches et belles mains. De très-grandes dames prenaient jadis à cœur la bonne direction de leur table, et ne s'en trouvaient pas amoindries. »

Voilà, j'espère, de bons conseils qui réjouiront le cœur et l'estomac de tous les maris gourmands; dans quelle jubilation ne vont-ils pas tomber, lorsqu'ils verront leurs jolies ménagères surveiller de leurs beaux yeux, et trousser au besoin de leurs mains si fraîches et si blanches, les trésors culinaires dont elles ont désormais les précieuses recettes. Quel époux, ayant un ventre un peu bien placé, pourrait résister à une compagne charmante, sachant à propos placer sur sa table, à côté d'une fiole centenaire, ce jeune coq, mariné au lait vierge, farci de truffes et de poitrines de bécasses pilées ensemble, tandis que les cervelles et les entrailles réduites en purée, étendues en couche épaisse sur l'immense rôtie beurrée qui lui sert de trône, font un douillet matelas à sa royale majesté.

Ah! si les femmes savaient!

Maintenant, mon cher auteur, que vous voilà atteint et convaincu de posséder le plus estimable des sept péchés capitaux, nous allons vous suivre à la chasse, car avant de tenir ce gibier précieux, de le donner à farcir et à rôtir à la maîtresse du logis, de le convoiter des yeux et des dents sur la flambante lèchefrite, il faut le chercher, le, poursuivre, l'atteindre, et payer d'avance, par de rudes labeurs la récompense promise.

Dans le bon ordre des choses, la recette pour rôtir le coq de bruyère n'aurait dû venir qu'après celle de le tuer, il y a interversion évidente; mais j'ai dû suivre votre exemple, et en conclure que la passion de tuer

TOME XXIX. -2 SEMESTRE 1860.

23

les coqs de bruyère, a été chez vous la conséquence directe de celle de les

manger.

Je ne terminerai pas sans vous remercier du grand plaisir que vous m'avez fait et comme je ne suis pas égoïste, je conseillerai fortement à nos abonnés de se donner l'agréable distraction de vous lire.

CH. GODDE.

CHAPITRE XII

LA RECETTE. BONNE POUR TOUS LES PAYS.- · L'INSTINCT ET LA RAISON. UN BON CON

[merged small][ocr errors][merged small][ocr errors]

TROUVE LES TÉTRAS EN SEPTEMBRE.

DEVOUMENT DE LA POULE.

[blocks in formation]

LE VIEUX COQ.

L'AFFUT.

LA COMPAGNIE. RUSES ET OU L'ON TROUVE LE TÉTRAS AUX MOIS D'OCTOBRE ET DE NOVEMBRE. LA TRAQUE. —LA CHASSE A l'époque des neiges. — le BRACONNAGE ET LES BRACONNIERS. LES CHASSEURS SUÉDOIS ET RUSSES. — MALICE DU JEUNE TÉTRAS.

« La recette! la recette!

[ocr errors]

-Un peu de patience, Messieurs, dit notre hôte, j'y arrive. La recette de la chasse au coq de bruyère que je vous ai promise ne ressemble pas à ces recettes de cuisine qui, en quelques lignes, vous apprennent les mystères d'une sauce succulente ou l'art de faire une gibelotte sans lapin. Il est vrai que ce dernier point de la science alimentaire n'offre même plus de difficultés depuis l'invention du lapin de gouttière, autrefois connu sous le nom de chat domestique. Ma recette de chasse, au contraire, nécessiterait des volumes d'explications si je voulais lui donner tout le développement ornithologique et cynégétique qu'elle comporte. Je la rendrai simplement aussi pratique que possible pour les chasseurs de tous les pays.

Comment! de tous les pays?

