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aux alentours jusqu'à ce qu'il eût retrouvé la piste, rejoint sa proie et tenu la bête aux abois en attendant l'arrivée de son maître. Il était aussi de première qualité à la chasse du menu gibier pour le retrouver, et il réussissait surtout à faire lever la canepetière (petite outarde), qui a pour coutume en général de courir quand elle est inquiétée.

Walter était-passé maître dans l'art de suivre à la piste, et sous sa conduite nous n'eûmes aucune peine à trouver la voie, les foulées n'ayant pas plus d'une heure de durée. Je me rappelle avoir été vivement frappé de la facilité extraordinaire avec laquelle il découvrait la piste sur le terrain le plus difficile; le plus léger indice, une pierre retournée, une feuille froissée, ou une branche ployée, lui suffisaient pour indiquer avec la plus grande certitude la route suivie par le gibier.

Le don de trouver la voie ou de suivre à la piste paraît inné, ou comme une sorte d'instinct, chez les Peaux-rouges de l'Amérique occidentale et chez certaines tribus des jongles de l'Indoustan ; mais il faut une étude attentive, une grande observation et une longue expérience, avant que les habitants des villes soient à même de remarquer et de comprendre avec quelque exactitude les signes de la forêt.

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Nous trouvâmes que les élans avaient quitté les champs de maïs et gagné un ravin escarpé au fond duquel serpentait un torrent de montagnes, tantôt coulant en silence parmi les pierres moussues, et tantôt se précipitant sur de gros blocs de granit verdâtre avec un fracas pareil à celui d'un tonnerre éloigné.

Évidemment les cerfs connaissent bien ce terrain, Hall! » s'écria Walter rompant le silence après une rude course par monts et par vaux, « voyez, ils ont remonté le torrent pour trouver un gué plus convenable, vu que le courant ici est si fort que les faons, ne pouvant se tenir sur leurs jambes, auraient été entraî« nés au passage. Ainsi, si vous n'êtes point hors d'haleine, nous « allons les suivre sur-le-champ, parce que plus tôt nous serons << sur le terrain moins nous aurons besoin de nous couvrir, pourvu que nous avancions avec précaution et en silence. >

Nous continuâmes la poursuite, tantôt sur nos mains et nos genoux en nous glissant à travers des taillis épais, tantôt escaladant des rochers ou passant à gué des ruisseaux, jusqu'à ce que nous arrivâmes à un endroit où le cours d'eau était peu profond et où il était évident que les cerfs avaient passé tout récemment,

attendu que l'eau coulait encore dans les profondes empreintes laissées par leurs pieds dans les sables mous auprès des bords.

« Prenez garde de ne point faire d'éclaboussures quand vous « passerez, et marchez avec soin, Hall, murmura Walter ; la piste « est chaude et le troupeau ne peut être loin, car les foulées indi«quent que les animaux s'en sont allés lentement, en broutant sur «< leur route, en sorte qu'ils ne se sont point effarouchés jus<< qu'ici.>>

« Allez devant,» répondis-je, me sentant un peu excité et nerveux, car qui ne le serait pas à la poursuite de son premier cerf; et nous avançâmes en nous glissant avec la plus grande précaution pendant un quart d'heure, quand soudain nous entendîmes un cri aigu, comme l'aboiement d'un chien, qui semblait venir d'un épais fourré, à quelque distance en face de nous.

Walter se leva du coup et je remarquai que Ponto, son ami, avait aussi saisi le son, car il avait la tête finement dressée d'un côté comme s'il écoutait avec soin et le nez élevé comme s'il essayait d'aspirer l'air, tandis qu'un petit tronçon, — un prétexte de queue, faisait divers mouvements étranges, indiquant qu'il y avait quelque chose dans l'air.