- Certainement. En France, en Allemagne, en Angleterre, partout enfin où il y a des petits tétras à queue fourchue, on pourra l'employer avec succès. Cette recette est basée sur les habitudes et les mœurs d'un gibier qui ne change guère d'allures, quel que soit le pays qu'il fréquente. Le coq de bruyère de la région alpine, des steppes de la Forêt-Noire, des montagnes de l'Écosse,

vit et se nourrit comme le tétras de nos fanges ardennaises, et, par conséquent, se conduit comme lui pendant les diverses saisons de l'année. Ainsi l'a voulu la nature pour distinguer l'homme de la bête. L'instinct qui guide les animaux est une loi sous laquelle tous les êtres de la même race doivent courber la tête. La raison, au contraire, qui est l'apanage de l'espèce humaine laisse à cette dernière le libre arbitre de ses volontés et n'obéit forcément à aucune loi. Voilà pourquoi Joseph M... aime le vin de Bourgogne, Alfred le champagne, et votre serviteur un vieux Laffite pelure d'oignon. Chez les animaux de même espèce, cette diversité de goûts ne se rencontre pas, et si gentil, si noble que soit le tétras, il n'en fait pas moins, Messieurs, partie du règne animal.

Vous avez vu des coqs, vous en avez tué; je ne vous en parlerai donc que comme de vieilles connaissances dont il est inutile de vous faire le portrait. Mais, avant de vous initier aux premiers principes de leur chasse, je dois vous donner quelques conseils dont vous reconnaîtrez l'utilité dans vos excursions à la recherche des tétras.

Tout chasseur qui aspire à l'honneur de conquérir quelques palmes dans cette chasse toute particulière, doit, s'il ne connaît parfaitement la topographie du pays où il poursuivra ces oiseaux, se faire accompagner par un garde intelligent, prêt à lui indiquer leurs remises ordinaires. Sans cela, il court risque de se fatiguer inutilement à arpenter les bois et les bruyères sans tirer un coup de fusil, sans voir la queue fourchue d'un tétras. Les cantons que ce dernier habite sont vastes, entrecoupés de montagnes, de marais, de landes immenses, au milieu desquels il trouve un refuge assuré. Beaucoup de chasseurs ont nié l'existence du coq de bruyère après avoir chassé pendant plusieurs jours sur des territoires qui donnent asile à quelques compagnies de ces volatiles. D'autres ont affirmé qu'ils étaient excessivement rares là où il s'en trouvait de nombreux voliers, et cela parce que les uns et les autres n'avaient aucune connaissance du pays et des habitudes du coq de bruyère.

Le choix du chien d'arrêt pour la chasse aux tétras ne doit pas être indifférent. Les races du pays sont toujours les meilleures. L'épagneul anglais, le pointer, le setter, habitués à chasser en plaine, à arrêter à chaque pas le lièvre et le perdreau, conviennent peu aux chasseurs aux coqs. Ils se fatigueront dans les épais

fourrés des bois, dans les genêts aux branches entrelacées, dans les bruyères brûlantes, qui mettront leurs pieds en lambeaux. Ils se dégoûteront bientôt d'une recherche longue et difficile, et donneront à leurs maîtres plus d'ennuis que d'agréments.

Pour cette chasse spéciale, il faut un chien spécial. Celui qui connaît le fumet du coq, qui est habitué aux ruses de cet oiseau, aux difficultés du terrain, doit être le chien de votre choix. Il aura toute la prudence, toute l'énergie nécessaire pour triompher dans la lutte qu'il doit livrer au gibier. Ce chien ne sera pas distrait par une caille pelotée dans une touffe d'herbes, par un lièvre qui se coule dans un fourré, par une bécassine de passage égarée dans un terrain fangeux; il n'aura de nez que pour les exhalaisons délicieuses du tétras, et vous conduira d'un pas assuré jusqu'à la remise qu'il aura choisie. Un pareil chien vaut son poids d'or. Il est plus difficile à rencontrer qu'une femme accomplie, qu'un ministre désintéressé, qu'un chasseur sans amour-propre. C'est assez dire que ces chiens ne sont pas communs.

En Belgique et en France, la chasse s'ouvre à peu près à la même époque. C'est ordinairement vers la fin du mois d'août ou au commencement de septembre. La plaine se couvre de vaillants chasseurs; les coups de fusil se croisent, le gibier de poil et de plume tombe comme la grêle. Mais, au bout de huit jours, les disciples de saint Hubert sont moins nombreux dans les champs, et aussi les lièvres et les perdreaux. Les chasseurs sont fatigués de triomphes faciles; ils rêvent à de plus nobles exploits. C'est l'heure de la chasse au coq de bruyère. On part pour les régions qu'ils fréquentent.

A l'époque de l'ouverture, les tétras vivent dans les bois, sur la limite des fanges. C'est là qu'il faut les chercher. Vous rencontrerez le vieux coq dans un taillis bien fourni en myrtilles et en petits bouleaux. Il y reste solitaire, loin des soucis du ménage, mais fort défiant pour sa propre sûreté. Néanmoins, un bon chien saura le dépister, démêler les traces nombreuses par lesquelles l'oiseau en éveil s'efforce de le mettre en défaut, et l'arrêter dans quelque couvert bien épais. Garde à vous! le vieux coq va partir avec un formidable bruit d'ailes et chercher son salut dans les airs.

Ce tir n'est pas difficile. Il n'est qu'émouvant. Malgré son plumage, plus résistant que celui de la perdrix, le tétras se tue fort aisément à portée avec du plomb n° 6.

N'espérez pas trouver dans le même taillis la famille de ce royal oiseau, ce serait en vain. La compagnie, c'est-à-dire la mèretétras et sa couvée, est réfugiée dans quelques bois des environs où elle trouve une nourriture facile et abondante. Certains chasseurs ont la coupable habitude de se lever avant l'aube pour chasser le coq de bruyère c'est une erreur. Dans les premières heures du jour, il voyage, court de côté et d'autre, cherchant sa pâture du matin ; il n'est pas là où on croit le trouver, et, quand on le rencontre, il se laisse difficilement approcher à portée de fusil. Ce sont des jaloux et des égoïstes qui agissent de cette façonlà. Ils espèrent moissonner avant leurs amis, et ne font qu'effaroucher le gibier sans bénéfice pour personne. Quand le bon moment arrive, ces mauvais chasseurs sont fatigués, harassés, et les coqs peuvent faire paisiblement leur sieste dans un bain de poussière, à l'ombre d'un genêt ou au milieu d'une touffe de bruyères.

Les premières heures de soleil sont celles qu'il faut choisir pour se livrer à la chasse du tétras. La chaleur rend lourd et peu dispos cet oiseau, pourtant si agile et si sauvage, et vous le tuez alors à l'arrêt du chien comme une caille grasse ou un perdreau isolé.

Lorsque vous avez trouvé la compagnie, il ne s'agit pas de la laisser échapper. Un tétras se lève bruyamment. Ne tirez pas : c'est la mère-poule, et il est convenu qu'on la respectera. Les jeunes suivront de près, et vous pourrez choisir dans le nombre ceux qui s'offrent le mieux à votre plomb. Après une première décharge, la compagnie a filé droit devant vous, disparaissant dans les profondeurs des bois. Ne vous inquiétez pas de ce vol en droite ligne et qui semble ne pas devoir finir. Laissez marcher rapidement, dans la direction qu'ont prise les tétras, vos irréfléchis et jeunes compagnons : ils vont faire une pointe sèche sans rien trouver. Les coqs, parvenus à une certaine distance, tournent brusquement à droite ou à gauche, et reviennent se placer à quelque vingt mètres en arrière du point de départ. L'homme habile peut faire chasse dans un périmètre restreint au grand étonnement des chasseurs ignorants.

Cette tactique du gibier est des plus adroites : elle le sauve souvent d'une destruction complète. Il faut bien connaître les ruses du tétras si l'on veut obtenir quelque succès dans les combats qu'on lui livre. La nature a donné à la mère-poule une grande pé

« PreviousContinue »