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Après une pause d'un moment, Walter me toucha l'épaule, et murmura à voix basse : « C'est l'aboiement d'un élan mâle, << armez votre carabine et avancez, car je désire que vous le tuiez ; « il ne peut être bien loin; ainsi, ayez constamment l'œil au guet << et prenez bien garde de ne pas faire le moindre bruit. »

Je me glissai en silence le long de la voie, en suivant les pistes qui étaient distinctement visibles, jusqu'à ce que je fusse arrivé à un endroit plus ouvert, où le jongle avait été brûlé l'année précédente, et, me blottissant derrière un épais buisson, j'eus l'extrême satisfaction de voir le troupeau, composé de trois mâles et de quatorze ou quinze femelles, dont quelques-unes avaient des faons après elles, brouter l'herbe paisiblement à environ deux cents mètres de distance.

C'était un magnifique spectacle, etje sentais mon cœur battre à grands coups dans ma poitrine, tandis que je les contemplais pendant quelques secondes, trop remp'i d'admiration pour penser à tirer, quand Walter, me touchant l'épaule, me dit tout bas : « Ils < sont beaucoup trop loin pour que le coup soit sûr; essayez de << ramper sous le couvert des buissons jusqu'à ce bouquet touffu, << et vous aurez belle à tirer. Si vous allez avec précaution, vous

« ne serez pas découvert, car le vent souffle fort d'eux à nous, et « je vous suivrai quand je vous verrai sûrement posté. »

Je fis ce qu'il désirait, et nous étions alors à environ cent vingt mètres du troupeau qui, ne se doutant pas encore de notre présence, continuait à brouter les jeunes pousses et le bois tendre.

C'était le moment décisif. - Tout nous avait réussi jusque-là ; nous avions mis beaucoup de temps à suivre la piste; le gibier était devant nous, et maintenant tout dépendait d'une main sûre. Prenez le plus proche, chuchota Walter, et laissez-moi le plus << éloigné, tirez quand je sifflerai. Êtes-vous prêt?»

J'avais couvert l'épaule d'un cerf superbe, aux andouillers majestueux, avec un large collet noir autour du cou, et, le signal donné, je tirai. Il fit un bond, chancela, puis tomba en avant et mourut sur-le-champ.

Walter, qui avait affaire à un animal bien plus éloigné, jeta bas un autre élan magnifique, en le frappant dans le train de derrière qu'il paralysa du coup, et, comme le troupeau prenait la fuite, il en blessa un autre au moment où il bondissait d'un buisson voisin où il devait être couché sans avoir été remarqué par nous. J'entendis le « pouf! » quand la balle frappa son flanc brun, et, sautant sur un rocher tout près de nous, je déchargeai sur lui mon second canon; mais le coup était trop haut, il ne porta que sur le bois et l'étourdit pour un moment; car bientôt il se remit et partit avec les autres, en apparence aussi bien que jamais. « Un coup « splendide, par Jupiter! s'écria Walter, car il était bien à trois «< cents mètres quand vous l'avez tiré; mais vous n'avez pas été << assez leste, et puisque la balle n'a pas pu l'arrêter, nous allons « d'abord rendre les derniers devoirs à ceux qui sont tombés,

puis nous enverrons Ponto sur sa piste, car je suis sûr qu'il est « touché à fond, et si nous ne le pressons pas tandis que la bles<< sure est fraîche, en lui laissant le temps de s'engourdir il sera « obligé de ralentir le pas et de se détacher du reste du trou< peau. >>

Walter avait atteint son cerf à la chute des reins, et bien qu'il l'eût complétement réduit à l'impuissance, même de se traîner loin de là, il n'était point mort, et ce fut avec quelque difficulté qu'il parvint, avec le secours de Ponto, à lui plonger son long couteau dans la poitrine et à l'achever. Après avoir saigné, ouvert et écorché les deux élans, nous couvrîmes les carcasses avec des fagots d'épines et des pierres pour les protéger contre les vau

tours; car sans cette précaution nous n'aurions plus trouvé que les os quand nous serions revenus avec les coolies pour emporter le gibier. Nous nous rafraîchîmes l'intérieur avec un coup d'eaude-vie (brandy-panee), nous rechargeâmes nos carabines et nous suivîmes le cerf que Walter avait blessé, lequel par la dimension des foulées paraissait plus grand qu'aucun de ceux que nous avions tués.

Çà et là nous trouvâmes le terrain teint de gouttes de sang, et à l'endroit où il avait trébuché quand ma balle avait frappé ses cornes, on voyait une mare d'un rouge vif qui montrait qu'il était grièvement blessé. « Il ne peut aller loin dans cet état, Hall, dit « Walter, nous allons lâcher le chlen après lui, et je ne doute pas « qu'il ne le mette bientôt aux abois. Hé! Ponto! cherche-le, mon << garçon ! >> L'intelligent animal regarda son maître au visage, comme s'il y pouvait lire ce qui était exigé de lui, puis il chercha un moment le nez contre terre, jusqu'à ce qu'il eût trouvé la piste du cerf blessé, et partit aussitôt à toute vitesse.

Nous le suivîmes de notre meilleur pas, et après une course rapide, nous eûmes la satisfaction d'entendre la voix grave de Ponto résonner parmi les rochers. « Bravo, mon chien! » cria

Walter; tenez bon, Hall, cinq minutes encore, car à ce cri je << connais que l'élan est aux abois. Nous nous précipitâmes sur la pente de la colline menant à la rivière, et nous le trouvâmes là debout dans le torrent et menaçant à chaque instaut de ses andouillers Ponto qui nageait dans le courant et avait assez à faire d'éviter ses attaques furibondes.

J'étais tout à fait hors d'haleine et épuisé par la course; mais Walter s'arrêtant, à la fois ferme et calme, visa tranquillement l'animal de sa carabine infaillible. On entendit l'écho retentir dans les rochers, et le cerf, frappé à la tête et faisant un bond énorme, plongea dans le torrent et reparut chose inerte.

Le courant, qui était extrêmement rapide, emporta le corps à une certaine distance, le heurtant parmi les rochers et le faisant tournoyer dans les tourbillons, et nous eûmes beaucoup de peine à descendre pour l'en retirer, vu que le ravin était très-escarpé et plein de précipices et de roches énormes. Enfin nous parvînmes à l'amener à sec sur le bord, et après l'avoir dépouillé et couvert de branches et de pierres, nous partîmes pour l'endroit où nous avions laissé le Killadar cinq ou six heures auparavant. A peine éveillé de son sommeil, il n'avait aucunement l'idée que nous

eussions été éloignés si longtemps, et il crut que nous plaisantions quand nous lui parlâmes de notre chasse.

Il envoya ses gens, guidés par Ponto, suspendre la venaison à des bâtons et la rapporter après nous, et «< il y eut des bruits de <«< fêtes, la nuit » dans sa petite forteresse; car après avoir envoyé une paire de cuissots au cantonnement, nous partageâmes le reste entre les hommes de sa suite. Je me couchai, ce soir-là, trèsfatigué et considérablement meurtri de diverses chutes, mais enchanté du succès de mon premier jour de chasse au cerf.

Le lendemain matin, le Killadar nous fit faire une battue dans le ravin où un tigre avait été vu quelques jours auparavant; mais nous trouvâmes buisson creux, et le jour d'après, notre congé étant expiré, nous eûmes à dire adieu à nos amis indigènes et à

retourner au cantonnement.

CORRESPONDANCE.

A M. LÉON BERTRAND, RÉDActeur en chef DU Journal des Chasseurs.

Marly-le-Roi, 29 août 1860.

Monsieur,

L'an dernier, avant l'ouverture de la chasse, il a été pris, par M. le maire de la commune de Marly-le-Roi, un arrêté que je dois vous rapporter litté– ralement pour arriver à un exposé complet et impartial de la difficulté que je désire vous soumettre.

Voici cet arrêté :

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MAIRIE DE MARLY-LE-ROI.

ARRÊTÉ SUR L'EXERCICE DE LA CHASSE.

« Nous, maire de Marly-le-Roi;

« Vu les lois des 16 et 24 août 1790 et 18 juillet 1837;

Vu l'art. 471 du Code pénal;

Ouï les plaintes d'un grand nombre d'habitants de cette commune;

• Considérant qu'il importe de prendre toutes les mesures qui intéressent la sûreté publique;

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